M. Verdussen – La Constitution belge face à la pandémie de Covid-19

Marc Verdussen, Professeur à l’Université de Louvain (UCLouvain), Directeur du Centre de recherche sur l’État et la Constitution (CRECO)

La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 nous force à constater, une fois encore, que la Constitution belge n’a pas été élaborée pour affronter les situations de crise. Certes, elle fait partie des Constitutions les plus anciennes. Pourtant, elle aurait pu être révisée en ce sens, dans le but d’y insérer un corpus cohérent et complet de règles de base destinées à encadrer ces situations de crise. Cela n’a pas été le cas[1]. On doit le regretter. En effet, comme l’écrivent Antoine Garapon et Michel Rosenfeld à propos des mesures anti-terroristes, de telles mesures doivent être énumérées et encadrées, car « l’officialisation est la première étape d’un contrôle démocratique », et cette énonciation se réalise par des règles constitutionnelles, celles-ci contribuant à une « objectivation du pouvoir »[2].
Une très récente étude l’a rappelé[3], une crise comme celle du coronavirus suscite en Belgique plusieurs interrogations. Tout d’abord, elle questionne les rapports entre les assemblées législatives et les gouvernements, en ceci notamment que le procédé dit « des pouvoirs spéciaux » permet au législateur de renoncer temporairement à légiférer dans certaines matières qu’il confie à l’exécutif. Le régime parlementaire propre au système constitutionnel de la Belgique s’en trouve peu ou prou déstabilisé. Ensuite, les mesures prises en Belgique pour endiguer la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 ont eu – et ont encore – un impact à ce point important sur la protection des droits et libertés qu’on peut se demander si l’interdiction constitutionnelle de toute suspension de ces droits et libertés n’est pas aujourd’hui dépassée. Enfin, la crise a mis à l’épreuve l’équilibre entre les différents niveaux de pouvoir, spécialement dans un État fédéral marqué par un fort cloisonnement entre ceux-ci.
Cela étant, nous nous limitons ici à deux aspects de la gestion de cette crise au sein de l’État belge : l’interdiction constitutionnelle de toute suspension de la Constitution (I) et la possibilité constitutionnelle du recours aux pouvoirs spéciaux (II)[4].

I. L’interdiction constitutionnelle de toute suspension de la Constitution

Adopté en 1831, l’article 187 de la Constitution belge – qui dispose que « la Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie » – interdit que la Constitution soit suspendue, partiellement ou totalement. Par conséquent, en Belgique, l’instauration d’un « état d’urgence » ou d’un « état d’exception », non seulement n’est pas prévue par la Constitution, mais est formellement interdite par celle-ci. Il serait vain d’invoquer ici l’arrêté-loi du 11 octobre 1916 relatif à l’état de guerre et à l’état de siège[5], toujours en vigueur, car tant l’état de guerre que l’état de siège ne s’appliquent qu’en temps de guerre.
Quelles situations sont visées par l’article 187 de la Constitution ? Il s’agit des situations d’exception. On pense à la nécessité de lutter contre le terrorisme, mais aussi de faire face à une catastrophe nucléaire, une canicule meurtrière, des intempéries dévastatrices, ou encore une épidémie ou une pandémie. Pour un État confronté à de telles menaces, il peut être tentant de faire adopter par le pouvoir législatif, voire par le pouvoir exécutif, des mesures exceptionnelles, qui suspendent l’application de dispositions constitutionnelles et spécialement de droits fondamentaux.
La réponse du Constituant belge est catégorique : quelles que soient la gravité et l’intensité des événements ou de la menace, les institutions doivent fonctionner coûte que coûte, les citoyens doivent pouvoir exercer sans entraves leurs droits fondamentaux et le régime juridique de ces droits ne peut être modifié en la circonstance. Toutes les autorités publiques sont chargées d’appliquer toutes les dispositions de la Constitution.

