Éloïse Gennet – Le droit de l’Union européenne en matière de lutte contre les pandémies comme laboratoire de l’approche One Health

Éloïse Gennet
Professeur junior en droit européen de la santé et des médicaments, Aix Marseille Univ, CNRS, DICE, CERIC, Aix-en-Provence, France

Résumé : La pandémie de Covid-19 a brutalement révélé les failles de la prévention et de la gestion des crises sanitaires, mettant en lumière l’urgence d’une approche plus intégrée : One Health. Reconnaissant l’interconnexion entre santé humaine, animale et environnementale, l’Union européenne a saisi cette opportunité pour refondre son cadre juridique avec l’adoption du règlement 2022/2371 et de la recommandation du Conseil de 2023 sur la résistance aux antimicrobiens. Mais cette intégration reste fragmentée, oscillant entre obligations contraignantes et simples recommandations, témoignant des limites de la compétence européenne en santé publique. Pourtant, l’UE ne se contente pas d’un rôle interne : elle ambitionne de façonner la gouvernance sanitaire mondiale en imposant One Health au cœur du futur traité sur les pandémies de l’OMS. Ces avancées marquent-elles un tournant décisif ou restent-elles un affichage politique sans véritable portée normative ? En cherchant à concilier coordination internationale et respect des souverainetés nationales, l’UE parvient-elle réellement à dépasser les cloisonnements juridiques et institutionnels ? Cet article explore les forces et faiblesses de cette montée en puissance de One Health, entre ambition et contraintes.

Ce travail a bénéficié d’une aide du gouvernement français au titre de France 2030, dans le cadre de l’Initiative d’Excellence d’Aix-Marseille Université – A*MIDEX – et du soutien de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre de la Chaire de professeur junior ANR-22-CPJ2-0021-01.

Introduction

Partant du constat de l’interdépendance de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement, l’approche One Health vise à équilibrer et optimiser durablement cette santé à la fois triple et unique1. Or si cette approche devient un remède aux menaces de santé à cette triple interface, alors le domaine de la lutte contre les pandémies en sera un premier domaine d’expérimentation2, un cobaye de prédilection dans lequel l’efficacité de l’approche a le plus de chance d’être démontrée avec succès.

Et en effet, le Covid-19 a illustré avec fracas l’une des potentielles répercussions du mépris de l’interdépendance entre santés humaine, animale et environnementale3. Or, il est d’ores et déjà établi que d’autres menaces potentiellement plus graves surviendront dans les décennies à venir, ce que le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, nomme « maladie X »4. Or, outre les menaces virales, les sources d’inquiétudes concernent aussi les bactéries, notamment celles qui résistent aux antibiotiques. Thème One Health par excellence, la résistance antimicrobienne est aussi insidieuse que dangereuse : plus elle se propage, moins l’on sera en mesure de stopper une éventuelle pandémie d’origine bactérienne, à tel point que d’aucuns, y compris la Commission européenne, la qualifient volontiers de « pandémie silencieuse »5. La résistance aux antibiotiques ou « résistance antimicrobienne » se propage par simple contact entre êtres vivants, par la consommation de viande ou de végétaux, par la contamination des sols et de l’eau, et ce dans un contexte où le réchauffement climatique et l’augmentation de la densité urbaine accroissent encore davantage les risques de transmission6.

À la suite du Covid-19, le législateur communautaire a entrepris de réformer son cadre juridique afin de proposer quelque chose de « plus solide et plus complet permettant à l’Union de se préparer aux crises sanitaires et d’y répondre » et de « remédier aux faiblesses révélées par la pandémie »7. Certes, les États étaient déjà soumis à certaines obligations, dont celles de notifier à la Commission et aux autres États membres toutes les mesures nationales prises pour éviter la propagation de maladies contagieuses, qu’elles soient d’origine humaine ou animale8. De même, la décision 1082/2013 relative aux menaces transfrontières graves pour la santé permettait aux États de se coordonner et de mieux se concerter au sein d’un Comité de sécurité sanitaire9. Toutefois, les obligations issues de cette décision demeuraient « minimales »10 et peu aptes à garantir une « réaction optimale » en cas de menace11.

