
Maud Cintrat
Maîtresse de conférences en droit public, Laboratoire Parcours santé systémique, UR 4129, Membre associée du CERCRID, UMR 5137, Université de Lyon
Résumé : Le concept One Health – Une seule santé a été expressément déployé dans les derniers règlements européens réformant la santé animale en 2016 à propos de la lutte contre les maladies transmissibles et réformant la pharmacie vétérinaire en 2018, en matière de lutte contre la résistance aux antimicrobiens. C’est sur ce dernier champ que l’accent sera mis. Si le concept d’une seule santé vise à consacrer l’interdépendance des santés humaine, animale et de l’environnement, la résistance aux antimicrobiens témoigne bien que c’est grâce à une intervention dans ces trois domaines que la lutte peut être efficace. Il convient de développer dans quelle mesure la lutte contre la résistance aux antimicrobiens requiert la mise en œuvre de mesures spécialement dans le secteur de la pharmacie vétérinaire qui visent à protéger les santés de l’homme et de l’animal ainsi que l’environnement.
Introduction
L’interdépendance entre la santé humaine et la santé animale n’a pas émergé en droit de l’Union européenne avec l’apparition du concept One Health – Une seule santé. Depuis le Traité d’Amsterdam (article 168 § 4 TFUE, ex-article 152 TCE), l’Union européenne peut intervenir dans le domaine vétérinaire (et pas uniquement pour les animaux d’élevage) si la mesure protège directement la santé publique. Néanmoins, le concept One Health – Une seule santé, qui est identifié par la Commission, le Parlement européen ou le Conseil tantôt comme un concept, tantôt comme un principe ou une politique – vise à promouvoir, au-delà de l’interconnexion des santés humaine et animale, « l’interface entre les hommes, les animaux et l’environnement »[1] en développant « des pratiques, des politiques et des partenariats visant à mieux articuler les liens mutuels »[2].
Une seule santé c’est non seulement l’objectif de prévention des crises à venir, sur le moyen terme, mais aussi, comme le développe Sonia Desmoulin, parvenir à élaborer un nouveau mode de gestion des risques en situation normale, et pas uniquement en situation de crise, basé sur l’interdépendance des santés humaine, animale et environnementale[3]. Ce serait donc développer une nouvelle façon de saisir et de traiter les liens entre santé humaine, animale et environnementale de telle sorte que l’émergence de crises ne se produise plus. Pour déterminer si les mécanismes pensés en application du concept une seule santé sont effectifs, il semble utile de développer sur le plan technique un exemple : la résistance aux antimicrobiens.
Les politiques relatives à la santé animale au sein de l’Union européenne mettent en œuvre plus ou moins expressément le concept One Health. Ce dernier a été déployé dans les derniers règlements européens réformant la santé animale en 2016 à propos de la lutte contre les maladies transmissibles[4] et réformant la pharmacie vétérinaire en 2018, en matière de lutte contre la résistance aux antimicrobiens[5]. Ces deux secteurs témoignent de l’absence de cohérence dans la mobilisation du concept One Health puisque, à deux ans d’intervalle, il est aussi bien identifié comme un principe que comme un concept. La pharmacie vétérinaire est bien plus éloquente que le règlement sur la santé animale qui se limite à énoncer qu’il met en œuvre des « engagements et […] conceptions exposés dans [la] stratégie de santé animale [de la Commission européenne 2007-2013], y compris le principe “un monde, une seule santé” »[6]. En effet, en matière de pharmacie vétérinaire, la lutte contre la résistance aux antimicrobiens requiert certains mécanismes qui portent sur l’ensemble du processus de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire, dans le but de sauvegarder la santé humaine, la santé animale et l’environnement.
Le législateur européen identifie la résistance aux antimicrobiens comme requérant « une action intersectorielle urgente et coordonnée, conformément au concept “Une seule santé” »[7]. Il la définit comme étant « l’aptitude d’un micro-organisme à survivre ou à se développer en présence d’une concentration d’un agent antimicrobien habituellement suffisant pour inhiber ou tuer des micro-organismes des mêmes espèces »[8]. Les dispositions visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens sont disséminées dans tout le règlement sur la pharmacie vétérinaire. Elles irradient l’ensemble des pratiques, de la mise sur le marché des médicaments à la collecte des données relatives à l’utilisation des médicaments en passant par la prescription et l’utilisation de ces produits (I). Pourtant, certaines lacunes témoignent déjà des difficultés d’adopter une approche globale (II).