L’explication est double. On peut penser, tout d’abord, que l’article 187 doit son origine, notamment, à certains actes inconstitutionnels du Roi Guillaume des Pays-Bas. On peut penser, ensuite, que les auteurs de la Constitution ont considéré qu’offrir à des autorités constituées la faculté de se délier de leur obligation de respecter la Constitution, ce serait les soumettre à la tentation d’invoquer à tout bout de champ cette clause d’extra-constitutionnalité.
On nous dira que la Belgique a souscrit à des conventions internationales qui prévoient « l’état d’urgence », celui qui survient « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation », selon les termes de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme – plusieurs États européens ont déjà notifié au Secrétariat général du Conseil de l’Europe leur volonté d’invoquer l’article 15 de la Convention en raison la pandémie de COVID-19[6] –, ou « le danger public exceptionnel » qui menaçant l’existence de la nation, selon l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[7]. Cependant, les régimes dérogatoires que permettent d’instaurer ces instruments internationaux se situent en deçà de la protection que la Constitution entend, pour sa part, établir[8]. Ils ne trouvent à s’appliquer que pour les droits fondamentaux non reconnus par la Constitution belge.
L’intransigeance du Constituant belge pose question. Ignorer la possibilité de voir émerger des situations de crise réclamant des dérogations à certains droits fondamentaux, c’est prendre le risque de voir l’État se réfugier, en dehors de toute balise, derrière des notions aussi vagues et insécurisantes que l’état de nécessité et la légitime défense. Face à une porte fermée à double tour, qui interdit toute dérogations en toutes circonstances, n’est-il pas tentant pour l’État confronté à une urgence impérieuse – donc in tempore suspecto – de la défoncer et de s’y engouffrer, sans restriction aucune ? N’est-il pas préférable d’entrouvrir cette porte, in tempore non suspecto, en posant des limites matérielles et procédurales à la mise en œuvre d’un régime dérogatoire ? Le débat est ouvert. Constatons en tout cas que l’article 187 de la Constitution belge « n’a pas résisté à l’épreuve des faits », le temps de guerre ayant « engendré un état de nécessité qui a conduit à la mise en œuvre d’un régime d’exception suspendant certaines libertés constitutionnelles en dépit de la Constitution »[9].
Comment ne pas voir, au demeurant, que les limitations apportées à certains droits fondamentaux sont parfois à ce point conséquentes que la différence entre « limitation » et « suspension » [10] s’en trouve singulièrement réduite ? Le 23 mars 2020, le ministre de l’Intérieur s’est fondé sur des dispositions législatives passablement imprécises – tirées de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police et de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile – pour adopter un arrêté ministériel[11] qui s’avère être la base juridique de substantielles mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus Covid-19[12]. Les mesures adoptées restreignent moult droits fondamentaux (liberté d’aller et venir, liberté de réunion, droit au respect de la vie privée et familiale, droit à l’enseignement, liberté de religion, droit à l’épanouissement culturel…). La qualification juridique à donner à ces mesures pose question[13] : si certaines d’entre elles doivent être tenues pour des limitations aux droits fondamentaux des citoyens, d’autres peuvent être vues comme conduisant à une suspension pure et simple de certains de ces droits. Comment concilier semblable suspension avec la rigueur de l’article 187 de la Constitution ? Ce dernier n’est-il pas à nouveau dépassé par les faits ? Surtout, on s’étonne que des ingérences aussi draconiennes dans les droits fondamentaux des citoyens – ingérences dont la légalité et la proportionnalité sont sérieusement discutables – aient pu être décidées par le seul ministre de l’Intérieur. Certes, les textes législatifs mobilisés à l’appui de ces décisions le permettent. Certes, le Conseil des ministres a été consulté. Certes, le ministre de l’Intérieur dispose d’un pouvoir de police administrative générale (quoique subsidiaire par rapport à celui des autorités communales). Certes encore, l’arrêté ministériel en question a été adopté le 23 mars 2020, donc quatre jours avant l’adoption le 27 mars 2020 de la loi de pouvoirs spéciaux (dont il sera question ci-après). L’urgence le justifiait certainement. Mais, alors que l’article 13 de l’arrêté ministériel prévoyait que les mesures adoptées n’étaient d’application que jusqu’au 5 avril 2020, il a été plusieurs fois remplacé par la suite[14]. Quels que soient les arguments invoqués, il demeure que, dans un État de droit soucieux de respecter les droits fondamentaux, il n’est pas normal de laisser au seul ministre de l’Intérieur la responsabilité d’ingérences ayant une telle amplitude.

II. La possibilité constitutionnelle du recours aux pouvoirs spéciaux[15]

Que sont les pouvoirs spéciaux ? Quel est leur fondement constitutionnel ? Par quels principes sont-ils encadrés ? Après avoir apporté quelques éléments de réponse à ces questions (1), nous aborderons, dans les grandes lignes, le recours aux pouvoirs spéciaux dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19 (2).

1. Le procédé des pouvoirs spéciaux

Les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux sont des arrêtés royaux pris en vertu de lois particulières – des lois d’habilitation, dites « lois de pouvoirs spéciaux » –, par lesquelles le législateur fédéral autorise temporairement le Roi – donc le Gouvernement fédéral – à régler un certain nombre de matières qui normalement sont réglées par le législateur fédéral lui-même. Concrètement, plutôt que d’agir conjointement avec les assemblées fédérales (la Chambre des représentants et le Sénat), le Gouvernement fédéral agit collectivement mais seul, ce qui l’autorise dans un contexte de crise requérant de promptes mesures d’intervenir« avec plus de rapidité et d’efficacité que ne le permet le fonctionnement normal des assemblées législatives »[16]. Le recours aux pouvoirs spéciaux se justifie avec d’autant plus d’acuité lorsque ces mêmes assemblées législatives sont dans l’impossibilité de se réunir physiquement dans les bâtiments du Parlement.

Les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux viennent ainsi modifier, compléter, abroger ou remplacer les lois fédérales en vigueur, dans les limites définies par la loi de pouvoirs spéciaux (des limites définies avec un degré de précision très fluctuant d’une loi de pouvoirs spéciaux à l’autre). Il ne s’agit pas, comme pour les arrêtés royaux d’exécution des lois, « de dégager du principe de la loi et de son économie générale les conséquences qui en dérivent naturellement d’après l’esprit qui a présidé à sa conception et les fins qu’elle poursuit », selon la formule célèbre de la Cour de cassation. Il s’agit, à partir des lois fédérales existantes, d’adopter de nouvelles normes. À la différence des arrêtés royaux ordinaires qui sont datés, les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux sont datés et numérotés, ce qui est une manière de les reconnaître aisément.