Au titre de cette réforme postpandémie, ont été adoptés le règlement 2022/2371 du 23 novembre 2022 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé12, une recommandation du Conseil du 1er juin 2023 relative au renforcement des actions de l’Union visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans le cadre d’une approche « Une seule santé »13, ainsi qu’une communication de la Commission européenne du 30 novembre 2022, consacrant une nouvelle stratégie dont l’objectif central est de faire de la santé mondiale « un pilier essentiel de la politique extérieure de l’UE »14. De nombreux autres instruments participent de cette réforme, mais plus que d’autres, ces trois textes semblent particulièrement témoigner d’une première tentative de définition et mise en œuvre de l’approche « Une seule santé ».

L’Union européenne se lance ainsi le défi de concrétiser cette approche, de trouver, tel un scientifique testant son médicament expérimental, les caractéristiques optimales de sa mise en place : ses ingrédients, son dosage, son mode d’absorption, mais aussi ses effets secondaires ou indésirables… À cet égard, le droit de l’Union européenne de la santé constitue un laboratoire de recherche particulièrement fécond, et ce, pour deux raisons principales. D’abord, le droit de l’Union est souvent considéré comme un « laboratoire du droit global »15, et ensuite, le droit de l’Union européenne de la santé constitue lui-même un laboratoire d’expérimentation pour les autres droits de l’Union16.

Pour toutes ces raisons, une étude de l’approche One Health dans le droit de l’Union européenne de la lutte contre les menaces transfrontières graves apparaît nécessaire tant elle permet d’observer sur le vif la formation d’un droit en cours d’élaboration. L’objectif sera d’examiner les contours de l’approche, ses effets juridiques, ou le type d’obligations qui en découlent. Surtout, il s’agira d’examiner la position et le rôle du droit de l’Union européenne dans l’émergence de cette approche sur la scène juridique nationale, européenne et internationale. Le droit de l’Union européenne se pose à la fois en acteur normatif (I) et en acteur opérationnel (II), non seulement de la sécurité sanitaire internationale17, mais désormais aussi de la mise en œuvre d’une approche One Health dans la promotion de cette sécurité sanitaire internationale. Enfin, outre ces rôles normatif et opérationnel, le droit de l’Union européenne semble également s’imposer en acteur politique de l’approche One Health au-delà de ses frontières (III).

I. Le droit de l’Union européenne, acteur normatif de l’approche One Health

Pour commencer, le nouveau cadre juridique de lutte contre les menaces transfrontières graves consacre à son tour la définition – précédemment inscrite dans le programme EU4Health18 – de l’approche « Une seule santé » comme une « approche multisectorielle qui reconnaît que la santé humaine est liée à la santé animale et à l’environnement, et que les mesures de lutte contre les menaces sanitaires doivent tenir compte de ces trois dimensions »19. Dans ses considérants, le règlement constate la responsabilité humaine dans l’apparition des menaces sanitaires en établissant explicitement que « la surexploitation de la faune sauvage et des autres ressources naturelles ainsi que la perte accélérée de biodiversité représentent une menace pour la santé humaine »20. Le règlement relie également l’approche « une seule santé » à celle de « la santé dans toutes les politiques » qu’on associe au principe d’intégration inscrit à l’article 168 § 1 TFUE. La santé humaine étant transversale, tous les domaines et activités de l’Union pertinents doivent être mobilisés21.

Surtout, le nouveau règlement oblige la Commission (et incite les États membres) à adopter une approche One Health dans l’élaboration des plans de prévention, préparation et réaction en cas de menace. Et c’est bien là que réside la véritable nouveauté du cadre juridique de l’Union de la lutte contre les pandémies. En sus des plans nationaux, la Commission européenne elle-même devra établir un plan de l’Union de prévention, préparation et réaction aux crises sanitaires22. Or précisément, et c’est l’obligation majeure qui ressort de l’usage de l’impératif dans le règlement, ce plan de l’Union devra suivre une approche « une seule santé »23. L’Union s’impose donc de préparer un plan, et de le faire dans une approche One Health, probablement également dans l’espoir d’inciter les États à suivre son exemple. En effet, ce plan de l’Union ne vient en réalité qu’en complément des plans nationaux de préparation que les États sont tenus d’établir en vertu du Règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la santé24. Ainsi, selon ce règlement 2022/2371, les plans nationaux « peuvent » comprendre les mêmes éléments que celui du plan de l’Union, notamment les éléments relatifs à l’approche One Health25.