I. Le secteur de la pharmacie vétérinaire irradié par les mesures de lutte contre la résistance aux antimicrobiens
Les règles spécifiques à la lutte contre la résistance aux antimicrobiens sont disséminées dans tout le règlement européen sur la pharmacie vétérinaire et elles touchent l’ensemble du processus de production d’un médicament. Par souci de lisibilité, il semble opportun d’aborder l’amont du circuit de production d’un médicament (A) avant d’envisager son aval (B).
A) Les mesures prescrites avant la mise sur le marché d’un médicament
Certains éléments requis des industriels dans leur dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) reflètent la mise en œuvre de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. En plus des informations de l’annexe 1 du règlement européen, de la documentation technique et du résumé du dossier du système de pharmacovigilance, il faut fournir une documentation relative[9] :
- aux risques directs ou indirects pour la santé publique ou animale ou pour l’environnement liés à l’utilisation chez l’animal du médicament vétérinaire antimicrobien en cause.
- aux mesures de nature à limiter le risque de développement de résistance à cet antimicrobien.
Le législateur européen exigeait déjà du demandeur d’une AMM, sous l’empire de l’ancienne législation sur la pharmacie vétérinaire, qu’il fournisse les informations sur les « risques potentiels que le médicament vétérinaire pourrait présenter pour l’environnement, la santé humaine et animale et les plantes »[10]. Cette obligation n’était pas spécifiquement établie pour les antimicrobiens et elle n’existait pas pour les risques indirects. Ainsi la lutte contre la résistance aux antimicrobiens pénètre la phase préalable à l’obtention d’une AMM.
On retrouve ensuite deux types de mesures : celles qui visent à limiter le développement et la mise sur le marché de certains antimicrobiens, et d’autres qui favorisent l’innovation dans ce secteur.
Concernant la limitation du développement et de la mise sur le marché de certains antimicrobiens, sont des motifs de refus de délivrance d’une AMM les demandes portant sur un antimicrobien lorsque[11] :
- le bénéfice pour la santé animale est inférieur au risque, pour la santé humaine, de développer des résistances.
- l’antimicrobien est destiné à être utilisé comme promoteur de performance en vue d’accélérer la croissance (pour les vaches à viande notamment) ou d’augmenter le rendement des animaux traités (pour les vaches à lait par exemple).
- l’antimicrobien en question est réservé au traitement de certaines infections chez l’homme. Il existe, dans ce cadre, une liste établie par la Commission européenne qui recense les médicaments antimicrobiens réservés à un usage chez l’homme[12]. Bien que la santé humaine l’emporte ici sur les intérêts sanitaires des animaux, il faut remarquer que parmi les critères élaborés par la Commission pour fixer cette liste, on en retrouve un qui requiert que l’antimicrobien ne soit pas essentiel pour la santé animale[13].
L’objectif ici est de limiter l’arrivée sur le marché de produits qui contribueraient à accroître les risques de développement d’une résistance aux antimicrobiens. En revanche, l’enjeu est différent lorsque le législateur européen incite à l’innovation.
Enfin, concernant l’innovation dans le secteur des médicaments antimicrobiens, le législateur européen encourage la mise au point d’antimicrobiens qui comportent une nouvelle substance active. Cela permet de limiter les risques de développer une résistance à un antimicrobien déjà présent sur le marché puisqu’il aura vocation à partager le marché avec de nouveaux médicaments. Le législateur européen a ainsi augmenté de 10 à 14 ans la durée de protection de la documentation technique sur la qualité, l’innocuité et l’efficacité, ce qui fait obstacle à l’utilisation de cette documentation par un demandeur d’autorisation de mise sur le marché pour produire un générique[14]. Cette mesure ne vaut que pour les antimicrobiens destinés aux bovins, aux moutons destinés à la production de viande, aux porcs, aux poulets, aux chiens et aux chats (qui sont les animaux les plus nombreux au contact de l’homme et pour lesquels il convient de réduire la consommation d’antimicrobiens) et que pour une substance active nouvelle. La finalité ici est double puisqu’au-delà d’encourager l’innovation par la mise au point de nouveaux antimicrobiens, cette mesure freine l’arrivée sur le marché de génériques de médicaments antimicrobiens déjà disponibles.