Le fondement constitutionnel du procédé figure à l’article 105 de la Constitution : « Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même ».
Dans un avis donné le 31 mai 1996[17], la section de législation du Conseil d’État a indiqué que, pour être compatibles avec l’article 105 de la Constitution, les pouvoirs spéciaux doivent satisfaire aux conditions suivantes : 1) les pouvoirs spéciaux doivent être justifiés par certaines circonstances de fait, qualifiées généralement de circonstances exceptionnelles ou de circonstances de crise ; 2) les pouvoirs spéciaux ne peuvent être attribués que pour une période limitée, déterminée en fonction des circonstances qui les justifient ; 3) les pouvoirs spéciaux doivent être définis avec précision, en ce qui concerne tant les objectifs à atteindre que les matières où des mesures peuvent être prises et leur portée ; 4) lors de l’attribution des pouvoirs spéciaux, le législateur doit respecter les normes supranationales et internationales, mais aussi les règles constitutionnelles de répartition de compétences entre la collectivité fédérale et les collectivités fédérées.

Les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux ont valeur réglementaire, sauf si ultérieurement ils sont confirmés par le législateur, auquel cas ils acquièrent valeur législative (force de loi). Constitutionnellement, cette confirmation s’impose lorsque l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux règle des matières réservées par la Constitution au législateur fédéral (infractions pénales, procédure pénale, impôts, etc.). Toutefois, en pratique les lois de pouvoirs spéciaux exigent généralement la confirmation par le législateur fédéral de toutes les lois de pouvoirs spéciaux, même dans les matières non réservées au législateur. Comme le relève très justement le professeur Yves Lejeune, « initialement conçues comme un correctif juridique des habilitations consenties au Roi dans des matières constitutionnellement réservées à la loi, les lois de confirmation (…) sont donc devenues un nouveau moyen de contrôle politique de l’exercice des pouvoirs spéciaux consentis en toutes matières »[18]. Précisons que la confirmation législative des arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux leur confère la valeur de normes législatives rétroactivement, c’est-à-dire à la date d’entrée en vigueur de l’arrêté. Précisons également que s’ils ne sont pas confirmés dans le délai fixé par la loi de pouvoirs spéciaux, ils cessent de sortir leurs effets.

Au terme de la période de pouvoirs spéciaux, les matières qui ont fait l’objet d’arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux ne peuvent plus être réglées que par le législateur fédéral lui-même. Ces arrêtés ne peuvent donc être modifiés, complétés, abrogés ou remplacés que par la voie législative. En revanche, tant qu’il n’y est pas touché, ils restent en vigueur.
Préalablement à leur adoption, les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux doivent être soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’État, sans que leur auteur puisse exciper de l’urgence[19]. Le rôle de cet organe consultatif est de rendre des avis non contraignants sur les normes législatives et règlementaires, à un moment où celles-ci sont à l’état de projet ou de proposition, afin de contribuer à la régularité juridique, mais aussi la qualité légistique et formelle, de ces règles. Les avis de la section de législation portent notamment sur la conformité ou la compatibilité des normes examinées au regard de la Constitution.
Une fois adoptés, les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux sont soumis au contrôle de la section du contentieux administratif du Conseil d’État et à celui des cours et tribunaux.

Le contrôle de la section du contentieux administratif du Conseil d’État est exercé à titre principal, sur des recours, dits « pour excès de pouvoir », formés contre des actes administratifs par toute personne – physique ou morale, de droit privé ou public – justifiant d’un intérêt. Il trouve son fondement dans l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux étant des normes réglementaires, donc des actes administratifs, ils peuvent être ainsi déférés au contrôle des juges administratifs. L’effectivité de contrôle n’en est pas moins très incertaine. Comme l’écrivent Michel Kaiser et Cécile Jadot, « la durée normale de traitement d’un recours en annulation (un an et demi environ) ou celle d’une demande de suspension ordinaire (quatre à six mois environ), durées actuellement sans doute prolongées en raison de la période de confinement, laissent toutefois peu de chances d’effectivité à ces recours, dont l’objectif serait plutôt indemnitaire que préventif, tant les mesures adoptées, paraissent devoir régir surtout la situation de crise actuelle. Ensuite et surtout, une issue favorable prendrait beaucoup, et sans doute trop, de temps. Si, et c’est plus que probable, ce recours en annulation est traité dans le délai habituel d’un an et demi environ et que l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n’a pas été confirmé dans l’année de son entrée en vigueur, les lois du 27 mars 2020 indiquent que les arrêtés de pouvoirs spéciaux sont alors ‘réputés n’avoir jamais produit leurs effets’. Quoi qu’on pense d’une telle fiction juridique, à l’issue de ce délai d’un an, le recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux deviendra sans objet »[20]

Le contrôle des cours et tribunaux est exercé en vertu de l’article 159 de la Constitution, qui habilite toute juridiction à refuser l’application de tout acte administratif qu’elle juge irrégulier. À la différence du contrôle mis en œuvre par la section du contentieux administratif du Conseil d’État lorsqu’elle est saisie d’un recours pour excès de pouvoir, il s’agit ici d’un contrôle exercé, non pas à titre principal, mais à titre incident : c’est à l’occasion d’un litige – une contestation sur un droit civil, par exemple – que la juridiction saisie peut être amenée, d’office ou sur demande d’une partie, à s’interroger sur la régularité d’un acte administratif qu’elle entend appliquer dans son litige et, si elle le juge irrégulier, à refuser de l’appliquer.
Le contrôle exercé par la section du contentieux administratif du Conseil d’État et par les cours et tribunaux sur un arrêté royal de pouvoirs spéciaux vise à vérifier que celui-ci est conforme ou compatible avec la loi de pouvoirs spéciaux qui le fonde, ainsi qu’avec la Constitution, les lois spéciales prises en vertu de la Constitution[21] et les dispositions de droit internationaux directement applicables dans l’ordre juridique interne.

