
Stefania Negri
Professeure associée de droit international, Coordinatrice du Module Jean Monnet « One Health: Global and EU Perspectives » (1HEALTH), Directrice du Centre d’excellence Jean Monnet « New Visions of the European Union’s Role in Global Health » (EU4GH), Département de sciences juridiques, Université de Salerne, Italie
Résumé : En examinant les outils offerts par le droit international pour mieux prévenir et répondre aux menaces sanitaires complexes émergeant à l’interface homme-animal-environnement, cet article vise à présenter le cadre général de l’approche One Health, de son essence conceptuelle, de ses éléments substantiels et institutionnels, des mécanismes de coopération et gouvernance internationaux développés au fil du temps. Il propose aussi une analyse critique des dispositions pertinentes contenues dans le projet de Traité international sur les pandémies de l’OMS, telles qu’elles ont évolué pendant les diverses étapes de négociation de l’accord jusqu’à la 77e session de l’Assemblée mondiale de la santé.
La pandémie de Covid-19 et d’autres émergences de santé publique survenues au cours des vingt dernières années (telles comme la SRAS, MERS, Ebola, Zika, la grippe aviaire et la grippe porcine et, tout récemment, la variole du singe) ont mis en évidence l’interconnexion entre santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes et la dangerosité des menaces sanitaires complexes surgissant à l’interface homme-animal-environnement. En même temps, elles ont souligné l’importance des zoonoses – maladies transmissibles dont l’agent d’origine animale, le plus souvent un virus, a franchi la barrière d’espèces pour atteindre l’homme – au sein du cadre global des maladies infectieuses1. Ces maladies dépendent également des écosystèmes, dont tout changement entraîne un risque nouveau. Elles peuvent avoir une origine liée en grande partie à des facteurs environnementaux, notamment le changement climatique, la perte de biodiversité, l’utilisation des terres, les systèmes alimentaires, la déforestation et l’urbanisation. Il s’agit donc de risques sanitaires multidimensionnels qui doivent être abordés de manière intégrée et collaborative, en s’appuyant sur une coopération multisectorielle, interdisciplinaire et interinstitutionnelle, tel que préconisé par l’approche One Health (Une seule santé)2.
La vision holistique de la santé proposée par l’approche One Health n’est pas nouvelle, mais elle a fait l’objet d’un remarquable regain d’attention. L’approche One Health a évolué au cours de la dernière décennie compte tenu de la fréquence et de la gravité accrues des menaces touchant la santé des êtres humains en même temps que celle des animaux, des végétaux et de l’environnement. Cette approche est aujourd’hui au cœur d’une collaboration renforcée entre les organisations internationales compétentes en matière de santé publique, santé et bien-être des animaux, sécurité alimentaire et protection de l’environnement (notamment l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé animale-OMSA, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture-FAO, le Programme des Nations Unies pour l’environnement-PNUE), réunies au niveau mondial dans une Alliance quadripartite qui vise à opérationnaliser le modèle One Health pour faire progresser la sécurité sanitaire globale3. Au niveau européen, l’approche One Health représente un pilier prioritaire de la nouvelle stratégie de l’Union européenne en matière de santé globale4 et fait en même temps l’objet d’une collaboration multisectorielle entre les cinq agences européennes compétentes (le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, l’Agence européenne des produits chimiques, l’Agence européenne de l’environnement, l’Autorité européenne de sécurité des aliments et l’Agence européenne des médicaments) coordonnées par une Cross-agency One Health Task Force5.
À la lumière de ce qui précède, cet article vise à donner un cadre général de l’approche One Health, de son essence conceptuelle, de ses éléments substantiels et à la fois institutionnels, des mécanismes de coopération et gouvernance internationaux développés au fil du temps. Il termine par une analyse des dispositions relatives à l’approche One Health contenues dans le projet de Traité international sur les pandémies de l’OMS telles qu’elles ont évolué pendant les diverses étapes de négociation de l’accord jusqu’à la 77e session de l’Assemblée mondiale de la santé.
I. Essence conceptuelle et domaines d’application de l’approche One Health
Basé sur les principes de Manhattan de 2004 sur « Un monde, une santé »6, le concept One Health incarne une vision holistique et cohérente des menaces pour la santé publique émergeant à l’interface homme-animal-environnement. Il s’agit d’une approche intégrée et systémique de la santé qui repose sur deux constats : en premier lieu, qu’il existe des liens étroits entre santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes, et en deuxième lieu que tout changement intervenant dans ces liens peut augmenter le risque d’apparition et de propagation de nouvelles maladies humaines et animales.
