Habib Badjinri Touré – L’approche One Health en quête de son identité juridique. Propos conclusifs

Habib Badjinri Touré
Maître de conférences en droit public à l’Université de Grenoble Alpes, Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE)

Comme l’a relevé Éloïse Gennet1, l’approche « Une seule santé » a pour point de départ l’interdépendance de la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Sur cette base, elle viserait donc à équilibrer et optimiser durablement les trois composantes de cette santé unique2. Pourtant, si cette interdépendance n’est plus à démontrer, du point de vue du juridique l’approche One Health fait l’objet d’une difficile intégration dans le droit européen ainsi que dans les différentes branches droit international. Ainsi, l’intérêt de traiter cette question s’en trouve établit et provient d’un constat contrasté entre l’existence de cette interdépendance et l’absence, du moins, la paucité de mécanismes juridiques tendant à encadrer, à règlementer, en un mot à appréhender juridiquement l’approche One Health qui se développe au demeurant dans d’autres disciplines. Et d’ailleurs cette interdisciplinarité du One Health se conjugue en pratique avec l’action des institutions internationales et européennes depuis quelques années.

La recherche d’une consécration juridique de l’approche One Health

Du point de vue du droit en général et du droit international en particulier, donc, l’approche One Health suscite plus d’interrogation qu’elle n’en résout. Toutes ces interrogations liées au problème d’existence d’une approche juridique de One Health d’une part et aux problèmes de normativité auxquelles elle se trouve ou peut se trouver confrontée d’autre part nous rappellent, aux internationalistes en particulier, le Cours général de droit international public donné en 1992 à l’Académie de droit international de La Haye par Prosper Weil intitulé Le droit international en quête de son identité3. Empruntant le même chemin ou le même schéma de réflexion, l’on peut également se lancer à la quête de l’identité juridique de l’approche One Health en droit international et européen. La recherche de cette identité juridique repose sur l’évocation des problèmes d’existence ou l’examen des problèmes de normativité auxquels l’approche « Une seule santé » est confrontée. Pourrait-on ainsi dire que l’identité juridique de One Health serait subordonnée à la détermination de règles de droit en la matière, leur intégration substantielle dans les différents ordres juridiques dont l’ordre juridique international et européen ainsi que les possibilités de sanction de cette normativité qui en serait établie. En effet, on sait que sur la scène internationale, les États ressentent le besoin de disposer de « règles du jeu [et de] règles dans le jeu »4 dans la perspective « de pouvoir donner à leurs comportements et à leurs actes juridiques des effets dont ils puissent déterminer la validité comme la légalité intrinsèque »5 et dont la sanction de la violation peut être prononcée par le juge ou l’arbitre international. Il n’est pas établi qu’à ce stade, l’approche One Health bénéficie d’une reconnaissance juridique des États en tant que norme.

Ainsi, à l’instar de la norme impérative – jus cogens – dont la consécration en droit international n’a pas été évidente tant du fait de son indétermination que de la réticence des États6, tout l’enjeu dans l’étude juridique de One Health est d’apprécier, compte tenu du contexte général dans lequel la problématique apparaît, la réalité de l’approche « Une seule santé » en droit positif et les suites qui pourront lui être données dans la pratique internationale. L’interrogation n’est pas en réalité vaine. Dans la mesure où certains considèrent que le droit international et le droit européen prennent déjà en compte les liens entre santé humaine, animale et environnementale, il y a alors lieu de questionner la valeur ajoutée d’une approche juridique One Health. Il en est de même de ce qu’elle peut impliquer au regard de son inscription dans le futur accord mondial sur les pandémies.

Les occurrences insuffisantes d’une « One health juridique » en droit international et européen

À cet égard, les riches contributions de ce dossier ont permis de tirer quelques conclusions partielles, voire transitoires. Aux questions de savoir quelle est la place et comment se transcrit juridiquement ce concept d’un point de vue institutionnel et normatif, on peut dire que si l’on en trouve des traces depuis la crise du Covid-19 notamment au niveau européen, il semble ne pas exister de façon concrète de mécanismes juridiques permettant le décloisonnement des règles relatives à la protection de la santé humaine, animale et environnementale.