Si la Cour constitutionnelle est incompétente pour connaître des actes du pouvoir exécutif, en revanche, elle s’est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux lorsque ceux-ci ont été confirmés par une loi ultérieure puisque, par la transmutation que suppose cette confirmation, ces arrêtés acquièrent une valeur législative les faisant échapper aux contrôles normaux assumés par la section du contentieux administratif du Conseil d’État et par les cours et tribunaux[22]. Dans l’exercice de ce contrôle, les juges constitutionnels considèrent, à juste titre, qu’ « en raison de son caractère exceptionnel, l’attribution de pouvoirs spéciaux par le législateur au Roi doit être interprétée strictement »[23].

La Belgique étant un État fédéral, les collectivités fédérées – les régions et les communautés – peuvent logiquement, elles aussi, recourir aux pouvoirs spéciaux, sur la base de l’article 78 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. Les principes encadrant les pouvoirs spéciaux, rappelés ci-dessus, trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, au niveau fédéré. Pour la clarté des choses, on précisera que les « lois » adoptées par les régions et communautés sont dénommées « décrets » et, pour ce qui concerne la Région bruxelloise, « ordonnances ».

Les principes régissant le procédé des pouvoirs spéciaux ayant été rappelés dans les grandes lignes, il convient d’examiner l’utilisation qui a été faite de ce procédé lors de la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19.

2. Le recours aux pouvoirs spéciaux dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19

On distingue le recours aux pouvoirs spéciaux par les autorités fédérales (2.1) et le recours à ces mêmes pouvoirs spéciaux par les entités fédérées (2.2).

2.1. Au niveau fédéral

Le 27 mars 2020, deux lois de pouvoirs spéciaux ont été adoptées qui habilitent le Roi « à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 »[24]. La première loi concerne les matières soumises par l’article 78 de la Constitution à un bicaméralisme optionnel : elles sont votées par la Chambre des représentants et facultativement – à sa demande – par le Sénat, ce dernier n’étant pas ici sur un pied d’égalité avec la Chambre. La seconde loi concerne les matières soumises par l’article 74 de la Constitution au monocaméralisme : elles sont votées uniquement par la Chambre des représentants, à l’exclusion donc du Sénat. Initialement, seule une proposition de loi avait été rédigée couvrant les deux catégories de matières. La section de législation du Conseil d’État, dans l’avis donné le 25 mars 2020[25], a exigé que le texte soit scindé en deux propositions distinctes.
En ses articles 2, les deux lois définissent les objectifs poursuivis : c’est afin de permettre à la Belgique de réagir à l’épidémie ou la pandémie du coronavirus COVID-19 et d’en gérer les conséquences que ces lois sont adoptées.

En son article 3§1, la première loi dispose que, pour atteindre ces objectifs, « le Roi peut prendre des mesures pour, dans le respect des principes fondamentaux d’indépendance et d’impartialité et en tenant compte des droits de la défense des justiciables, adapter la compétence, le fonctionnement, la procédure, y compris les délais prévus par la loi, de la section du contentieux administratif du Conseil d’État et des
juridictions administratives afin d’assurer le bon fonctionnement de ces instances et plus particulièrement la continuité de l’administration de la justice et de leurs autres missions ».
En son article 5§1, la seconde loi dispose que, pour atteindre ces objectifs, « le Roi peut prendre des mesures pour :
1° combattre la propagation ultérieure du coronavirus COVID-19 au sein de la population, y compris le maintien de la santé publique et de l’ordre public ;
2° garantir la capacité logistique et d’accueil nécessaire, y compris la sécurité d’approvisionnement, ou en prévoir davantage ;
3° apporter un soutien direct ou indirect, ou prendre des mesures protectrices, pour les secteurs financiers, les secteurs économiques, le secteur marchand et non marchand, les entreprises et les ménages, qui sont touchés, en vue de limiter les conséquences de la pandémie ;
4° garantir la continuité de l’économie, la stabilité financière du pays et le fonctionnement du marché, ainsi que protéger le consommateur ;
5° apporter des adaptations au droit du travail et au droit de la sécurité sociale en vue de la protection des travailleurs et de la population, de la bonne organisation des entreprises et des administrations, tout en garantissant les intérêts économiques du pays et la continuité des secteurs critiques ;
6° suspendre ou prolonger les délais fixés par ou en vertu de la loi selon les délais fixés par Lui ;
7° dans le respect des principes fondamentaux d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire et dans le respect des droits de la défense des justiciables, garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires, et plus particulièrement la continuité de l’administration de la justice, tant au niveau civil qu’au niveau pénal :
– en adaptant l’organisation des cours et tribunaux et autres instances judiciaires, en ce compris le ministère public, les autres organes du pouvoir judiciaire, les huissiers de justice, experts judiciaires, traducteurs, interprètes, traducteurs-interprètes, notaires et mandataires de justice ;
– en adaptant l’organisation de la compétence et la procédure, en ce compris les délais prévus par la loi ;
– en adaptant les règles en matière de procédure et de modalités de la détention préventive et en matière de procédure et de modalités de l’exécution des peines et des mesures ;
8° se conformer aux décisions prises par les autorités de l’Union européenne dans le cadre de la gestion commune de la crise ».