En outre, c’est sur la question de la détection et de l’évaluation des risques que l’approche One Health sera déclinée en obligations juridiques. Depuis 2013, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a la mission d’organiser la surveillance épidémiologique, notamment via le Système d’alerte précoce et de réaction (SAPR)26. Dans ce contexte, le nouveau règlement encourage la Commission et l’ECDC à intégrer automatiquement dans ce système tous types de données (climat, irrigation etc.) « qui pourraient faciliter la compréhension et atténuer le risque de menaces potentielles pour la santé », « éviter les actions redondantes » et « recevoir les alertes concernant tous les types de risques d’une source unique coordonnée »27. Outre leur détection, c’est à propos de l’évaluation de ces risques que le règlement adapte le cadre juridique à l’approche One Health en s’assurant que l’expertise scientifique disponible soit « mobilisée d’une manière coordonnée et multidisciplinaire », que « la participation des agences et organes de l’Union […] soit élargie en fonction de leur spécialité afin de garantir une approche “tous risques” »28. Le règlement organise ainsi, à la demande de la Commission ou du Comité de sécurité sanitaire, la coordination des agences et organes de l’Union dans le but de fournir une évaluation de la gravité potentielle de la menace de santé publique identifiée et notifiée par l’intermédiaire du SAPR29.

Enfin, c’est avec la recommandation du Conseil sur l’approche One Health en matière de résistance antimicrobienne que le droit l’Union européenne se présente en acteur normatif de l’approche One Health. Bien que de manière non contraignante, le Conseil y définit à son tour des obligations à la charge des États et des institutions de l’Union. Ainsi, la majorité des dispositions consiste à « encourager » les États à mettre en place et à actualiser régulièrement un plan d’action national contre la résistance antimicrobienne, et surtout, de le faire sur la base de l’approche One Health30. Toutefois, en quantité comme en qualité, les mesures proposées ou suggérées dans la recommandation restent largement tributaires de la bonne volonté des États. Elle s’adresse beaucoup moins aux institutions, organes et agences de l’Union, et lorsqu’elle le fait, c’est surtout pour « se féliciter de l’intention de la Commission » de prolonger des initiatives déjà en place par exemple en matière de protection de l’environnement31, en matière de lutte contre la résistance antimicrobienne, que ce soit dans le domaine de la sécurité alimentaire32, ou de celle des produits phytosanitaires et biocides33. Surtout, le Conseil se félicite de la création d’un groupe interagence dédié à One Health entre l’EFSA, l’ECDC, l’Agence européenne du médicament, l’Agence européenne pour l’environnement et l’Agence européenne des produits chimiques34.

Pour conclure, on pourrait finalement s’étonner de l’absence d’obligations ou de principes clairs qui découleraient d’une appréhension juridique de l’approche One Health. S’il faut « tenir compte » de l’interdépendance des santés humaine, animale et environnementale dans la lutte contre les pandémies, le droit de l’Union européenne ne dispose finalement que de peu de moyens contraignants pour imposer cette approche à ses États membres. Cela contraste avec l’ampleur que semble prendre l’approche One Health dans les discours politiques à propos de l’Union européenne de la santé. Cela contraste aussi avec l’ancrage de nombreuses dispositions dans des considérations pratiques, logistiques, organisationnelles, qui laissent à penser que plutôt qu’en acteur normatif, le droit de l’Union offre une valeur ajoutée à l’adoption de l’approche One Health d’un point de vue plus opérationnel.

II. Le droit de l’Union européenne, acteur opérationnel de l’approche One Health

Plus qu’un principe normatif à ériger en quelques règles bien isolées et identifiées, l’approche One Health tend plutôt à imprégner le cadre juridique de manière parfois subtile, mais omniprésente. Elle le fait notamment à travers des recommandations certes non contraignantes, mais concrètes, techniques, et souvent essentielles au soutien de l’approche One Health.

Plusieurs indices de cette détermination à opérationnaliser l’approche One Health se trouvent dans les recommandations de politiques publiques très ciblées, formulées envers les États à propos de la lutte contre la résistance antimicrobienne35. Soucieux de la mise en œuvre effective des plans d’action nationaux, le Conseil suggère aux États d’allouer à ces plans suffisamment de ressources humaines et financières36, ou encore de leur attacher des « objectifs généraux mesurables » et « indicateurs permettant d’évaluer les progrès accomplis »37. Surtout, il suggère d’évaluer régulièrement les effets de ces plans et de rendre publics les résultats de ces évaluations38. Enfin, de manière plus indirecte mais tout aussi déterminante, le Conseil suggère aux États membres de construire les fondations nécessaires à toute velléité d’ancrer durablement et systématiquement l’approche One Health dans les pratiques, que ce soit par le biais de formations intersectorielles obligatoires en santé, ou encore par des actions de sensibilisation des professionnels comme du grand public39.