Au-delà de ces mesures pré-autorisation de mise sur le marché, on retrouve des mesures post-autorisation de mise sur le marché.
B) Les mesures prescrites une fois le médicament disponible sur le marché
Une fois que le médicament antimicrobien dispose d’une autorisation de mise sur le marché, la Commission et les États membres peuvent imposer à son titulaire de conduire des études ultérieures afin de vérifier que le rapport bénéfice/risque reste positif compte tenu du risque de développement d’une résistance aux antimicrobiens[15].
Ensuite, pour limiter les risques de résistance, la prescription et l’utilisation de ces médicaments font l’objet de règles spéciales pour les antimicrobiens. Au stade de la prescription, le législateur européen impose une prescription préalable obligatoire à la délivrance d’un antimicrobien. Il faut remarquer que si le droit de l’Union n’impose pas aux États membres de réserver le droit de prescrire aux seuls vétérinaires, il leur interdit d’autoriser d’autres professionnels à prescrire spécifiquement des antimicrobiens. L’utilisation d’antimicrobiens a, quant à elle, été drastiquement encadrée. Il est donc interdit d’utiliser un antimicrobien[16] :
- de façon systématique ou pour compenser de mauvaises conditions d’hygiène, des conditions d’élevage inappropriées, un manque de soins ou encore une mauvaise gestion de l’exploitation ;
- comme facteur de croissance et d’amélioration de performance ;
- pour un usage prophylactique (prévention), sauf quand l’utilisation concerne un seul animal ou un nombre restreint d’animaux et à condition que le risque d’infection soit très élevé et les conséquences potentiellement graves ;
- pour un usage métaphylactique[17], qu’en l’absence d’alternative face à un risque élevé de propagation d’une infection.
Les deux dernières illustrations concernent spécifiquement les élevages. L’enjeu est clairement de limiter quantitativement les prescriptions et les utilisations de ces produits[18], de les réserver aux professionnels les plus qualifiés.
Enfin, l’efficience des mesures prescrites par le législateur européen ne saurait être évaluée sans collecte et évaluation des données. La connaissance scientifique générée par le traitement de ces données paraît indispensable au maintien ou à l’adaptation des mesures de prévention et de gestion de la résistance aux antimicrobiens. Le législateur européen a ainsi prévu que « les États membres recueillent des données pertinentes et comparables sur le volume de vente et sur l’utilisation des médicaments antimicrobiens utilisés chez l’animal, afin de permettre notamment l’évaluation directe ou indirecte de leur utilisation chez les animaux producteurs de denrées alimentaires au niveau des exploitations »[19]. Bien que cela puisse être nuancé par l’utilisation de l’adverbe notamment, seuls les animaux d’élevage sont spécifiquement visés, alors même que les maladies animales ne s’arrêtent pas à la destination que l’homme affecte à l’animal. C’est effectivement chez les animaux d’élevage, où la concentration d’animaux est élevée, que le risque de développement d’une résistance aux antimicrobiens est particulièrement présent. D’ailleurs, c’est dans le cadre de la stratégie de la ferme à la table – et donc chez les animaux d’élevage et l’aquaculture, que la Commission a fixé l’objectif de réduction de la consommation d’antimicrobiens. Elle vise une réduction de 50 % des ventes totales dans l’Union d’antimicrobiens d’ici à 2030[20]. Et c’est par ailleurs dans un texte spécifique à la politique agricole commune que l’on retrouve une proposition d’indicateur de résultat de la réduction de l’utilisation d’antimicrobiens, à nouveau spécifique aux animaux d’élevage : l’équivalent pour les animaux de compagnie n’existe pas puisqu’ils n’entrent pas en tant que tels dans le champ de compétence de l’Union[21]. Il en résulte que l’on peut s’interroger sur le succès de l’approche une seule santé à dépasser les catégories juridiques et les champs de compétence des institutions européennes.