S’agissant toujours de la seconde loi, deux restrictions importantes sont apportées. Les arrêtés royaux pris en vertu de cette loi « ne peuvent pas porter atteinte au pouvoir d’achat des familles et à la protection sociale existante » (article 3), ni « adapter, abroger, modifier ou remplacer les cotisations de sécurité sociale, les impôts, les taxes et les droits, notamment la base imposable, le tarif et les opérations imposables » (article 4). Dans son avis, la section de législation a considéré que les restrictions de l‘article 3 « sont formulées de manière peu précise et peuvent dès lors être source d’insécurité juridique et donner lieu à des contestations juridiques »[26] et que la formulation de l’article 4 « prête à confusion »[27]. Il n’a pas été tenu compte de ces objections.

Dans les deux lois, il est prévu que « les pouvoirs accordés au Roi par la présente loi expirent trois mois après l’entrée en vigueur de la présente loi » (articles 5 al. 1, et article 7 al. 1). Toutefois, si les conditions exigées pour le recours aux pouvoirs spéciaux sont toujours réunies, le législateur fédéral peut prolonger ce délai par l’adoption d’une nouvelle loi de pouvoirs spéciaux. Par ailleurs, les deux lois exigent que les arrêtés adoptés soient confirmés par la loi dans un délai d’un an à partir de leur entrée en vigueur, étant précisé que, s’ils ne sont pas confirmés dans ce délai, ils sont « réputés n’avoir jamais produit leurs effets » (article 5 al. 2 et 3 et article 7 al. 2 et 3).

Le 6 avril 2020, un premier arrêté royal de pouvoirs spéciaux a été adopté : arrêté royal n° 1 portant sur la lutte contre le non-respect des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 par la mise en place de sanctions administratives communales[28]. Le 9 avril 2020, il a été suivi de trois autres arrêtés : arrêté royal n° 2 concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux ; arrêté royal n° 3 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 ; arrêté royal n° 4 portant des dispositions diverses en matière de copropriété et de droit des sociétés et des associations dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19[29]. A la date du 16 juin 2020, trente arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux avaient déjà été publiés.

2.2. Au niveau fédéré

Concomitamment aux mesures fédérales, certaines collectivités fédérées ont également recouru aux pouvoirs spéciaux : la Région wallonne[30], la Région bruxelloise[31] et la Communauté française[32]. Un décret de la Communauté germanophone, dit « décret de crise 2020 », a également été adopté le 6 avril 2020[33]. En revanche, aucun décret de pouvoirs spéciaux n’a été adopté par la Région et la Communauté flamandes, pour le motif que « tant que les réunions du Parlement flamand restent possibles, les principes démocratiques seraient davantage respectés en maintenant la répartition ordinaire des pouvoirs entre parlement et gouvernement »[34]. Un décret a néanmoins été adopté le 20 mars 2020 qui contient « des mesures en cas d’urgence civile en matière de santé publique » et qui octroie au Gouvernement flamand certaines habilitations[35], mais, formellement, il ne s’agit pas d’un décret de pouvoirs spéciaux.

La démultiplication des pouvoirs spéciaux se justifie par le fait que les domaines en jeu dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 sont éclatés entre les différents niveaux de pouvoir. Dans un avis donné le 13 mai 2013, la section de législation du Conseil d’État a souligné que « ce n’est pas parce que des mesures portent sur la lutte contre une crise touchant à la santé publique que l’autorité fédérale peut être réputée compétente. Au contraire, chaque autorité est responsable de la lutte contre une crise touchant à la santé publique dans les limites de ses propres compétences matérielles, ce qui n’exclut pas toutefois qu’un accord de coopération puisse être conclu à ce propos »[36]. La situation en Belgique est, à cet égard, particulièrement complexe. Si certaines matières sont du ressort (quasi) exclusif de tel niveau de pouvoir – tels l’enseignement, de la compétence des communautés, et la justice, de compétence fédérale –, d’autres matières sont partagées entre différents niveaux de pouvoir – telles la politique de la santé et la politique économique.