One Health s’applique à un large éventail de problèmes sanitaires, notamment les zoonoses, la résistance aux antimicrobiens (RAM), la sécurité des aliments et les maladies d’origine alimentaire, la santé environnementale et d’autres risques majeurs liant la santé publique, la santé des animaux, la santé des plantes et la protection de l’environnement.
D’un point de vue opérationnel, One Health fournit une plateforme unificatrice pour travailler sur les synergies entre ces domaines et pour combiner les forces et les efforts de diverses institutions et organisations vers des objectifs communs, y inclues la prévention des épidémies et l’atténuation de leur impact. À cet égard, le modèle One Health présente un grand potentiel pour renforcer la préparation et la réponse aux maladies infectieuses émergentes et nouvellement recensées, notamment en contribuant à garantir une détection précoce grâce à l’intégration des systèmes de contrôle dans les secteurs humain, animal, alimentaire et environnemental. One Health permet de mettre en place et d’institutionnaliser le partage intersectoriel des connaissances scientifiques, les activités de renseignement et la planification des réponses à tous les niveaux des organisations concernées et également de mettre au point des protocoles d’alerte et de gestion des menaces intersectorielles, ainsi que des processus de décision conjoints pour des solutions durables et globales.
D’un point de vue institutionnel, la mise en œuvre de One Health nécessite une collaboration interinstitutionnelle multisectorielle et la création de mécanismes de gouvernance à tous niveaux (mondial, régional et national). Au niveau international, son succès dépend en grande partie de la coopération systématique et coordonnée entre l’OMS, l’OMSA, la FAO et le PNUE, aussi bien que d’autres agences des Nations Unies et organisations internationales compétentes.
Une coopération synergique entre ces acteurs clés et les autres parties prenantes concernées est tout à fait essentielle pour décloisonner les « silos », obtenir des résultats optimaux dans la formulation des réponses normatives, minimiser l’existence de lacunes ou de chevauchements de régimes juridiques et éviter la duplication des efforts ou la fragmentation des résultats. En ce sens, l’opérationnalisation du modèle One Health dans la gestion des risques sanitaires complexes permet d’optimiser la prévention, la préparation et la réponse aux émergences de santé publique de relevance internationale et de réduire le risque de pandémies et d’épidémies futures.
II. La coopération internationale développée par l’Alliance quadripartite
Jusqu’à présent, la mise en œuvre de la vision One Health a été favorisée par la création d’une alliance formelle entre l’OMS, la FAO, l’OMSA et le PNUE, qui a promu et facilité les synergies en matière d’expertise, de communication, de production d’instruments normatifs et d’outils opérationnels.
Ce partenariat est né à l’origine comme Alliance tripartite OMS-FAO-OMSA. Au fil du temps, les trois organisations ont progressivement accru leur collaboration sur des questions d’intérêt commun relevant de leurs domaines de compétence respectifs. Elles ont créé des structures de gouvernance opérant dans le domaine de la résistance antimicrobienne, par exemple le Secrétariat conjoint tripartite, le Comité exécutif (composé des trois directeurs généraux) et le Groupe de haute direction, selon un modèle de collaboration renforcé qui pourrait être appliqué aussi aux zoonoses7. Elles ont également établi un système commun d’alerte précoce (GLEWS8) et développé des mécanismes pour améliorer la consultation9 et la coordination, notamment la coopération entre experts techniques, l’organisation de réunions tripartites annuelles de coordination exécutive et la nomination d’agents de liaison au niveau mondial.
En ce qui concerne plus particulièrement One Health, en 2008 les trois partenaires, ainsi que le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, la Banque mondiale et le Coordonnateur du système des Nations Unies pour la grippe, ont uni leurs forces pour produire un document stratégique intitulé « Contributing to One World, One Health. A Strategic Framework for Reducing Risks of Infectious Diseases at the Animal–Human–Ecosystems Interface »10. L’objectif primordial de ce cadre était de minimiser l’impact mondial des maladies d’origine animale, en particulier celles à potentiel pandémique, grâce à une approche internationale, interdisciplinaire et intersectorielle de la surveillance, du contrôle, de la prévention et de l’atténuation des maladies émergentes. Ce document définit la prévention et le contrôle des maladies infectieuses émergentes comme un « bien public international », exigeant une vision holistique à long terme et une action s’appuyant sur les institutions existantes et leurs mandats11. Il est remarquable qu’en abordant les questions institutionnelles, le document présente également des solutions possibles visant à engager et à renforcer la collaboration entre les principaux acteurs internationaux, notamment au moyen d’un mécanisme de coordination permanent « pour recueillir un soutien politique, contribuer à assurer la continuité des opérations conjointes et encourager une réactivité accrue aux nouvelles épidémies »12.