En effet, en dépit de l’existence de structures institutionnelles internationales et européennes investies dans la mise en œuvre de l’approche One Health, celle-ci peine d’une part à se traduire juridiquement et d’autre part à produire des résultats efficaces face aux défis sanitaires actuels. Effectivement, l’imparfait inconnu que peut parfois représenter le One Health s’exprime par l’obscurité conceptuelle qui entoure cette approche et que justement Estelle Brosset a mise en lumière permettant d’apporter quelques éléments de clarté notamment dans le droit de l’Union européenne7. À cet égard, on constate la manière dont le droit de l’Union participe à la diffusion de cette approche dont la définition, au moins en droit européen s’est stabilisée. Une diffusion qui passe tantôt par une multiplication des occurrences tantôt par une structuration institutionnelle au sein de l’Union. En dépit de ces constatations, Estelle Brosset relève tout de même des points d’obscurité encore persistants qui résident notamment dans l’identification des obligations qui découle de ce qu’elle a appelé « un principe » et la manière dont il faut en assurer le respect.

La même difficulté se pose également dans le domaine des droits de l’homme avec la question du droit à un environnement sain, qu’il s’agisse du niveau international ou régional. Si les liens entre le droit à un environnement sain et le droit à la santé ne semblent souffrir d’aucune contestation majeure, comme l’illustrent les différents recours devant la Cour européenne des droits de l’homme8, le rapprochement entre One Health et droit à un environnement sain s’illustre bien par une absence presque totale de toute référence à l’approche « Une seule santé » tant dans les textes que dans le contentieux. L’on peut se permettre de parler de l’absence d’une approche droit de l’homme dans le concept One Health. On en déduit donc une méconnaissance de ce concept, mais aussi une difficulté à le mettre en œuvre dans le domaine des droits de l’homme. C’est certainement la raison pour laquelle, Sara Brimo considère l’approche One Health comme « une politique publique préventive » qui demeure juridiquement peu opérationnelle à ce stade9.

Par ailleurs, l’on aurait cru que One Health trouve un terrain favorable d’expression dans le droit de l’environnement. Que nenni ! L’on constate très vite les difficultés de la traduction juridique de l’approche « Une seule santé » et de sa mise en œuvre, et ce, malgré les régulières références à la santé dans les accords relatifs à l’environnement. Le constat des liens existant entre santé et environnement ne semble donc pas profiter juridiquement à l’approche One Health qui sans doute paie les frais de son origine justement en dehors du droit en général et du droit international en particulier. C’est donc un tableau moins ambitieux qui nous a été présenté relativement au chemin de ce concept en droit international de l’environnement par Sophie Gambardella10. Cela est justement bienvenu puisque, nous nous rendons compte qu’au-delà de simples occurrences, il y a encore du chemin à parcourir pour la transcription du One Health en prescription juridique internationale. C’est dans ce contexte qu’Ève Truilhé a tenté d’identifier l’impact de ce concept sur le développement du droit de l’environnement à l’échelle européenne. Très vite, l’on se rend également compte qu’il est difficile qu’un concept, qu’une approche produise des effets juridiques sur la réglementation européenne dès l’instant où ce concept ou cette approche ne fait pas l’objet de manifestation concrète dans le droit européen de l’environnement. On en déduit donc que l’érosion de la biodiversité et la santé environnementale sont encore trop peu prises en compte dans les initiatives One Health en droit européen de l’environnement.

Cette idée semble un tout petit peu contrastée par rapport à la prévention des pandémies au niveau du droit international et européen, domaine dans lequel l’approche « Une seule santé » se concrétise peu à peu. C’est à tout le moins ce qu’on peut déduire des contributions respectives de Stefania Négri et Éloïse Gennet. La première nous démontre d’une part comment le concept est de plus en plus intégré dans les instruments internationaux et qu’il peut se traduire par des obligations juridiques qui proviendront du futur accord mondial sur les pandémies. La seconde nous indique d’autre part, la manière dont, à l’issue de crise de Covid-19, l’Union européenne s’est fait le porte-parole de cette approche sur la scène internationale, après évidemment que le législateur européen ait dans la mesure du possible et avec les difficultés que cela comporte, transposer en termes juridiques l’approche One Health dans le droit européen relatif à la lutte contre les pandémies. L’on peut donc dire que s’il y a un domaine dans lequel l’approche One Health semble prendre son essor c’est bien celui de la prévention et de la réaction aux pandémies aussi bien au niveau régional qu’international. Peut-on dès lors considérer qu’il s’agit d’un concept limité à la prévention et à la gestion des crises ? Il est difficile de proposer une réponse ferme à cette question. Ce que l’on peut au moins affirmer, c’est que si cette approche se concrétise effectivement dans ce domaine, il y aura alors des possibilités qu’elle émerge dans d’autres, comme celui de la santé animale et/ou nutritionnelle.

