
Éloïse Gennet
Professeur junior en droit européen de la santé et des médicaments, Aix Marseille Univ, CNRS, DICE, CERIC, Aix-en-Provence, France
Ce travail a bénéficié d’une aide du gouvernement français au titre de France 2030, dans le cadre de l’Initiative d’Excellence d’Aix-Marseille Université – A*MIDEX – et du soutien de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre de la Chaire de professeur junior ANR-22-CPJ2-0021-01.
Basée sur le constat de l’interdépendance de la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes, l’approche One Health vise à équilibrer et optimiser durablement les trois composantes de cette santé unique ou « Une seule santé »1. Cette interdépendance a récemment été illustrée par la pandémie de Covid-19 : la diminution de la biodiversité, due au réchauffement climatique et aux diverses pollutions liées à l’activité humaine, favorise la recrudescence chez les espèces animales restantes d’agents pathogènes qui, au lieu d’être dilués par une forte biodiversité, continuent de circuler au sein d’une même espèce, mutent, puis traversent cette barrière inter-espèce pour créer une zoonose en se transmettant à l’homme2.
Malgré le caractère originel des liens d’interdépendance qui en sont l’objet, l’approche One Health n’a que récemment fait l’objet de l’attention de la communauté internationale comme fondement de méthodes plus efficaces face à des enjeux sanitaires mondiaux tels que la réaction et prévention des pandémies ou encore la résistance aux antibiotiques. En effet, l’approche One Health « mobilise de multiples secteurs, disciplines et communautés à différents niveaux de la société »3 : elle est interdisciplinaire, intersectorielle et doit être prise en compte au niveau local, national comme international. Ainsi, dépassant le simple constat d’une interdépendance des santés, l’approche One Health se veut également opérationnelle. En témoignent les nombreux plans d’action relatifs à la résistance aux antibiotiques au niveau mondial4 comme régional5 : il s’agit par exemple de réduire l’usage d’antibiotiques chez l’animal pour éviter que les bactéries résistantes ne se transmettent à l’homme qui le consomme, ou encore d’encadrer la gestion des déchets afin de limiter la contamination des sols et des eaux par des résidus chimiques d’antibiotiques ou de bactéries déjà résistantes.
En outre, l’appétence nouvelle pour cette approche One Health est décelable jusque dans les institutions internationales et européennes. La Direction générale de la Santé de la Commission européenne s’est par exemple dotée d’une direction spécifiquement dédiée à One Health suite à sa restructuration en octobre 20226. De même, une alliance tripartite créée en 20107 entre l’OMS (Organisation mondiale de la santé), l’OIE (Office international des épizooties désormais appelé Organisation mondiale de la santé animale) et la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) s’est étendue davantage en 2021 pour intégrer le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) et ainsi former l’Alliance quadripartite8. Cette dernière travaille à l’intersection de la santé humaine, animale et environnementale notamment par le biais des activités de son groupe d’experts nouvellement fondé, le One Health High-Level Expert Panel (OHHLEP).
Si l’usage de l’expression se propage indéniablement, y compris dans les instruments à caractère normatif, les contours et implications juridiques de l’approche One Health restent à préciser. L’objectif de ce workshop sera ainsi d’en étudier la définition, le contenu et les effets en droit international et en droit européen. Dans quel cadre l’approche One Health est-elle explicitement ou implicitement utilisée en droit international et européen ? Produit-elle des effets juridiques contraignants ? Le droit international et le droit européen ne prennent-ils pas déjà en compte les liens entre santé humaine, animale et environnementale ? Quelle pourrait être la valeur ajoutée d’une approche juridique One Health ? Est-elle créatrice d’obligations juridiques nouvelles à la charge des États ou des autres acteurs de la société internationale ?
L’approche One Health invite à réfléchir à l’interconnexion de disciplines et matières telles le droit de l’environnement, le droit de la santé, la protection animale ou les droits de l’homme. À la spécialisation, voire le cloisonnement, de ces disciplines et matières s’ajoute la coexistence de normes parfois concurrentes entre différents systèmes juridiques comme le droit de l’Union européenne ou le droit international. Ce workshop, qui ne constitue que le premier d’une longue série tant les interrogations sont nombreuses, aura pour défi de proposer une première tentative de décloisonnement(s) ; une première tentative d’interrogation de l’apport juridique de cette approche One Health dans le but de déterminer si elle prescrit des normes de comportement destinées à minimiser les risques sanitaires à l’interface entre l’humain, l’animal et l’environnement9.
1* Ce travail a bénéficié d’une aide du gouvernement français au titre de France 2030, dans le cadre de l’Initiative d’Excellence d’Aix-Marseille Université – A*MIDEX – et du soutien de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre de la Chaire de professeur junior ANR-22-CPJ2-0021-01.
One Health High-Level Expert Panel (OHHLEP), W.B. Adisasmito, S. Almuhairi, C.B. Behravesh, P. Bilivogui, S.A. Bukachi et al., « One Health: A new definition for a sustainable and healthy future », PLoS Pathog, 2022, 18(6), p. e1010537.
2 B. Roche, S. Morand, « Perte de biodiversité, prélude aux émergences virales », médecines/sciences, 2022, 38, p. 1039-1042.
3 OHHLEP et al., « One Health: A new definition for a sustainable and healthy future », op. cit.
4 FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) OMS (Organisation mondiale de la santé), OIE (Office international des épizooties désormais appelée Organisation mondiale de la santé animale, One Health Joint Plan of Action, 2022-2026, Working together for the health of humans, animals, plants and the environment, Rome, 2022, 86 p.
5 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions. Réforme de la législation pharmaceutique et mesures de lutte contre la résistance aux antimicrobiens COM(2023) 190 final, Bruxelles, le 26 avril 2023 ; Commission européenne, A European One Health Action Plan against Antimicrobial Resistance (AMR), 2017, [https://health.ec.europa.eu/system/files/2020-01/amr_2017_action-plan_0.pdf] (accès le 15 juin 2023).
6 Commission européenne, Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire, Organisational Chart, 1er juin 2023, [https://commission.europa.eu/system/files/2023-06/organisation-chart_dg-sante_en.pdf] (accès le 15 juin 2023).
7 FAO, OIE, WHO, « The FAO-OIE-WHO Collaboration. Sharing responsibilities and coordinating global activities to address health risks at the animal-human-ecosystems interface. A Tripartite Concept Note » (April 2010), p. 5
8 En 2022, ils signeront un Memorandum of Understanding, [https://www.fao.org/3/cb9403en/cb9403en.pdf] (accès le 15 juin 2023).
9 Intervention de Hélène de Pooter, Table ronde en ligne « One Health and International Law », 8 mars 2022, Centre for International Law, National University of Singapore, disponible sous [https://www.youtube.com/watch?v=vsJlBH117jc] (accès le 29 avril 2023).
Éloïse Gennet, « One Health à la croisée des disciplines et des normes. Propos introductifs», One Health en droit international et européen [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 03 | 2025, mis en ligne le 6 mars 2025. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=3791.