Par un document stratégique publié en 2010 – la Note conceptuelle tripartite13 – l’OMS, la FAO et l’OMSA se sont engagés sur le long terme à travailler encore plus étroitement pour assurer la cohérence de l’action dans la réponse mondiale aux maladies zoonotiques émergentes et à fort impact. La note conceptuelle souligne l’importance de renforcer la collaboration interinstitutionnelle en vue de mieux gérer les maladies existantes et nouvelles et d’améliorer la préparation et la réponse aux pandémies. Au premier rang des objectifs fixés par la note conceptuelle figuraient l’alignement et la cohérence des activités normatives mondiales ; la réalisation de travaux complémentaires pour développer des programmes visant à atteindre les objectifs One Health ; et l’élaboration de protocoles tripartites pour l’évaluation, la gestion et la communication des risques, comprenant des recommandations et des orientations à l’intention des états. D’un point de vue institutionnel, la note conceptuelle préconisait la création d’une conférence ministérielle conjointe impliquant les ministres de l’agriculture et de la santé au niveau mondial pour fournir une plate-forme de discussion sur les questions liées à la santé animale et humaine, y compris les zoonoses.
Pour faire progresser davantage l’approche One Health, les organisations partenaires ont identifié en 2011 trois menaces sanitaires majeures appelant une coopération multisectorielle et multi-institutionnelle : la RAM, la rage et la grippe zoonotique. En plus, conformément à leur vision stratégique renouvelée, illustrée dans l’Engagement tripartite de 201714, les trois partenaires ont confirmé leur engagement à adopter et à renforcer l’approche One Health, en fixant de nouvelles priorités d’action commune. Ils ont ainsi décidé d’élargir et d’améliorer leur coopération en matière de prospective, de préparation et de réponse aux maladies infectieuses émergentes, ré-émergentes et négligées, et de promouvoir une recherche et une réponse coordonnées aux maladies zoonotiques prioritaires.
L’Alliance tripartite a finalement été renforcée du point de vue juridique par le Mémorandum d’entente de 2018, qui complète les respectifs accords bilatéraux dans le but d’accroître la collaboration tripartite précisément dans le contexte de l’approche One Health15. L’objectif du Mémorandum étant en fait de « fournir un cadre formel et juridique pour la collaboration de longue date entre les Parties » afin de développer et de mettre en œuvre une approche multisectorielle face aux défis sanitaires complexes. L’un des trois principaux domaines de coopération concernait « les maladies zoonotiques émergentes et endémiques (y compris les maladies d’origine alimentaire) et le partage d’informations ». La coordination interinstitutionnelle pour la mise en œuvre des plans de travail tripartites devait s’appuyer sur la pratique des réunions conjointes de coordination exécutive, renforcées par la mise en place de groupes de travail spécifiques, l’identification de points focaux dans chaque institution partenaire et l’organisation de réunions trilatérales supplémentaires au niveau du bureau et au niveau des experts au sein des réseaux de points focaux sur chaque domaine thématique ou sur une base ad hoc16.
Pour améliorer le cadre de One Health en tant que système complexe, l’action des organisations et institutions internationales impliquées a commencé à se concentrer davantage sur la faune sauvage, la biodiversité et les habitats, en renforçant les approches interdisciplinaires et intersectorielles qui abordent non seulement la prévention des maladies, mais également la conservation de la biodiversité, le changement climatique et le développement durable en général17. À cette fin, l’Alliance tripartite a été officiellement élargie au PNUE avec la conclusion, le 17 mars 2022, d’un nouveau Mémorandum d’entente, dont les objectifs principaux sont : améliorer la capacité des pays à renforcer les systèmes de santé dans le cadre de l’approche One Health ; réduire les risques d’épidémies et de pandémies zoonotiques émergentes ou ré-émergentes ; contrôler et éliminer les maladies zoonotiques endémiques, tropicales, négligées ou à transmission vectorielle ; renforcer l’évaluation, la gestion et la communication des risques en matière de sécurité des aliments ; freiner la pandémie silencieuse de RAM ; mieux intégrer l’environnement dans les démarches One Health.
Ce Mémorandum a permis d’associer formellement et sur un pied d’égalité le PNUE à la coopération OMS-FAO-OMSA et, par conséquent, d’intégrer pleinement les enjeux environnementaux dans le travail conjoint mené par ces organisations pour une meilleure mise en œuvre de l’approche One Health.