On retrouve également des témoins similaires de cette volonté de mise en œuvre effective de l’approche One Health dans le règlement sur la lutte contre les menaces transfrontières graves. Par exemple, ce dernier prévoit de soutenir concrètement la bonne mise en œuvre, « conformément aux approches “une seule santé” et “la santé dans toutes les politiques” », grâce à un financement provenant des programmes et instruments pertinents de l’Union »40. Il prévoit aussi que la Commission propose elle-même des formations du personnel de santé et du personnel de santé publique sur les formations interdisciplinaires « Une seule santé »41. Enfin et surtout, il organise le suivi des plans nationaux et de l’Union. Outre leurs obligations envers l’OMS en vertu du Règlement sanitaire international, les États devront établir des rapports sur la mise en œuvre de ces plans tous les trois ans, et ce afin de permettre au Comité de sécurité sanitaire au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) d’établir des rapports par pays, de suivre étroitement les progrès, et d’élaborer des plans d’action pour combler les éventuelles lacunes42. Le cas échéant, les États ont l’obligation de répondre aux recommandations de l’ECDC dans un délai précis et surtout de dûment justifier leur position, en particulier s’ils décident de ne pas les suivre43. Enfin, le Comité de sécurité sanitaire coordonne aussi la planification afin d’échanger des bonnes pratiques, favoriser l’interopérabilité, aider à suivre les progrès, et coordonner les actions en réaction aux lacunes constatées, etc.44.

Ainsi, on voit que de diverses manières, l’Union européenne se fait le relais de l’opérationnalisation d’une approche One Health dans les États membres. Certes, elle n’oblige pas les États à adopter une approche One Health. Néanmoins, par la formulation de recommandations concrètes et la mise en place d’un suivi individualisé et constructif, elle instaure tout un contexte opérationnel favorable au niveau européen, ayant la vocation et le potentiel d’être plus efficace qu’une norme contraignante déconnectée des réalités pratiques. Finalement, l’Union européenne joue ici son rôle d’appui, d’incitatrice, de coordinatrice, conformément à la compétence qui lui est conférée en la matière par l’article 168(5) TFUE, base juridique du règlement 2022/2371, ainsi que par l’article 168(6) TFUE, base juridique de la recommandation du Conseil. L’Union européenne ne peut pas adopter, faut-il le rappeler, de mesures d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires en matière de menaces transfrontières graves pour la santé. En revanche, elle peut user, et le fait volontiers, de son poids politique pour inciter les États à s’engager internationalement à adopter une approche One Health dans la lutte contre les menaces transfrontières.

III. Le droit de l’Union européenne, acteur politique de l’approche One Health au-delà de ses frontières

Plus encore que d’intégrer l’approche One Health dans son propre cadre juridique de prévention et de lutte contre les pandémies, la Commission européenne se fait également le porte-parole de cette approche sur la scène internationale.

En effet, dans une communication du 30 novembre 2022, cette dernière a adopté une nouvelle stratégie dont l’objectif est de faire de la santé mondiale « un pilier essentiel de la politique extérieure de l’UE »45. Cette stratégie prend en compte les interactions entre santés humaine, animale et environnementale à de nombreuses reprises. À cet égard, elle présente les facteurs environnementaux – tels l’assainissement de l’eau ou la gestion de déchets – comme des « causes profondes de la mauvaise santé »46. De même, elle identifie d’autres politiques publiques susceptibles d’avoir une incidence sur la santé mondiale et qu’il s’agirait d’associer efficacement, dont, entre autres, les efforts vers la neutralité climatique, la lutte contre la perte de biodiversité ou encore le trafic d’espèces sauvages47.