II. Une difficile approche globale qui transcenderait les santés humaine, animale et environnementale
Dans le cadre d’une seule santé, l’idée est de développer une approche globale des santés humaine, animale et environnementale. Pourtant, dans le secteur de la pharmacie vétérinaire, les mesures ne concernent que les antimicrobiens. Or, limiter la consommation d’antimicrobiens passe aussi par le développement et l’incitation au développement d’alternatives aux antimicrobiens (A). Une autre lacune porte sur la protection de l’environnement qui est important dans le cadre de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens et qui requiert le traitement des médicaments vétérinaires non utilisés, dont l’exemple français n’est pas remarquable (B).
A) Le difficile développement de mécanismes alternatifs à l’utilisation d’antimicrobiens
En 2023, le Conseil de l’Union européenne a préconisé le développement, la disponibilité et l’accès aux vaccins, qui sont des moyens permettant « de freiner la propagation des infections provoquées par des agents pathogènes résistants aux antimicrobiens et de réduire l’utilisation d’antimicrobiens »[22]. Bien que le règlement européen ne date que de 2018, il n’y figure aucune disposition visant à favoriser spécifiquement le développement ou la mise sur le marché de vaccins. D’emblée, la question qui se pose est alors de savoir si un règlement européen serait l’acte normatif adéquat en ce sens qu’il serait suffisamment souple pour être adapté au gré des évolutions des connaissances scientifiques. Néanmoins, un véritable décalage entre santé humaine et santé animale peut être identifié puisque la Commission européenne préconisait déjà en 2011, dans le secteur de la santé humaine, le développement de vaccins comme alternative aux traitements médicamenteux, y compris ceux générant une antibiorésistance[23]. Ce qui est donc identifié en matière de pharmacie à usage humain ne l’est pas forcément en pharmacie à usage vétérinaire, au détriment d’une approche globale.
Ensuite, parmi les moyens qui visent à limiter la consommation d’antimicrobiens figure l’amélioration du bien-être animal. Plus l’animal est bien traité, moins il a de risque de développer des maladies et d’avoir besoin de traitements antimicrobiens[24]. Dans le règlement européen de 2018, ce lien entre bien-être animal et consommation d’antimicrobiens est pris en compte à un seul égard. En effet, il est désormais interdit d’utiliser des antimicrobiens de façon systématique pour « compenser de mauvaises conditions d’hygiène, des conditions d’élevage inappropriées, un manque de soins ou encore une mauvaise gestion de l’exploitation »[25]. Dans une communication au Conseil et au Parlement, la Commission européenne admet que la promotion de certains régimes alimentaires « qui favorisent la bonne santé et le bien-être des animaux » permettrait de réduire la consommation d’antimicrobiens[26]. De façon générale, la Commission a admis qu’il était « urgent […] d’améliorer le bien-être des animaux »[27], et elle a promis une évaluation et une révision de la législation existant au plus tard au dernier trimestre 2023[28]. En effet, elle a non seulement considéré qu’il y a globalement un niveau sous optimal de bien-être animal dans l’Union mais aussi qu’il est nécessaire de passer par une réforme de la législation pour répondre aux attentes des citoyens européens[29]. Malgré ce constat, et malgré l’impact pour la santé humaine et l’environnement, et la volonté de réformer le droit de l’Union en la matière, la Commission n’a pas tenu son engagement, sauf en ce qui concerne le transport d’animaux[30]. Si l’approche « une seule santé » est holistique, les institutions européennes devraient accentuer les mesures préventives de l’utilisation d’antimicrobiens[31], incluant une amélioration notable de la protection des animaux de rente.
La dernière lacune importante qu’il convient d’évoquer dans le cadre de la mise en œuvre de l’approche une seule santé en matière de résistance aux antimicrobiens porte sur la protection de l’environnement liée à la destruction des médicaments vétérinaires non utilisés spécifiquement sur le territoire français.