III. Les démarches ultérieures : la création du Groupe d’experts de haut niveau et l’adoption du Plan d’action conjoint (2022‑2026)
Le lancement du Groupe d’experts de haut niveau One Health (One Health High Level Expert Group – OHHLEP) en mai 2021 a marqué une avancée remarquable dans les efforts de l’Alliance quadripartite pour lutter contre l’émergence et la propagation des maladies zoonotiques18. Le Groupe est chargé de fonctions consultatives scientifiques et politiques, et vise à fournir des orientations faisant autorité et des recommandations fondées pour une action mondiale, régionale et nationale.
Le travail du Groupe est divisé en quatre sous-groupes thématiques : a) mise en œuvre de « Une seule santé » ; b) inventaire des connaissances actuelles sur la prévention des zoonoses émergentes ; c) surveillance, détection précoce et échange rapide de données dans la prévention des zoonoses émergentes ; d) facteurs provoquant un débordement et la propagation ultérieure des maladies.
En 2022 le Groupe a adopté une définition conjointe de One Health qui représente la première définition commune élaborée à niveau international :
“Une seule santé” est une approche intégrée et unificatrice qui vise à optimiser la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes, et à trouver un équilibre entre ces dimensions, de manière durable.Elle prend acte du fait que la santé des êtres humains, ainsi que celle des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement en général (y compris des écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes.
Cette approche mobilise de multiples secteurs, disciplines et communautés à différents niveaux de la société en vue d’œuvrer ensemble pour promouvoir le bien-être et faire face aux menaces pour la santé et pour les écosystèmes, tout en tenant compte des besoins collectifs en eau potable, en énergie et en air propres, ainsi qu’en aliments sûrs et nutritifs. Elle permet aussi de combattre les changements climatiques et contribue au développement durable.
Il a aussi indiqué les principes fondamentaux qui sous-tendent l’approche One Health : équité, parité sociopolitique et multiculturelle, équilibre socioécologique, bonne gestion et responsabilité, collaboration transdisciplinaire et multisectorielle.
Plus récemment, le Groupe a élaboré un Livre blanc sur la prévention renforcée de la propagation des maladies zoonotiques au sein de la triade prévention, préparation et réponse aux pandémies, qui plaide en faveur de la nécessité de réduire le risque de propagation à la source plutôt que s’appuyer sur la détection et la réponse. Le Livre blanc plaide pour un changement de paradigme de réactif à proactif, ce qui nécessite de considérer les multiples facteurs responsables de l’émergence des maladies zoonotiques. Il s’agit notamment des changements dans l’utilisation des terres liés au développement des infrastructures et de l’industrie ou à l’expansion agricole, ainsi qu’à la chasse, à l’agriculture et au commerce d’animaux non durables, dangereux ou illégaux. En outre, le Livre blanc souligne l’importance de facteurs primordiaux tels que le changement climatique, la pauvreté et les inégalités socio-économiques, ainsi que les pratiques de base en matière de santé animale et humaine et de bien-être animal, qui doivent également être pris en compte19.
En octobre 2022, l’Alliance quadripartite s’est dotée d’un plan d’action conjoint (2022-2026) dont le but est de créer un cadre opérationnel commun pour intégrer les systèmes et les moyens afin qu’il soit possible collectivement mieux prévenir, prédire, détecter et répondre aux menaces sanitaires complexes et interconnectées. L’initiative, qui a été élaborée à l’issue d’un processus participatif, prévoit un ensemble d’activités visant à renforcer la collaboration, la communication, le renforcement des capacités et la coordination entre tous les secteurs responsables de la résolution des problèmes de santé à l’interface homme-animal-environnement. Ces actions comprennent notamment l’élaboration de directives d’application à destination des pays, des partenaires internationaux et des acteurs non étatiques tels que les organisations de la société civile, les organisations professionnelles, les universités et les instituts de recherche. Il s’appuie sur les initiatives mondiales et régionales existantes en matière de coordination, les complète et leur apporte une valeur ajoutée, en vue de renforcer la réponse aux risques sanitaires multidimensionnels complexes grâce à des systèmes de santé plus résilients aux niveaux mondial, régional et national.
Le plan quinquennal se base sur la « théorie du changement »20 proposée par le Groupe d’experts21 et met l’accent sur le soutien et l’élargissement des capacités dans six domaines d’action : capacités du plan d’action « Une seule santé » pour les systèmes de santé ; épidémies de zoonoses émergentes et résurgentes ; zoonoses endémiques, maladies tropicales et maladies transmises par vecteur négligées ; risques liés à la sécurité alimentaire ; résistance aux antimicrobiens ; environnement.