Mais surtout, la Commission européenne fait de l’adoption de l’approche One Health en matière de prévention et de lutte contre les menaces de santé d’ampleur mondiale l’une de ses trois priorités48. Elle insiste ainsi sur l’importance de rechercher une « prévention profonde »49, c’est-à-dire une prévention qui agisse sur les causes, notamment environnementales, d’apparition des agents pathogènes, notamment chez les animaux, et non uniquement sur les causes de leur transmission interhumaine. D’ailleurs, la Commission souligne à de nombreuses reprises dans cette stratégie, et en particulier dans ses principes directeurs n° 9 et 11, la nécessité d’intensifier la collaboration avec l’alliance quadripartite ainsi que de prioriser l’approche One Health dans les activités de l’OMS, dans les négociations du futur traité sur les pandémies ainsi que dans la révision du Règlement sanitaire international50.

Et effectivement, la Commission européenne a été activement impliquée dans les négociations récentes à l’Organisation mondiale de la santé liées à l’élaboration d’un traité sur les pandémies. Or, ses représentants ont explicitement plaidé, à répétition, et au nom de plusieurs États membres de l’Union, en faveur de l’adoption de l’approche One Health dans le futur traité sur les pandémies51. Si le mandat accordé à ce titre par décision du Conseil européen limite le pouvoir de négociation de la Commission aux questions qui relèvent de la compétence de l’Union52, l’annexe de cette décision mentionne l’approche One Health53. La Commission peut donc s’engager au nom de ses États membres pour défendre l’approche en tant qu’objectif ou principe général54, et elle le fera à de nombreuses reprises tout au long des négociations. Ainsi, la délégation officielle de l’Union européenne suggèrera plusieurs fois de formuler l’approche One Health comme un principe général plutôt que de se limiter à lui en donner une définition55. Parmi de nombreux autres exemples, elle suggérera aussi de proposer des programmes d’éducation relatifs à l’approche One Health dans les études de santé56 ou encore de créer un panel d’experts subsidiaire à la conférence des parties, panel chargé d’informer les parties et de fournir des conseils scientifiques multidisciplinaires basés sur une approche One Health57.

Cette concordance des obligations et ce relais du droit de l’Union européenne ne sont pas nouveaux. La doctrine avait déjà pu constater par le passé que l’Union jouait un rôle crucial dans la bonne mise en œuvre du Règlement sanitaire international58. Mais ce constat est particulièrement évident lorsque l’on s’intéresse aux dispositions relatives à l’approche une seule santé. L’Union utilise son influence politique au niveau international pour pallier sa faible compétence en matière de santé et favoriser l’agenda politique qu’elle estime prioritaire, pour ensuite se faire l’acteur de sa mise en œuvre. Cette démarche n’est d’ailleurs pas cachée dans la communication de la Commission relative à la stratégie de l’UE en matière de santé mondiale. Cette dernière vise explicitement à accroître l’influence de l’Union sur la scène internationale ; la Commission rappelle à ce titre que l’Union et ses États membres versent des contributions financières très substantielles à l’OMS et qu’il faudrait veiller à ce que celles-ci se traduisent par des pouvoirs décisionnels proportionnels et soutiennent effectivement les priorités de l’Union européenne59 – en l’occurrence, l’approche One Health.

Conclusion

En conclusion, la présente étude a permis de révéler que le droit de l’Union européenne se fait le relais normatif et l’acteur opérationnel d’obligations juridiques de droit international que l’Union européenne en tant qu’acteur politique, participe à négocier. Il relaye l’idée de l’utilité de l’approche One Health, encourage les États membres mais également l’Organisation mondiale de la santé à la consacrer, la mettre en place, lui attacher des obligations juridiques. Le droit de l’Union européenne offre son soutien à la coordination, à l’expertise, à la formation, sans véritablement lui-même imposer de contraintes directes – ou très peu –, mais en se contentant d’instaurer des obligations procédurales, de suivi, d’évaluation ou d’assistance, autant de mesures indispensables à la bonne mise en œuvre de l’approche.

Les nombreuses dispositions adoptant ou faisant référence à l’approche One Health y sont donc très hétéroclites et varient dans leurs formes, émetteurs, destinataires, mais aussi dans leur autorité. Certaines s’adressent à l’Union, ses institutions et organes, d’autres à l’inverse s’adressent directement aux États membres ; certaines formulent des obligations contraignantes tandis que d’autres adoptent un discours plus incitatif que prescriptif.