Plusieurs arrêtés de pouvoirs spéciaux ont été adoptés au niveau des entités fédérées, dont trente-huit pour la Région bruxelloise et quarante et un pour la Région wallonne publiés à la date du 16 juin 2020.
La nature et l’ampleur des pouvoirs spéciaux accordés par les législateurs des entités fédérées sont assez variables lorsqu’on les compare entre eux, mais aussi lorsqu’on les rapproche des lois fédérales de pouvoirs spéciaux, comme l’a relevé le professeur Emmanuel Slautsky[37]. À certains égards, les pouvoirs spéciaux ressemblent furieusement à des pleins pouvoirs. À cet égard, il faut regretter que, dans le cadre des actuels pouvoirs spéciaux, l’obligation de consultation a priori de la section de législation du Conseil d’État ait été substantiellement assouplie, voire supprimée[38]. Ceci n’est cependant que le signe supplémentaire d’un mal plus profond. Déjà en temps normal, les avis demandés à la section de législation du Conseil d’État le sont trop souvent dans des délais indécents, quand ces avis ne sont pas purement et simplement discrédités, ce qui l’empêche d’assumer pleinement son rôle de « lanceur d’alerte juridique »[39].

*****

« Fear is understandable, but it should not sap our judgment and our decency », écrivait Ronald Dworkin à l’époque des attentats du 11 septembre 2001[40]. C’est dans le même esprit que, le 26 mars 2020, la Ligue belge des droits humains a adressé aux parlementaires et aux ministres une lettre rappelant que « les États ont l’obligation positive de protéger le droit à la vie et à la santé contre l’actuelle pandémie du coronavirus », mais que « dans la mise en œuvre de ces obligations et dans l’organisation des mesures exceptionnelles, il faut veiller au respect des droits et libertés et au respect de l’État de droit »[41]. Dans une tribune publiée ce 13 avril 2020 par le quotidien Libération, nous soulignons, avec le professeur Dominique Rousseau et plusieurs autres collègues étrangers, que « protéger le corps social n’est pas seulement une question sanitaire. C’est aussi une question juridique car ce qui fait un corps social c’est l’adhésion des individus à un même patrimoine de droits et libertés »[42].

Qu’il s’agisse de lutter contre le terrorisme ou d’éradiquer une pandémie, le nœud du débat ne réside pas dans le choix entre une vénération absolue et dogmatique pour les droits fondamentaux et une croisade impitoyable et sans bornes contre le mal qui frappe l’État et ses citoyens. Il ne s’agit pas de choisir entre le juridisme et le réalisme, comme si l’un excluait nécessairement l’autre. Il s’agit plutôt de définir un équilibre entre des impératifs qui ne sont pas aussi inconciliables qu’on veut bien le dire. À nouveau, tout est une question de mesure et de proportionnalité[43].

Pour citer cet article : Marc Verdussen, « La Constitution belge face à la pandémie de Covid-19 », Confluence des droits_La revue [En ligne], 09 | 2020, mis en ligne le 4 septembre 2020. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1354


[1] Comme nous l’avons écrit dans un ouvrage récent, la Constitution belge « a été révisée à de nombreuses reprises, spécialement à partir de la fin des années 60. Mais, si on y regarde de plus près, on constate que le pouvoir constituant est obnubilé par le fédéralisme. La plupart des modifications sont liées à la transformation de l’État belge en un État fédéral. Si d’autres changements sont intervenus, ils révèlent une dérive pointilliste dans l’exercice du pouvoir constituant, ne répondant qu’à des besoins ponctuels et limités. (…) les révisions au coup par coup trahissent dans le chef du Constituant un triste manque d’ambition. Combien de choix fondamentaux ne sont-ils pas omis, reportés ou évités ? » : M. Verdussen, Réenchanter la Constitution, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2019, p. 15.

[2] A. Garapon et M. Rosenfeld, Démocraties sous stress – Les défis du terrorisme global, Paris, PUF, 2016, p. 181.

[3] F. Bouhon, A. Jousten, X. Miny, E. Slautsky, « L’État belge face à la pandémie de Covid-19 : esquisse d’un régime d’exception », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2020, n° 2446. Pour une synthèse de cette étude, voy. F. Bouhon, A. Jousten, X. Miny, E. Slautsky, “States’ Reactions to COVID-19 Pandemic: An Overview of the Belgian Case”, Int’l J. Const. L. Blog, 14 avril 2020. Sur la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 et la Constitution belge, voy. égal. J. Clarenne et C. Romainville, « Le droit constitutionnel belge à l’épreuve du Covid-19 », JP Blog, Partie I du 23 avril et Partie II du 4 mai 2020 ; S. Ganty, « Belgium and COVID-19 : When a Health Crisis Replaces a Political Crisis », Verfassungsblog, 21 avril 2020. Adde : « Carnets de crise », Centre de droit public de l’Université de Bruxelles.

[4] Sur la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 et les droits fondamentaux, voy. égal. M. Verdussen, « La crise du coronavirus et la menace sur les droits fondamentaux en Belgique », Note destinée à un rapport de l’Institut des droits de l’homme du barreau de Paris (IDHBP) et de l’Institut des droits de l’homme des avocat(e)s européen(e)s (IDHAE) intitulé Confinement forcé sur tout le territoire national et modalités d’application : des mesures disproportionnées dans une société démocratique ? (à paraître).