Le plan définit des objectifs opérationnels qui visent à tracer un cadre d’action collective et coordonnée pour intégrer l’approche One Health à tous les niveaux ; prévoir, en amont, une politique, des conseils en matière de législation et une assistance technique pour faciliter la détermination de priorités et d’objectifs nationaux ; promouvoir la collaboration multinationale, plurisectorielle et multidisciplinaire, ainsi que l’apprentissage et les échanges de connaissances, de solutions et de technologies. Il encourage également les valeurs de coopération et de responsabilité partagée, l’action et le partenariat plurisectoriels, l’égalité de genre et l’inclusion.
En bref, l’objectif du plan est de fournir les orientations politiques et législatives, les stratégies, l’assistance technique et les outils pour définir les priorités et mettre en place les activités conjointes qui puissent contribuer à l’avènement d’un monde davantage en mesure de prévenir, de prévoir et de détecter les menaces sanitaires complexes, d’y faire face et d’améliorer la santé des êtres humains, des animaux, des végétaux et de l’environnement, tout en contribuant au développement durable.
IV. Les développements futurs : l’intégration de l’approche One Health dans le Traité international sur les pandémies
Dès le début du processus de négociation lancé par l’OMS pour la conclusion d’un instrument juridique international visant à améliorer la prévention, la préparation et la riposte face aux futures pandémies, l’approche One Health a été considérée comme l’un des éléments clés du futur Traité international sur les pandémies.
À partir de l’élaboration du premier Projet conceptuel zéro, diffusé en novembre 2022, l’Organe intergouvernemental de négociation (OIN) a intégré One Health dans le texte du projet en le mentionnant parmi les principes inspirateurs et en lui dédiant une disposition ad hoc, notamment l’article 1722. Cet article met surtout l’accent sur les problèmes liés à la RAM sans pourtant négliger d’autres facteurs favorisant l’émergence de risques sanitaires complexes, y compris le changement climatique, le changement d’utilisation des terres, les commerces des espèces sauvages et la désertification. Il requiert de la part des Parties de développer et mettre en œuvre des plans nationaux en matière de RAM et d’améliorer les activités de surveillance et de monitoring. Il se réfère aussi à l’exigence de renforcer les systèmes de surveillance sur les zoonoses et de favoriser les synergies avec d’autres instruments internationaux pertinents concernant les facteurs environnementaux des pandémies.
L’article 18 du successif Projet zéro23 reflète une formulation un peu plus ample et se réfère tout d’abord aux maladies infectieuses émergentes d’origine zoonotique. Il requiert de la part des Parties de s’engager à promouvoir et à faire avancer des synergies multisectorielles et interdisciplinaires visant à l’identification, l’évaluation des risques et l’échange d’agents pathogènes à potentiel pandémique, ainsi qu’à renforcer les systèmes de surveillance et les capacités des laboratoires. Aux termes de cette nouvelle disposition, les Parties sont tenues : a) de mettre en œuvre des actions pour prévenir les pandémies causées par des pathogènes résistants aux agents antimicrobiens, en tenant compte des outils et des lignes directrices pertinents, et collaborer avec les partenaires concernés, y compris l’Alliance quadripartite ; b) favoriser les actions qui englobent l’ensemble du gouvernement (whole-of-government) et de la société (whole-of-society) finalisées au contrôle des épidémies d’origine zoonotique ; c) élaborer et mettre en œuvre un plan d’action national sur la résistance aux antimicrobiens ; d) améliorer la surveillance pour identifier et signaler les agents pathogènes résistants aux agents antimicrobiens ; e) prendre en compte l’approche One Health à tous niveaux afin de produire des preuves scientifiques et de soutenir, faciliter et/ou superviser la bonne mise en œuvre de mesures de prévention et de contrôle des infections.