Cette hétérogénéité des mesures One Health appliquées à la prévention et la lutte contre les pandémies reflète au moins trois choses. D’abord, elle reflète la complexité de la répartition des rôles entre l’Union et ses États membres dans un domaine de la santé publique où, malgré le témoin de l’insuffisance de coordination des États membres pendant le Covid-19, l’Union n’a qu’une compétence d’appui et donc une marge de manœuvre limitée. Ensuite, elle reflète aussi la complexité inhérente au caractère transversal de l’approche One Health qui suppose de faire collaborer de multiples disciplines, secteurs et institutions dont l’hyperspécialisation a jusqu’ici plutôt conduit à un fonctionnement cloisonné dans le cadre duquel le droit de l’Union européenne obéit à des compétences asymétriques. Enfin, cette hétérogénéité des mesures reflète aussi l’interdépendance des différentes échelles d’action. Si les solutions à ces problèmes globaux requièrent concertation et coordination à l’échelle mondiale, leur mise en œuvre doit nécessairement passer par une réappropriation aux échelles régionale et locale.

En définitive, l’étude n’aura pas tant permis de clarifier l’appréhension juridique par l’Union européenne de l’approche One Health en matière de lutte contre les menaces transfrontières graves, mais plutôt d’en montrer l’inéluctable complexité. Si cette dernière est déroutante, elle témoigne surtout du sérieux de cette expérimentation One Health qui se doit de répondre aux exigences de transversalité et de multiplicité des échelles. Sans pour autant présager de son succès ni exclure la nécessité éventuelle de revoir certains aspects du protocole, ce « laboratoire » qu’est le droit de l’Union de la santé continue d’explorer, de tester, d’expérimenter pour un jour peut-être innover en achevant une première application juridique de l’approche One Health.


1 One Health High-Level Expert Panel (OHHLEP), W.B. Adisasmito, S. Almuhairi, C. B. Behravesh, P. Bilivogui, S. A. Bukachi et al., « One Health: A new definition for a sustainable and healthy future », PLoS Pathog, 2022, vol. 18, n° 6, p.e1010537.

2 Direction générale pour la santé et la sécurité alimentaire, Commission européenne, One Health Conference – One Health for All, All for One Health, Opening session, 13 November 2023, Luxembourg.

3 Cf. Infra introduction du numéro spécial ; Voir aussi J. Mishra, P. Mishra, N. K. Arora, « Linkages between environmental issues and zoonotic diseases: with reference to Covid-19 pandemic », Environmental Sustainability, n° 4, 2021, p. 455-467 ; B. Roche, S. Morand, « Perte de biodiversité, prélude aux émergences virales », médecines/sciences, n° 38, 2022, p. 1039-1042.

4 Discours du Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur Général de l’Organisation mondiale de la santé, lors du 54e Forum économique mondial de Davos entre le 15 au 19 janvier 2024 (accès le 26 mai 2024).

5 R. A. Rayan, « Flare of the silent pandemic in the era of the COVID-19 pandemic : Obstacles and opportunities », World J Clin Cases, vol. 11, n° 6, 2023, p. 1267-1274 ; Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Stratégie de l’UE en matière de santé mondiale. Une meilleure santé pour tous dans un monde en mutation, COM(2022) 675 final, Bruxelles, 30 novembre 2022, Principe directeur n° 11.

6 W. Behrends, « AMR and climate change: a worrying dual threat to global health », Interview de Sabiha Essack, Healthcare in Europe, 28 avril 2022 (accès le 26 mai 2024). ; cf. infra contribution M. Cintrat ; Pour rappel, c’est d’ailleurs à ce propos que la définition de l’approche One Health a fait sa première apparition dans le paysage juridique de l’Union européenne. D’abord, dans le plan sur la résistance antimicrobienne de 2017, puis dans le programme EU4Health, cf. infra contribution E. Brosset.

7 Ibid.

8 Pour un exposé complet, v. E. Brosset, « Le droit de l’Union européenne des pandémies à l’épreuve de la crise de la Covid-19 : entre confinement et déconfinement », RTD Eur., 2020, p. 493 s.

9 Décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 oct. 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé et abrogeant la décis. n° 2119/98/CE, JOUE n° l 293, 5 novembre 2013, p. 1-15, Article 17.

10 E. Brosset, « Le droit de l’Union européenne des pandémies à l’épreuve de la crise de la Covid-19 : entre confinement et déconfinement », op. cit.

11 Proposition de règlement concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision nº 1082/2013/UE, COM/2020/727 final, Exposé des motifs, § 1.

12 Règlement 2022/2371 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n° 1082/2013/UE, JOUE, L 314, 6 décembre 2022, p. 26-63.