À cet égard, l’on aperçoit qu’en partant du prisme de la santé animale, les résultats ne sont plus vertueux si l’on apprécie la question du point de vue du droit international. Par exemple, dans le cadre de l’élaboration de normes produites par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l’Organisation mondiale de la santé animale, ces dernières exerceront nécessairement une influence sur la mise en œuvre de One Health. Cependant, la forte influence des considérations commerciales se révèle comme un obstacle à la transformation de ces normes produites par l’Organisation mondiale de la santé animale en règles contraignantes. L’on constate donc l’absence d’un cadre juridique cohérent prenant en compte la perspective holistique que représente l’approche One Health11.

One health en quête perpétuelle de son identité juridique

En définitive et à l’issue des interventions, il semble que plutôt qu’une notion ou un concept juridique fortement présent dans les instruments normatifs, One Health apparaît davantage comme un instrument de politique publique tant au niveau interne qu’international et surtout beaucoup moins opérationnel12. Il est une sorte de mantra selon l’expression utilisée par Ève Truilhé, un totem de communication utile à la sensibilisation relative à l’interdépendance entre la santé humaine, environnementale et animale. Toutefois, cela ne remet pas en cause l’opportunité d’une juridicisation de ce concept, dont on peut imaginer que sa mobilisation dans le contentieux des droits de l’homme ou du droit de l’environnement pourrait éventuellement influencer le raisonnement de l’interprète.

En tout état de cause, l’approche One Health est donc en quête perpétuelle de son identité juridique. Ce n’est d’ailleurs pas un problème en soi puisqu’en tant que concept relativement récent, il lui faut trouver sa place et sa définition avant de produire des effets juridiques concrets. L’apport de l’Union européenne sera certainement indéniable et si l’accord mondial sur les pandémies aboutissait, ce serait alors le début d’une identité juridique remarquable pour l’approche One Health.

Pour l’heure, nous avions assigné à ce workshop, qui constitue par ailleurs le premier d’une longue série tant les interrogations sont nombreuses, le défi de proposer une première tentative de décloisonnement(s), une première tentative d’interrogation de l’apport juridique de cette approche One Health dans le but de déterminer si elle existe juridiquement et si elle prescrit des normes de comportement destinées à minimiser les risques sanitaires à l’interface entre l’humain, l’animal et l’environnement. La réponse est qu’il y a partout des traces de One Health, mais dans le même temps, One Health n’est nulle part. Le décloisonnement des domaines de la santé humaine, environnementale et animale n’est pas non plus avéré, car pour l’instant l’approche semble relever juridiquement de l’ordre du prospectif. Nous avons donc atteint notre objectif qui était de susciter des questionnements pour l’avenir. En conclusion, One Health est encore en quête de son identité en droit international et européen.


1 E. Gennet, « One Health à la croisée des disciplines et des normes. Propos introductifs », dans ce dossier.

2 One Health High-Level Expert Panel (OHHLEP), Adisasmito WB, Almuhairi S, Behravesh CB, Bilivogui P, Bukachi SA et al., « One Health: A new definition for a sustainable and healthy future », PLoS Pathog, 2022, 18(6), p. e1010537.

3 P. Weil, « Le droit international en quête de son identité », RCADI, vol. 237, Brill | Nijhoff, 1992.

4 J. Combacau, « Le droit international : bric-à-brac ou système ? », Archives de philosophie du droit, Le système juridique, Paris, Sirey, 1986, p. 85 et s.

5 P.-M. Dupuy, « L’unité de l’ordre juridique international », RCADI, vol. 297, Brill | Nijhoff, 2002, p. 62.

6 O. Deleau, « Les positions françaises à la Conférence de Vienne sur le droit des traités », AFDI, vol. 15, 1969, p. 7-23.

7 E. Brosset, « Première approche de l’approche One Health en droit de l’Union européenne », dans ce dossier.

8 CrEDH, Di Sarno et autres c. Italie, arrêt du 10 janvier 2012 ; Tatar c. Roumanie, arrêt du 27 janvier 2009.

9 S. Brimo, « One Health et droit à un environnement sain : du global au justiciable ? », dans ce dossier.

10 S. Gambardella, « One Health : une nouvelle nuance dans le camaïeu des concepts intégrateurs du droit international de l’environnement ? », dans ce dossier.

11 Voy. La contribution orale de J. Reeves, « L’approche “One Health” d’un droit international dépourvu d’approche “One Law” pour l’animal ».

12 S. Brimo, « One Health et droit à un environnement sain : du global au justiciable ? », dans ce dossier.


Habib Badjinri Touré, « L’approche One Health en quête de son identité juridique. Propos conclusifs», One Health en droit international et européen [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 03 | 2025, mis en ligne le 6 mars 2025. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=3870.

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