Dans la version du Projet diffusé fin octobre 202324 – et préparé à partir du texte rédigé par le Bureau25 – toute référence à One Health disparaît de l’article 3 dédié aux principes généraux et approches qui devraient guider les Parties dans l’application de l’Accord et la réalisation de ses buts. Néanmoins, l’article 5 demande aux Parties de s’engager à promouvoir et mettre en œuvre un « principe » One Health qui soit cohérent, intégré, coordonné et collaboratif. Cette disposition prévoit que les Parties favorisent et renforcent les synergies entre la collaboration multisectorielle et transdisciplinaire au niveau national et la coopération au niveau international, afin d’identifier les risques et de les évaluer à l’interface entre les écosystèmes humains, animaux et environnementaux, tout en tenant compte de leur interdépendance, en partageant les avantages. Elle ajoute que les Parties s’engagent à identifier et à contrer les facteurs favorisant les pandémies ainsi que l’émergence et la réémergence de maladies à l’interface humain-animal-environnement en identifiant et en intégrant des interventions dans les plans de prévention et de préparation aux pandémies et, le cas échéant, conformément à la législation et aux capacités nationales, en renforçant les synergies avec d’autres instruments pertinents ; à mettre en œuvre des actions fondées sur la science, y compris, mais pas uniquement, l’amélioration des mesures de lutte contre les infections, de la recherche-développement en matière d’antimicrobiens, de l’accès aux antimicrobiens et de leur gestion, ainsi que l’harmonisation de la surveillance afin de prévenir les pandémies, d’en réduire le risque et de s’y préparer ; à encourager et mettre en œuvre des interventions à l’échelle nationale et communautaire qui intègrent des actions menées par l’ensemble des pouvoirs publics et de la société pour lutter contre des flambées zoonotiques, y compris par la participation des communautés à la surveillance pour repérer les flambées zoonotiques ; à tenir compte du principe « Une seule santé » afin de produire des données scientifiques, y compris en lien avec les sciences sociales et les sciences du comportement et avec la communication sur les risques et la mobilisation communautaire ; et à favoriser ou mettre en place des programmes conjoints de formation initiale et continue.
Par rapport au texte proposé par le Bureau, cette version de l’article 5 renonce à toute référence à la coopération finalisée à la réalisation des évaluations des risques et au partage des agents pathogènes à potentiel pandémique ; à l’importance des facteurs à l’origine de l’émergence et de la réémergence de maladies à l’interface homme-animal-environnement, notamment le changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation des écosystèmes, le changement d’utilisation des terres, le commerce des espèces sauvages, la désertification, la résistance aux antimicrobiens ; à la nécessité de renforcer les systèmes de surveillance et la capacité des laboratoires à identifier et évaluer les risques et l’émergence d’agents pathogènes et de variantes à potentiel pandémique, afin de minimiser les événements de contagion, les mutations et les risques associés aux zoonoses négligées, tropicales et à transmission vectorielle.
Enfin, le projet révisé de mars 202426 présente une formulation de l’approche One Health beaucoup plus synthétique et « faible » du point de vue des obligations juridiques découlant de l’Accord. L’article 5 continue de qualifier One Health de « principe ». Aux termes de cette disposition, les Parties s’engagent à promouvoir et mettre en œuvre toutes les politiques et les stratégies nationales pertinentes qui soient l’expression de ce principe ; à encourager la participation effective des communautés ; à mettre en place des programmes de formation à destination des divers secteurs impliqués, afin de renforcer leurs compétences et capacités. Enfin, les Parties sont appelées à contribuer à la poursuite de l’élaboration et de la mise à jour de normes et de lignes directrices internationales ainsi qu’à mettre en place ou renforcer des dispositifs visant à intensifier l’appui financier et technique, l’assistance et la coopération surtout en faveur des pays en développement.
Dans la toute dernière version d’avril 2024, qui a été soumise à l’Assemblée mondiale de la santé à sa 77e session27, One Health est à nouveau qualifié d’« approche » et les engagements des Parties reprennent plus ou moins les expressions utilisées dans le texte précédent. La nouveauté cette fois est qu’il est établi au paragraphe 4 que « [l]es modalités, les conditions et les dimensions opérationnelles d’une approche “Une seule santé” seront définies plus en détail dans un instrument qui prendra en considération les dispositions du Règlement sanitaire international (2005) et qui sera opérationnel au plus tard le 31 mai 2026. » Cela signifie que l’OIN a renoncé à définir dans l’Accord même les règles et les obligations essentielles pour opérationnaliser l’approche One Health à tous niveaux en renvoyant la discipline pertinente à la rédaction d’un instrument juridique successif. Bien évidemment, ce choix peu ambitieux répond au besoin de faciliter l’atteinte d’un consensus lors des négociations.
Considérations conclusives
La sécurité sanitaire globale dans l’ère post-Covid dépend largement de la capacité des institutions internationales et des États de mettre en place des mécanismes de collaboration interinstitutionnelle, multisectorielle et interdisciplinaire pour mieux prévenir les futures épidémies humaines et les maladies zoonotiques à potentiel pandémique. En s’appuyant sur une vision holistique et unificatrice de la santé, l’approche One Health théorise ce modèle de coopération transversale et intégrée à tous niveaux et promeut un changement de paradigme en matière de lutte contre les risques sanitaires à l’interface homme-animal-écosystèmes mouvant de la réaction à la « prévention approfondie »28.