13 Recommandation du Conseil relative au renforcement des actions de l’Union visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans le cadre d’une approche « Une seule santé » (2023/C 220/01), JO C 220, 22.6.2023, p. 1-20.

14 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Stratégie de l’UE en matière de santé mondiale. Une meilleure santé pour tous dans un monde en mutation, COM(2022) 675 final, Bruxelles, 30 novembre 2022, § 1.

15 D. Dogot, A. Van Waeyenberge, « L’Union européenne comme laboratoire du droit global », in J.‑Y. Chérot, B. Frydman, La science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012, p. 251-273 ; C. Jentzsch, « L’Union européenne : laboratoire ou modèle de gouvernance ? La force du modèle européen pour un système de gouvernance mondiale », Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG), Fiche débat 1, mai 2005 (accès le 26 mai 2024).

16 E. Brosset, « De l’intérêt de considérer le droit de l’Union européenne de la santé : droit “miroir’’ ou droit “laboratoire’’ ? », LPA, n° 239, 2015, p. 8.

17 M. Baudel, « L’Union européenne et la sécurité sanitaire internationale », Paix et sécurité européenne et internationale, n° 13, 2019, p. 229-243.

18 Règlement (UE) 2021/522 du Parlement européen et du Conseil du 24 mars 2021 établissant un programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé (programme « L’UE pour la santé ») pour la période 2021-2027, et abrogeant le règlement (UE) n° 282/2014, JOUE, L 107 du 26.3.2021, p. 1-29 Article 2(5) ; cf. infra contribution E. Brosset.

19 Règlement 2022/2371, op. cit., Article 3.7.

20 Règlement 2022/2371, op. cit., Considérant 9.

21 Ibid., Considérant 10 ; Par exemple, il est particulièrement important « d’assurer l’interopérabilité du secteur de la santé et du secteur vétérinaire » en cas de menace transfrontière causée par une infection zoonotique. Ibid., Considérant 12.

22 Ibid., Article 5.

23 Le plan « comporte en particulier des dispositions conjointes en matière de gouvernance, de capacités et de ressources pour […] f) la préparation et la réaction dans le domaine de la santé et la collaboration multisectorielle, telle que la détermination des facteurs de risque de transmission de la maladie et la charge de morbidité associée, y compris les facteurs sociaux, économiques et environnementaux, en suivant une approche « Une seule santé » pour les maladies zoonotiques, d’origine alimentaire et hydrique et d’autres maladies pertinentes et problèmes sanitaires particuliers connexes ». Ibid., Article 5.3.f.

24 Organisation mondiale de la santé, Règlement sanitaire international (2005), 2e éd., 2008.

25 Règlement 2022/2371, op. cit., Article 6.2.

26 N. De Grove Valdeyron, « Santé publique », Répertoire de droit européen, 2020, § 120 et 128.

27 Règlement 2022/2371, op. cit., Considérant 29 ; Pour organiser l’échange d’information, l’interopérabilité des systèmes international et de l’Union et la coordination d’une approche One Health, le règlement prévoit que la Commission adopte de nouvelles procédures par voie d’actes d’exécution. Ibid., Article 18(4).

28 Ibid., Considérant 30.

29 Règlement 2022/2371, Article 20(1).

30 Recommandation du Conseil (2023/C 220/01), op. cit., partie A ; Le Conseil recommande notamment, de manière similaire à ce qui est établi dans le règlement 2022/2371, d’étendre la surveillance de la RAM au-delà de la santé humaine et animale. Par exemple, cela consiste à inclure les résistances issues de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques ou biocides ou intégrer les systèmes de surveillance pour englober « la santé humaine, la santé animale, la santé des végétaux, l’alimentation, les eaux usées et l’environnement (en particulier l’eau et les sols) ». Ibid., partie B.

31 Cela concerne par exemple le fait que la Commission prenne des mesures pour réaliser les objectifs de la Stratégie de la ferme à la table, notamment de réduire de 50 % les ventes totales dans l’Union d’antimicrobiens destinés aux animaux d’élevage et aquaculture d’ici 2030. Ibid., § 21 ; cf. infra contribution È. Truilhé.

32 La Commission continue d’évaluer, sur la base des avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les maladies animales causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques et susceptibles de nécessiter une surveillance renforcée. Ibid., § 6 ; cf. infra contribution M. Cintrat.