[5] Moniteur belge, 15 octobre 1916. Les arrêtés-lois de guerre sont des règles exceptionnelles, de nature législative, adoptées durant les deux dernières guerres mondiales, par le Roi (pour les arrêtés-lois dits « du Havre », adoptés durant la Première Guerre mondiale) ou et par les ministres réunis en Conseil (pour les arrêtés-lois dits « de Londres », adoptés durant la Seconde Guerre mondiale), de leur propre initiative, dans des domaines relevant normalement du pouvoir législatif. L’adoption de ces arrêtés-lois a été rendue nécessaire par l’impossibilité des Chambres législatives de se réunir librement sur le territoire national. C’est la Cour de cassation qui a reconnu force de loi aux arrêtés-lois. Se fondant sur le principe général de la permanence de l’exercice du pouvoir, elle a considéré que « l’impossibilité pour l’une ou pour l’autre branches du pouvoir législatif d’exercer librement la souveraineté nationale concentre la totalité du pouvoir législatif entre les mains de celle qui a ou qui ont conservé cette liberté ». Plusieurs arrêtés-lois de guerre sont encore en vigueur à ce jour. Ils ne peuvent être abrogés ou modifiés que par une loi ou, si la matière a été transférée aux communautés ou aux régions, par un décret ou une ordonnance, chaque communauté ou région agissant pour ce qui la concerne.

[6] C. Nivard, « Le respect de la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise sanitaire mondiale », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 5 avril 2020.

[7] Voir les Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions où des dérogations, adoptés le 28 septembre 1984.

[8] J. Velu, « Le droit pour les États de déroger à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation », in Les clauses échappatoires en matière d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, Quatrième colloque du département des droits de l’homme, Université Catholique de Louvain, Bruxelles, Bruxelles/Louvain-la-Neuve,Bruylant/Cabay, 1982, pp. 71-147 ;R. Ergec, Les droits de l’homme à l’épreuve des circonstances exceptionnelles, Bruxelles, Bruylant, 1987.

[9] R. Ergec et S. Watthée, « Les dérogations aux droits constitutionnels », in M. Verdussen et N. Bonbled (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique – Les enseignements jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’État et de la Cour de cassation, Bruxelles, Bruylant, 2011, vol. 1, p. 396.

[10] Suspendre les droits fondamentaux, ou plus exactement l’application de ces droits (jouissance et exercice), c’est les mettre en veilleuse de manière provisoire, mais générale. Cette forme de dérogation – parfois qualifiée d’« état d’urgence » ou d’« état d’exception » – ne doit pas être confondue avec la limitation des droits fondamentaux. Limiterles droits fondamentaux, c’est autoriser que des restrictions particulières puissent y être apportées et en fixer les conditions.

[11] Moniteur belge, 23 mars 2020, 2e éd. Il s’agit en réalité du troisième arrêté ministériel adopté à cette fin par le ministre de l’Intérieur, deux précédents arrêtés ayant été adoptés le 13 mars 2020 (Moniteur belge, 13 mars 2020, 2e éd.) et le 18 mars 2020 (Moniteur belge, 18 mars 2020, 3e éd.). D’autres arrêtés ministériels ont également été adoptés, qui portent des mesures urgentes plus spécifiques.

[12] Fermeture des principaux commerces ; restrictions d’accès aux grandes surfaces ; fermeture des marchés ; obligation de télétravail à domicile pour les « entreprises non essentielles » ; interdiction de principe des « rassemblements », des « activités à caractère privé ou public, de nature culturelle, sociale, festive, folklorique, sportive et récréative », des « excursions scolaires », des « activités dans le cadre de mouvements de jeunesse », ou encore des « activités des cérémonies religieuses » ; suspension des leçons et activités dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire ; enseignement à distance dans les écoles supérieures et les universités ; interdiction des « voyages non essentiels » au départ de la Belgique ; règlementation du confinement à domicile.

[13] L’adoption de l’arrêté ministériel peut également susciter des discussions au regard de la répartition des compétences entre la collectivité fédérale et les collectivités fédérées. Mais cet aspect juridique de la crise sort du cadre de cette contribution. Sur les données du problème, voy. A.-S. Renson, « Soins de santé », in M. Uyttendaele et M. Verdussen (dir.), Dictionnaire de la Sixième Réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, pp. 820-822.

[14] L’article 13 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 a été remplacé le 3 avril 2020 par une nouvelle disposition qui prévoit, à l’alinéa 1er : « Les mesures prescrites par le présent arrêté sont d’application jusqu’au 19 avril 2020 inclus. Elles peuvent être prolongées de deux semaines après évaluation ». Par des modifications ultérieures intervenues le 17 avril 2020, le 30 avril 2020, le 8 mai 2020 et le 15 mai 2020, le délai a été prolongé jusqu’au 30 juin 2020, puis ramené au 10 mai 2020, puis à nouveau reporté au 17 mai 2020 (certaines mesures venant à échéance au mois de juin, voire le 31 juillet). Le 5 juin 2020, une dernière modification a été apportée à l’article 13, qui a été remplacé par la disposition suivante : « Sauf disposition contraire, les mesures prescrites par le présent arrêté sont d’application jusqu’au 30 juin 2020 inclus ».

[15] La littérature juridique sur les pouvoirs spéciaux est importante. Voy. not. M. Leroy, « Les pouvoirs spéciaux en Belgique  », Administration publique, 2014, pp. 483-504 ; T. Moonen, « Bijzondere machten als oplossing voor een crisis: of zelf in een midlifecrisis ? », in E. Vandenbossche (ed.), Uitzonderlijke omstandigheden in het grondwettelijk recht, Bruges, die Keure, 2019, pp. 177-213.