La mise en œuvre de l’approche One Health a enregistré des progrès importants à l’échelle mondiale grâce à la collaboration menée par l’Alliance quadripartite et le travail de son Groupe d’experts de haut niveau, qui vient de fournir la première définition commune de One Health et plusieurs outils juridiques qui favorisent l’opérationnalisation de cette approche. De développements positifs se sont également produits au niveau européen par l’action concertée des agences de l’Union européenne à travers de la Task force inter-agence et de son plan d’action (2024‑2026).
En revanche, l’évolution du texte du projet de Traité international sur les pandémies se présente beaucoup moins satisfaisante en ce qui concerne l’intégration de l’approche One Health. Il est bien évident que les dispositions pertinentes ont plutôt subi une involution jusqu’à la toute dernière version qui ne prévoit pas de règles communes ni d’obligations significatives. Même le devoir des Parties d’adopter des plans nationaux a complètement disparu. Enfin, le choix de renvoyer à un instrument futur la définition des modalités, conditions et dimensions opérationnelles de l’approche One Health ne facilite point la tâche de parvenir rapidement à des résultats appréciables et à surmonter les multiples difficultés, techniques, financières et aussi humaines auxquelles se heurte concrètement la gestion des risques sanitaires complexes surgissant à l’interface homme-animal-écosytèmes.
1 L’incidence des zoonoses sur les taux de mortalité et morbidité globales demeure très élevée et représente aujourd’hui une priorité de santé publique mondiale. Se propageant à l’homme par contact direct ou par les aliments, l’eau ou l’environnement, les zoonoses représentent un pourcentage important de l’ensemble des maladies infectieuses nouvelles et existantes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’environ 60 % des agents pathogènes humains se propagent à partir de réservoirs animaux domestiques ou sauvages, et que près de 75 % des maladies infectieuses nouvellement recensées ou émergentes sont transmises des animaux à l’homme. Voir [https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/zoonoses], [https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/one-health].
2 S. Negri, M. Eccleston-Turner, « One Health and Pathogen Sharing: Filling the Gap in the International Health Regulations to Strengthen Global Pandemic Preparedness and Response », International Organizations Law Review, Special Issue “Reforming the International Health Regulations”, Guest editors G.L. Burci, L. Forman, S.J. Hoffman, Vol. 19-1, 2022, p. 188-214 ; M. Bayerlein, P.A. Villarreal Lizárraga, « “One Health” and Global Health Governance. Design and implementation at the international, European, and German levels », SWP Comment 2023/C 43, 27 July 2023.
3 Voir [https://www.fao.org/one-health/background/coordination/en].
4 Voir [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_7153].
5 Voir [https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/cross-agency-one-health-task-force-framework-action].
6 Voir [oneworldonehealth.wcs.org/About-Us/Mission/The-Manhattan-Principles.aspx].
7 Sans doute l’expérience réussie acquise dans le domaine de la RAM pourrait être reproduite ou étendue aux maladies infectieuses. Par exemple, l’Alliance pourrait lancer un « Groupe de coordination interinstitutionnel sur les zoonoses » – composé de représentants de haut niveau de l’OMS, de la FAO, de l’OIE, du PNUE et d’autres agences compétentes des Nations Unies ou d’organisations internationales – ou établir d’autres structures et mécanismes tout au long du processus d’évolution de la gestion de ces risques. Alternativement, pour garantir l’efficacité de l’action commune et éviter la duplication des efforts, la portée des structures de gouvernance existantes dédiées à la RAM (le Secrétariat conjoint tripartite pour la RAM avec son comité exécutif et son groupe de direction) pourrait être élargie de manière à englober également la coopération et coordination des travaux sur les zoonoses et les maladies infectieuses nouvelles/émergentes. Dans ce cas, le Secrétariat quadripartite devrait collaborer étroitement avec le Secrétariat du RSI.
8 Le Système mondial d’alerte précoce pour les principales maladies animales, y compris les zoonoses (GLEWS) est une initiative conjointe OMS-FAO-OMSA lancée en 2006 pour détecter, analyser et évaluer les événements grâce au partage d’informations sur les foyers de maladies animales et à l’analyse épidémiologique. La composante de réponse du GLEWS complète les systèmes de réponse existants des trois organisations dans le domaine des zoonoses afin de fournir une réponse internationale rapide et coordonnée. Voir [www.oie.int/fileadmin/Home/eng/About_us/docs/pdf/GLEWS_Tripartite-Finalversion010206.pdf].