B) Une protection incomplète de l’environnement face à la pollution par les antimicrobiens en France
Le législateur européen a prévu en 2018 qu’il appartient aux États de veiller « à ce que des dispositifs appropriés soient en place pour la reprise et l’élimination des déchets issus des médicaments vétérinaires »[32]. Les États membres disposaient jusqu’au 28 janvier 2022 pour mettre leur droit en conformité avec le règlement européen. Si la France a débuté l’adaptation de sa législation[33], il n’existe pas de filière dédiée au traitement des médicaments vétérinaires non utilisés. L’ordre des vétérinaires préconise que les propriétaires d’animaux les jettent avec les ordures ménagères dès lors qu’ils seront incinérés et qu’ils ne peuvent pas être repris tout au long de la filière[34]. Cette politique s’éloigne considérablement de celle des médicaments à usage humain, alors qu’elle crée un risque de pollution de l’environnement.
En pharmacie à usage humain, la récupération des médicaments non utilisés vise à protéger les patients des dangers liés à un nouvel usage inadéquat, tout en diminuant les risques de pollution de l’environnement. Aux termes de l’article L. 541-10-1 du code de l’environnement, les médicaments visés à l’article L. 5111-1 du code de la santé publique relèvent du principe de responsabilité élargie du producteur. Or, cet article L. 5111-1 définit les médicaments à usage humain et renvoie à l’article L. 5141‑1 du code de la santé publique pour la définition des médicaments à usage vétérinaire : ces derniers sont exclus de ce dispositif. D’ailleurs, les modalités de traitement des médicaments non utilisés figurent dans une section du code de la santé publique intitulée « médicaments à usage humain non utilisés »[35] et il n’existe aucun équivalent pour les médicaments à usage vétérinaire. Les industriels de la pharmacie vétérinaire ne relèvent donc pas du régime de responsabilité élargie des producteurs. Ils n’ont donc pas à pourvoir ou à contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui proviennent de leurs produits ainsi qu’à adopter une démarche d’écoconception des produits […] ou encore à contribuer à des projets d’aide au développement en matière de collecte et de traitement de leurs déchets et à développer le recyclage des déchets issus des produits[36]. Effectivement, d’ordinaire, les producteurs s’acquittent de leurs obligations en mettant en place collectivement des éco-organismes agréés dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière. Dans le secteur des médicaments à usage humain, l’association Cyclamed a été créée par les industriels et bénéficie d’un agrément en tant qu’éco-organisme jusqu’en 2027[37]. Il peut être dérogé à ce principe de gouvernance par décret lorsqu’aucun éco-organisme agréé n’a été mis en place par les producteurs. Concernant les médicaments vétérinaires, on ne trouve ni éco-organisme, ni décret permettant d’y déroger.
Cette lacune a été mise en lumière dès 2008 par le Haut Conseil de la santé publique lorsqu’il a rendu son avis sur le projet de décret relatif à la collecte et à la destruction des médicaments à usage humain non utilisés[38]. Il existe donc une marge d’amélioration certaine du champ matériel de la responsabilité élargie des producteurs de produits de santé[39], saisie par le législateur européen spécifiquement pour le médicament à usage humain[40]. Pourtant, le lien entre protection de l’environnement et développement de la résistance aux antimicrobiens, à laquelle la dispersion de résidus de médicaments dans l’environnement contribue ne fait pas de doute[41].
En pratique, il existe Cyclavet dans le secteur du médicament vétérinaire, qui est un service payant de la société Veternity : ce service, proposé aux vétérinaires, leur permet d’être un point de collecte des médicaments vétérinaires non utilisés des particuliers. Les vétérinaires n’ont aucune obligation de participer à cette collecte et il n’appartient pas aux industriels du médicament vétérinaire de la financer, contrairement au secteur du médicament à usage humain. Cyclamed et Cyclavet expliquent aux particuliers comment déterminer s’ils doivent ramener le médicament chez le pharmacien ou chez le vétérinaire : « la clé serait la provenance du médicament »[42]. Le pharmacien serait celui vers qui se tourner pour ramener les médicaments qui proviennent de la pharmacopée humaine (donc les médicaments à usage humain), et le vétérinaire serait celui à qui ramener les médicaments vétérinaires fournis ou vendus par un vétérinaire. Toutefois, cette explication se révèle lacunaire dès lors que l’on sait que le pharmacien est tout à fait habilité à délivrer les médicaments à usage vétérinaire, puisque leur monopole est partagé avec les vétérinaires[43]. Cette idée selon laquelle « la clé serait la provenance du médicament » trouve donc une sérieuse limite.
