Alors que la volonté des pouvoirs publics de réguler l’intelligence artificielle (IA) monte en puissance depuis plusieurs années, les enjeux d’une telle régulation sont particulièrement nombreux. Protection appropriée des libertés face à des problématiques techniques et complexes, nécessaire préservation de l’innovation et de l’esprit d’entreprise, effectivité et efficacité des règles choisies : autant de défis qu’il semble nécessaire de relever et auxquels plusieurs organisations internationales ont décidé de s’atteler. Si l’on constate certaines initiatives – encore restreintes – au niveau universel[1], c’est surtout en Europe que l’effort de régulation s’est développé. À côté des travaux de l’OCDE[2], c’est surtout l’Union européenne et le Conseil de l’Europe qui ont d’abord adopté d’importants textes de droit souple, généralement sectoriels[3], avant de s’atteler à des normes de droit contraignant plus générales[4].
Face à cette multiplication des velléités et des projets de régulation de l’IA, la mise en lumière des enjeux à prendre en compte et l’évaluation des forces et des faiblesses respectives des différents projets envisagés ont fait l’objet d’une journée d’études, organisée le 25 novembre 2022 à la Faculté de Droit, Économie et Administration de Metz (Université de Lorraine)[5]. Celle-ci fut organisée en trois tables rondes afin de faire dialoguer des spécialistes[6] et de réfléchir collectivement aux enjeux tant procéduraux que substantiels associés à cette volonté croissante de régulation.
La première table ronde – La régulation de l’intelligence artificielle par les différentes organisations internationales : complémentarité ou concurrence ? – est revenue sur l’articulation des différentes régulations envisagées et adoptées, leurs valeurs normatives respectives, leurs effets potentiels et les difficultés qu’elles peuvent ou ont pu susciter. Partant du constat de la pluralité des textes adoptés ou en cours d’adoption, la nature, concurrentielle ou complémentaire, et l’intensité des rapports entre les différentes organisations internationales a été au cœur des débats. La deuxième – Vers l’émergence de nouveaux droits fondamentaux ? – a permis de réfléchir spécifiquement à la question des droits et libertés, de leur extension, de leur renouvellement, voire de leur potentielle remise en cause dans le contexte du développement de l’intelligence artificielle, lequel a fait apparaître de nouveaux comportements qui n’étaient pas envisageables avec les moyens techniques existant auparavant. La troisième – Consolider l’état de droit démocratique – a conduit à mettre en lumière les menaces que l’intelligence artificielle fait peser sur ses principes, en raison notamment des risques accrus de manipulation électorale, de surveillance de la société ou encore de déshumanisation de la justice, et d’évaluer les mesures envisagées pour y répondre.
Les débats furent particulièrement denses et d’une grande richesse et les organisateurs en profitent pour exprimer encore une fois toute leur gratitude envers les intervenants. Il leur a été proposé de prolonger la réflexion par des contributions écrites qui composent le présent dossier. Nous les en remercions vivement, tout autant que ceux qui n’ont pas pu, pour des raisons diverses, y participer.
Sommaire
[1] L’UNESCO a adopté une Recommandation sur l’éthique de l’IA en novembre 2021 (SHS/BIO/REC-AIETHICS/2021), premier texte de soft law à portée générale. On relèvera aussi l’adoption par l’ISO, en décembre 2023, d’une norme intitulée Technologies de l’information — Intelligence artificielle — Système de management (ISO/IEC 42001:2023).
[2] V. la Recommandation du Conseil sur l’IA de mai 2019 (OECD/LEGAL/0449)
[3] V. par ex. la Charte éthique européenne d’utilisation de l’IA dans les systèmes judiciaires, adoptée en décembre 2018 par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe.
[4] En 2024, l’Union européenne a adopté un règlement sur l’IA et le Conseil de l’Europe une Convention-cadre sur l’IA.
[5] La journée d’études fut coorganisée par l’Institut de Recherches sur l’Évolution de la Nation Et de l’État (IRENEE) de l’Université de Lorraine et l’Institut Louis Favoreu – GERJC (UMR 7318) d’Aix-Marseille Université.
[6] Bilel BENBOUZID, Maître de conférences en sociologie, Université Paris-Est, Marne la Vallée / IFRIS, Céline CAIRA, Membre de l’Unité IA de la Division des politiques de l’économie numérique de l’OCDE ; Nathan CAMBIEN, Référendaire auprès de la CJUE ; Jean-Marc DELTORN, Chercheur à l’Université de Strasbourg / CEIPI ; Florence G’SELL, Professeur en droit privé, Université de Lorraine / IFG, Cotitulaire de la Chaire Digital, Governance and Sovereignty, École d’affaires publiques de SciencesPo Paris ; Diane GALBOIS-LEHALLE, Maître de conférences en droit privé, Directrice du Master Droit de l’intelligence artificielle, Institut Catholique de Paris ; Yannick MENECEUR, Magistrat ; David NEWTON, Référendaire auprès de la CJUE ; Matthieu QUINIOU, Avocat, expert à la CEPEJ, Conseil de l’Europe ; Aleksandr STEPANOV, ATER en droit public, Université de Lorraine / IRENEE ; Kelly XINTARA, Avocate, conseillère auprès de la Chambre de commerce de Luxembourg.