9 Voir Report of the WHO/FAO/OIE joint consultation on emerging zoonotic diseases, Geneva, 3-5 May 2004.
10 FAO-OIE-WHO-UNSIC-UNICEF-WB, Contributing to One World, One Health. A Strategic Framework for Reducing Risks of Infectious Diseases at the Animal–Human–Ecosystems Interface, Consultation document, 14 October 2008.
11 Ibid., p. 19.
12 Ibid., p. 37.
13 The WHO-FAO-OIE Collaboration, Sharing responsibilities and coordinating global activities to address health risks at the animal-human-ecosystems interfaces, A Tripartite Concept Note, April 2010.
14 WHO-FAO-OIE, The Tripartite’s Commitment. Providing multi-sectoral, collaborative leadership in addressing health challenges, Octobre 2017.
15 Memorandum of Understanding between the United Nations Food and Agriculture Organization and the World Organization for Animal Health and the World Health Organization Regarding Cooperation to Combat Health Risks at the Animal-Human-Ecosystem Interface in the Context of the One Health Approach and Including Antimicrobial Resistance, 30 May 2018.
16 Ibid., Articles 2-4.
17 Voir S.Y. Essack, « Environment: The Neglected Component of the One Health Triad », Lancet Planet Health, vol. 2, 2018, p. e238 ; N. De Sadeleer, J. Godfroid, « The Story behind COVID-19: Animal Diseases at the Crossroads of Wildlife, Livestock and Human Health », (2020) 11 European Journal of Risk Regulation, vol. 11, 2020, p. 210. Voir aussi UNEP-ILRI, Preventing the Next Pandemic: Zoonotic diseases and how to break the chain of transmission, Nairobi, 2020.
18 WHO Press Release, New international expert panel to address the emergence and spread of zoonotic diseases, 20 May 2021.
19 OHHLEP, Prevention of zoonotic spillover. From relying on response to reducing the risk at source, 22 February 2023.
20 Selon le Plan, la théorie du changement prend forme dans trois voies de changement qui représentent les domaines dans lesquels les quatre organisations de l’Alliance sont les plus à même de modifier durablement et de façon importante les résultats à moyen et long terme attendus. Ces trois voies de changement sont : 1. politique, législation, plaidoyer et financement ; 2. développement organisationnel, mise en œuvre et intégration sectorielle ; 3. informations, données probantes et connaissance.
21 OHHLEP, One Health Theory of Change, 7 November 2022.
22 Projet préliminaire conceptuel soumis à l’examen de l’organe intergouvernemental de négociation à sa troisième réunion, A/INB/3/3, 25 novembre 2022.
23 Projet préliminaire de CA+ de l’OMS soumis à l’examen de l’organe intergouvernemental de négociation à sa quatrième réunion, A/INB/4/3, 1er février 2023.
24 Proposition de texte de l’Accord de l’OMS sur les pandémies soumis à négociation, A/INB/7/3, 30 octobre 2023.
25 Texte de la convention, de l’accord ou d’un autre instrument international de l’OMS sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies (« CA+ de l’OMS ») rédigé par le Bureau, A/INB/5/6, 2 juin 2023. Ce projet remet au choix du groupe de rédaction de l’OIN l’option d’inclure l’approche One Health parmi les principes sous-jacents à l’Accord et comme disposition autonome s’appuyant sur une formulation assez ample.
26 Projet révisé de texte de l’Accord de l’OMS sur les pandémies soumis à négociation, A/INB/9/3, 13 mars 2024.
27 Projet d’Accord de l’OMS sur les pandémies, A/INB/9/3 Rev.1, 22 avril 2024.
28 J.E. Vinuales, S. Moon, G. Le Moli, G.L. Burci, « A global pandemic treaty should aim for deep prevention », The Lancet, vol. 397:10287, 2021, p. 1791-1792 ; G. Le Moli, J.E. Viñuales, G.L. Burci, A. Strobeyko, S. Moon, « The Deep Prevention of Future Pandemics through a One Health Approach: What Role for a Pandemic Instrument? », Global Health Centre Policy Brief, 2022 ; ILA, Livre blanc « Une seule santé », Paris, 2022, p. 77.
Stefania Negri, « Approche “One Health” et droit international. Les outils du droit et de la coopération internationale au service de la santé mondiale », One Health en droit international et européen [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 03 | 2025, mis en ligne le 6 mars 2025. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=3780.