À l’heure actuelle, le secteur du médicament vétérinaire en France interroge quant à ses conséquences environnementales, particulièrement en matière de gestion des médicaments non utilisés. Si la filière Cyclamed permet aux particuliers de se débarrasser des médicaments à usage humain non utilisés auprès des pharmacies d’officine, il n’existe pas d’éco-organisme agréé dans la sphère du médicament vétérinaire : les médicaments vétérinaires non utilisés sont détruits par la voie des ordures ménagères. L’interrogation reste donc entière sur la satisfaction par le droit français de la nouvelle exigence imposée par le droit de l’Union européenne.
En conclusion, il apparaît que la lutte contre la résistance aux antimicrobiens est bien développée dans le secteur de la pharmacie vétérinaire, ce qui contribue à une approche globale entre les santés humaine et animale. Néanmoins, des lacunes sont notables, notamment sur la capacité des institutions à dépasser les sous-catégories juridiques auxquelles appartiennent les animaux, et à imposer des règles qui ne portent pas exclusivement sur les antimicrobiens mais sur la pharmacie vétérinaire de façon générale, permettant le développement d’alternatives à ces produits ou encore un traitement raisonnable des déchets que les médicaments vétérinaires génèrent. Le cloisonnement consubstantiel au droit semble ainsi apporter une sérieuse limite à une approche globale d’une seule santé.
[1] B. Vallat, « Préface. Une seule santé », Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2014, 33 (2), p. 371-372, spé. p. 371.
[2] C. Stephen, W. B. Karesh, « Le concept “Une seule santé” donne-t-il des résultats ? », Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2014, 33 (2), p. 381-396, spé. p. 381.
[3] S. Desmoulin, « “One Health ! Une seule santé !” : slogan pour temps de crise ou nouvel horizon de la santé publique ? », Revue semestrielle de droit animalier, 2014/1, p. 419.
[4] Considérant 9 du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale (« législation sur la santé animale »), JO L 84 du 31 mars 2016, p. 2.
[5] Considérant 41 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE, JO L 4 du 7 janvier 2019, p. 48.
[6] Considérant 9 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[7] Considérant 41 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[8] Article 4 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[9] Article 8 § 2 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[10] Article 12 § 3 de la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires, JO L 311 du 28 novembre 2001, p. 13.
[11] Article 37 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[12] Règlement délégué (UE) 2021/1760 de la Commission du 26 mai 2021 complétant le règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil en définissant les critères pour la désignation des antimicrobiens qui doivent être réservés au traitement de certaines infections chez l’homme, JO L 353 du 6 octobre 2021, p. 1.
[13] Les deux autres critères sont relatifs à l’importance majeure de l’antimicrobien pour la santé humaine et le risque de transmission de la résistance.
[14] Article 39 § 1, b) du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[15] Article 36 § 2 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[16] Article 107 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[17] La métaphylaxie est définie comme étant « l’administration d’un médicament à un groupe d’animaux après qu’un diagnostic d’une maladie clinique a été établi pour une partie du groupe, dans le but de traiter les animaux cliniquement malades et d’enrayer la propagation de la maladie aux animaux en contact étroit avec les animaux malades et exposés au risque de contamination, et qui peuvent déjà être infectés de manière subclinique » (article 4 pt 15 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité).
[18] Article 34 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[19] Article 57 § 1 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[20] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement, COM (2020) 381 final.
[21] Règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) n° 1305/ 2013 et (UE) n° 1307/2013, JO L 435 du 6 décembre 2021, p. 1.
[22] Considérant 30 de la recommandation du Conseil relative au renforcement des actions de l’Union visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans le cadre d’une approche « Une seule santé », 22 juin 2023, 2023/C 220/01.