33 Ibid., § 14.

34 Ibid., § 37 ; cf. infra contribution E. Brosset.

35 Par exemple sur la gestion des engrais issus des déjections animales, des boues d’épuration, de collecte et élimination des résidus d’antibiotiques (que ce soit dans l’industrie du médicament, à l’hôpital, dans les élevages, dans les abattoirs, etc.) Recommandation du Conseil (2023/C 220/01), op. cit., parties C et D.

36 Ibid., partie A.2-4.

37 Ibid., partie A.1.

38 Ibid., partie A.2-4.

39 D’une part, il recommande aux États membres de prévoir, dans certains parcours et disciplines ciblés, des formations intersectorielles obligatoires sur la résistance antimicrobienne, la prévention des infections ou encore les risques environnementaux. D’autre part, il leur recommande aussi de mener des actions de sensibilisation des professionnels de santé humaine et vétérinaire ainsi que du grand public à l’utilisation prudente des antimicrobiens et à la bonne gestion de leur collecte élimination. Recommandation du Conseil (2023/C 220/01), op. cit., partie F.22-24.

40 Règlement 2022/2371, op. cit., Article 1.

41 Ibid., Article 11.

42 Ibid., Article 7.

43 Ibid., Article 8

44 Ibid., Article 10.

45 Communication de la Commission, Stratégie de l’UE en matière de santé mondiale. Une meilleure santé pour tous dans un monde en mutation, op. cit., § 1.

46 Ibid., Principe directeur 1.

47 Ibid., Principe directeur 12.

48 Ibid., § 2.3 ; Voir aussi principes directeurs n° 7 et 11.

49 J. E. Vinuales et al., « A Global Pandemic Treaty Should Aim for Deep Prevention », The Lancet, vol. 397, n° 10287, 2021, p. 1791–1792 ; Communication de la Commission, Stratégie de l’UE en matière de santé mondiale. Une meilleure santé pour tous dans un monde en mutation, op. cit., § 2.3, p. 14

50 Ibid., en particulier les principes directeurs 9 et 11.

51 Site web de la Délégation de l’Union européenne auprès des Nations unies et d’autres organisations internationales à Genève (accès le 26 mai 2024).

52 Décision (UE) 2022/451 du Conseil du 3 mars 2022 autorisant l’ouverture de négociations au nom de l’Union européenne en vue d’un accord international sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies, et en vue d’amendements complémentaires au règlement sanitaire international (2005), JOUE, L 92, 21.3.2022, p. 1-2.

53 L’approche « Une seule santé » y est mentionnée parmi une « série d’objectifs et de principes généraux, tels que le droit de jouir du meilleur état de santé possible, […] l’accès équitable aux contre-mesures médicales, […] l’approche « Une seule santé », la nécessité de prendre en considération les liens étroits entre la santé humaine, animale et environnementale […] », y compris en matière de résistance antimicrobienne. Ibid., Annexe, § 6 et § 9.

54 M. Bayerlein, P. A. Villarreal Lizárraga, « “One Health” and global health governance. Design and implementation at the international, European and German levels », Stiftung Wissenschaft und Politik Comment, n° 43, 2023.

55 European Union contribution to the identification of the substantive elements for a convention, agreement or other international instrument on pandemic prevention, preparedness and response, 28 avril 2022 (accès le 26 mai 2024), § 9-10 ; EU drafting suggestions to the Intergovernmental Negotiating Body Bureau’s proposal for negotiating text of the WHO Pandemic Agreement, 16 février 2024 (accès le 26 mai 2024), p. 3 et p. 6.

56 European Union contribution to the identification of the substantive elements for a convention, agreement or other international instrument on pandemic prevention, preparedness and response, 28 avril 2022, op. cit., § 24.

57 Proposition d’ajout d’un article 21 ter. Ibid., p. 35.

58 M. Baudel, « L’Union européenne et la sécurité sanitaire internationale », op. cit.

59 Communication de la Commission, Stratégie de l’UE en matière de santé mondiale. Une meilleure santé pour tous dans un monde en mutation, op. cit., Principe directeur 16.


Éloïse Gennet, « Le droit de l’Union européenne en matière de lutte contre les pandémies comme laboratoire de l’approche One Health», One Health en droit international et européen [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 03 | 2025, mis en ligne le 6 mars 2025. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=3779.

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