[16] M. Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, Bruxelles/Limal, Bruylant/Anthemis, 2014, p. 520. Sur les contraintes temporelles qui pèsent sur les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, voy. M. Borres, M. Solbreux, M. Verdussen, « Les Parlements belges et le temps », in G. Toulemonde et E. Cartier (dir.), Le Parlement et le temps – Approche comparée, Paris, Institut Universitaire Varenne, 2017, pp. 227-255, spéc. pp. 232-253.

[17] Avis n° 25.167/1 du 31 mai 1996 sur un avant-projet devenu la loi du 26 juillet 1996 « relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité ». Ces conditions ont été rappelées dans des avis ultérieurs, dont l’Avis n° 47.062/1/V du 18 août 2009 sur l’avant-projet de loi devenu la loi du 16 octobre 2009 accordant des pouvoirs au Roi en cas d’épidémie ou de pandémie de grippe.

[18] Y. Lejeune, Droit constitutionnel belge – Fondements et institutions, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2017, p. 666.

[19] Lois coordonnées sur le Conseil d’État, art. 3bis §1, al. 1.

[20] M. Kaiser et C. Jadot, « Quels recours peuvent être mobilisés contre les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux ? » Actualités Altea Avocats, 6 avril 2020.

[21] Les lois spéciales ne peuvent être confondues avec les lois de pouvoirs spéciaux. L’adoption de certaines lois fédérales est subordonnée à des majorités renforcées, fixées par l’article 4 al. 3 de la Constitution. Ces lois sont dites « spéciales », étant votées selon des modalités plus strictes que celles prévues pour l’adoption des lois ordinaires. En effet, elles requièrent la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des assemblées fédérales – la Chambre des représentants et le Sénat –, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés. Les majorités renforcées ainsi requises rendent inévitable une conciliation entre francophones et flamands dans les domaines qui doivent être réglés par des lois spéciales. Généralement, il s’agit de prolonger, en les précisant et en les complétant, les dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation des collectivités fédérées (composition et fonctionnement des organes, définition des attributions, fixation des moyens financiers, etc.). Le plus souvent, ces dispositions sont d’ailleurs dépourvues d’effet direct, l’intervention du législateur dit « spécial » étant la condition même de leur applicabilité.

[22] M. Verdussen, Justice constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, pp. 107-108. Voy. égal. P. Nihoul, « Règlements et Constitution : quel contrôle en Belgique ? », in Liber Amicorum Rusen Ergec, Luxembourg, Pasicrisie luxembourgeoise, 2017, p. 268.

[23] Not. C.C., arrêt n° 52/99, 26 mai 1999.

[24] Moniteur belge, 30 mars 2020, 2e éd.

[25] Avis n° 67.142/AG du 25 mars 2020 sur une proposition de loi habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19, p. 29.

[26] Avis n° 67.142/AG du 25 mars 2020, op.cit., p. 30.

[27] Ibid., p. 31.

[28] Moniteur belge, 7 avril 2020.

[29] Moniteur belge, 9 avril 2020

[30] Moniteur belge, 18 mars 2020.

[31] Moniteur belge, 20 mars 2020.

[32] Id.

[38] M. Kaiser et C. Jadot, « Pouvoirs spéciaux et section de législation du Conseil d’État, je t’aime moi non plus », Actualités Altea Avocats, 6 mai 2020.

[33] Moniteur belge, 14 avril 2020.

[34] E. Slautsky, « Carnet de crise #3. Pouvoirs spéciaux : quel contrôle parlementaire ? », Centre de droit public de l’Université de Bruxelles. Sur le thème du contrôle parlementaire en période de pouvoirs spéciaux, voy. égal. J. Clarenne, « Quelle garantie de contrôle parlementaire des pouvoirs spéciaux en contexte de confinement ? », Le Soir, 27 mars 2020.

[35] Moniteur belge, 24 mars 2020.

[36] Avis n° 53.018/AG du 13 mai 2013 sur un projet d’arrêté royal relatif au contrôle sanitaire du trafic international.

[37] Le Soir, 26 mars 2020.

[39] M. Verdussen, Réenchanter la Constitution, op.cit., p. 88.

[40] R. Dworkin, « The Trouble with the Tribunals », New York Review of Books, 25 avril 2002. Voy. égal. B. Ackerman, « Don’t Panic », London Review of Books, 7 février 2002 : « Above all else, we must prevent politicians from exploiting momentary panic to impose long-lasting limitations on liberty ».

[41] COVID-19 | Pouvoirs spéciaux : la Ligue des droits humains adresse une lettre aux parlementaires et au gouvernement, 26 mars 2020. Comme le souligne la professeure Céline Romainville, vice-présidente de la Ligue des droits humains, « il ne faut pas confondre le besoin d’État avec l’attraction pour un régime autoritaire », car « un État fort, en réalité, est un État qui respecte les droits et libertés » : « Coronavirus : face à la tentation autoritaire, la vigilance s’impose, l’Avenir, 10 avril 2020.

[42] « Tribune – L’urgence des libertés », Libération, 13 avril 2020.

[43] M. Verdussen, « Les tentations des sociétés démocratiques dans la lutte contre le terrorisme », Annuaire international des droits de l’homme, 2007, vol. II, p. 364.

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