[23] Action n° 11 de la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil dans le cadre du plan d’action pour combattre les menaces croissantes de la résistance aux antimicrobiens, Bruxelles, 15 novembre 2011, COM(2011) 0748 final.
[24] OIE Animal Production Food Safety Working Group, « Guide to good farming practices for animal production food safety », Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2006, 25 (2), p. 823-836, spé. p. 830.
[25] Article 107 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[26] Communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen, Plan d’action européen fondé sur le principe « Une seule santé » pour combattre la résistance aux antimicrobiens, Bruxelles, 29 juin 2017, COM(2017) 339 final, p. 12.
[27] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, Une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement, Bruxelles, 20 mai 2020, COM(2020) 381 final, p. 3.
[28] Ibid, annexe, p. 2.
[29] Commission staff working document, Fitness check of the EU Animal Welfare legislation, Bruxelles, 4 octobre 2022, SWD(2022) 329 final.
[30] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes, modifiant le règlement (CE) nº 1255/97 du Conseil et abrogeant le règlement (CE) nº 1/2005 du Conseil, Bruxelles, 7 décembre 2023, COM/2023/770 final.
[31] V. sur le développement de médicaments vétérinaires à base de plantes : M. Cintrat, « Les plantes pour soigner les animaux – regard d’une juriste », Revue semestrielle de droit animalier, 2023/1, p. 303‑309.
[32] Article 117 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
[33] M. Cintrat, « Médicament vétérinaire : autorisation de mise sur le marché », Dictionnaire permanent de bioéthique et de biotechnologie, Lefebvre-Dalloz.
[34] V. le site de l’ordre des vétérinaires, fiche professionnelle « Regroupement par le vétérinaire des médicaments non utilisés (MNU) ».
[35] De même, on peut remarquer que l’arrêté du 29 octobre 2021 portant cahiers des charges des éco-organismes et des systèmes individuels de la filière à responsabilité élargie des producteurs de médicaments ne vise que les producteurs de médicaments à usage humain. On peut aussi noter que le code de la santé publique organise la collecte gratuite des médicaments non utilisés par les officines de pharmacie et par les pharmacies à usage intérieur que pour « les médicaments à usage humain inutilisés ou périmés détenus par les particuliers » (article R. 4211-23 du code de la santé publique).
[36] Article L. 541-10 du code de l’environnement.
[37] Arrêté ministériel du 22 décembre 2021 portant agrément d’un éco-organisme de la filière à responsabilité élargie des producteurs de médicaments.
[38] Avis du HCSP sur le projet de décret relatif à la collecte et à la destruction des médicaments à usage humain non utilisés et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires) du 17 oct. 2008.
[39] L’article L. 541-10-1 du code de l’environnement soumet les industries produisant un médicament tel que défini à l’article L. 5111-1 du code de la santé publique au régime de la responsabilité élargie des producteurs. Jusqu’en mars 2022, les médicaments vétérinaires étaient visés dans cet article (ord. du 23 mars 2022 portant adaptation des dispositions du code de la santé publique et du code rural et de la pêche maritime au droit de l’Union européenne dans le domaine des médicaments vétérinaires et aliments médicamenteux, art. 1).
[40] La refonte de la directive relative au traitement des eaux résiduaires organise la soumission des médicaments à usage exclusivement humain au régime de responsabilité élargie des producteurs (considérant 20 et annexe III de la directive [UE] 2024/3019 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 relative au traitement des eaux résiduaires urbaines [refonte]).
[41] Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil dans le cadre du plan d’action pour combattre les menaces croissantes de la résistance aux antimicrobiens précitée, p. 1.
[42] V. le site internet de Cyclavet : [https://www.cyclavet.fr/et-les-mnu-veterinaires-on-en-parle] ou le site internet de Cyclamed : [https://www.cyclamed.org/que-faire-des-mnu-veterinaires-9916/]
[43] Article L. 5143-2, I du code de la santé publique.
Maud Cintrat, « One Health – Une seule santé : quelle dynamique de la protection de la santé animale en droit de l’Union européenne ? », One Health en droit international et européen [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 03 | 2025, mis en ligne le 6 mars 2025. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=3778.