Romain Le Bœuf – Droit de la paix et droit de la guerre : que reste-t-il du temple de Janus ?

Romain Le Bœuf
Professeur de droit public, Aix Marseille Univ, Université de Toulon, CNRS, DICE, CERIC, Aix-en-Provence, France

Résumé : Le temple de Janus est un édifice romain dont les portes étaient fermées en temps de paix et ouvertes en temps de guerre. Ce rite antique est révélateur de l’opposition duale entre les deux situations, dont il a longtemps résulté sur le plan juridique une distinction stricte entre le droit de la paix et le droit de la guerre. Le déclenchement des hostilités, de même que la conclusion de la paix, provoquait un basculement de l’ordre juridique international dans son ensemble. Toutefois, la pratique des dernières décennies a conduit à faire évoluer cette dichotomie afin de lui permettre de saisir davantage de situations et d’améliorer les protections accordées aux victimes de conflits. Cette évolution comporte d’importants avantages, mais soulève également d’importantes questions.

À Rome, près du Forum, était érigé le temple de Janus. Dieu à deux faces, il est la divinité du passage et des portes, du commencement et des fins1. Un visage tourné vers le passé et un autre vers l’avenir, il embrasse les grandes oppositions du monde. Le mois de janvier, qui assure le passage de l’année ancienne à l’année nouvelle, lui est encore dédié2. Janus était aussi célébré par les Romains à la fin du mois de mars, figure du retour de la paix après le règne du dieu de la guerre3.

La façade du temple comportait une large porte à double battant. Sa forme nous est connue à travers la gravure figurant sur des pièces de monnaie frappées par l’Empereur Néron4. Ces portes ont été placées au centre de plusieurs œuvres de la peinture baroque. Dans le tableau de Rubens, elles figurent grandes ouvertes au centre de l’image5. D’autres tableaux représentent l’Empereur Auguste qui en ordonne la fermeture6. Si aucun tableau à notre connaissance ne les représente fermées, c’est qu’elles ne l’ont été que rarement, ce qui en dit beaucoup de l’histoire romaine7.

En effet, l’intérêt suscité par les portes du temple de Janus s’attache à leur signification : fermées, ces portes indiquaient que la Cité était en paix ; ouvertes, qu’elle était en guerre. Cette symbolique est attestée par divers écrits de l’époque, et notamment par Tite-Live :


Ce temple, construit au bas de l’Argilète, devint le symbole de la paix et de la guerre. Ouvert, il était le signal qui appelait les citoyens aux armes ; fermé, il annonçait que la paix régnait entre toutes les nations voisines8.

Les anciens Romains divergeaient sur le sens précis de cette croyance : pour certains, les portes fermées protégeaient la paix à l’intérieur du temple ; pour d’autres, elles retenaient au contraire la guerre prisonnière et l’empêchaient de se répandre dans la Cité9. Dans un cas comme dans l’autre, cette symbolique des portes témoigne de la conception strictement duale que les Romains avaient des relations extérieures de la Cité. Ainsi que le récapitulait Cicéron : « entre la paix et la guerre, il n’y a pas de milieu »10. Cette dualité va imprégner de manière profonde et durable le droit international, qui va longtemps rester conçu comme reposant sur l’alternance de deux systèmes de normes à la fois distincts et mutuellement exclusifs : le droit de la paix et le droit de la guerre (I). Toutefois, cette dichotomie classique a fait l’objet d’une importante remise en cause tout au long du xxsiècle (II), dont la portée demeure incertaine (III).

I. Une dichotomie classique

L’opposition de la guerre à la paix est classique, au point que l’un a couramment été employé pour définir négativement l’autre : la paix, c’est l’absence de guerre ; et inversement11. De cette opposition des concepts a résulté pendant longtemps une dualité des régimes à la fois distincts (A) et mutuellement exclusifs (B).

A) La dualité des régimes

La guerre comme situation située en dehors du droit. L’idée d’une dualité du droit applicable aux rapports internationaux est ancienne12. Elle repose, très fondamentalement, sur l’affirmation de l’inadéquation du droit aux situations de guerre, qu’exprimerait le célèbre adage de Cicéron : inter arma, enim silent leges13. Au vrai, l’adage n’a prospéré dans les relations internationales qu’au prix d’un double dévoiement, contextuel et conceptuel. Lorsqu’il emploie cette formule, Cicéron ne traite pas des relations extérieures de Rome. Il plaide comme avocat à l’occasion d’un procès pénal de droit commun. D’un point de vue contextuel, la formule vise donc exclusivement les rapports entre particuliers dans un cadre de droit interne, et non les rapports entre États dans un cadre de droit international. D’un point de vue conceptuel, la formule ne vise pas à placer la violence hors du droit, mais simplement à affirmer l’existence d’un principe naturel de légitime défense :


tout moyen est honnête pour sauver nos jours, lorsqu’ils sont exposés aux attaques et aux poignards d’un brigand et d’un ennemi : car les lois se taisent au milieu des armes ; elles n’ordonnent pas qu’on les attende, lorsque celui qui les attendrait serait victime d’une violence injuste avant qu’elles pussent lui prêter une juste assistance14.

Il n’en reste pas moins que l’idée de l’incompatibilité mutuelle de la guerre et du droit n’est pas isolée. Dix-sept siècles après Cicéron, Grotius relève encore que « [c]e n’est pas une opinion répandue seulement dans le vulgaire, que la guerre est absolument incompatible avec toute forme de droit »15, déplorant « qu’il échappe encore à des hommes instruits et prudents des paroles qui tendent à accréditer cette manière de voir »16. L’auteur répertorie les opinions des historiens, des philosophes, des monarques et des poètes en ce sens17, pour conclure que « [r]ien […] n’est plus fréquent que de mettre en opposition les armes et le droit »18. Dans cette première approche, l’opposition n’est donc pas celle du droit de la guerre et du droit de la paix : elle est plus radicalement celle du droit et du non-droit19. La paix serait dès lors, de ce point de vue, l’état de droit, par opposition à la guerre, qui se caractériserait par l’absence de tout cadre juridique. Cette analyse recoupe d’ailleurs certaines des définitions qui ont été données de la paix par divers auteurs. Emer de Vattel définissait ainsi la paix comme « un état durable dans lequel chacun jouit tranquillement de ses droits »20. Plus tard, Ernest Nys écrit que « [l]a paix est une notion essentiellement juridique ; c’est l’achèvement de l’œuvre du droit ; c’est l’harmonie ; c’est l’ordre ; c’est le droit réalisé »21. Cette idée est également celle de Léon Bourgeois lorsqu’il écrit que « [l]a paix peut être définie : “La durée du droit” »22. La guerre, en retour, se caractériserait alors par l’absence du droit ou du moins par sa remise en cause.

La guerre comme situation soumise à un droit spécifique. De ce point de vue, la simple opposition entre le droit de la guerre et le droit de la paix traduit déjà un progrès sensible, puisqu’elle suppose l’applicabilité du droit à la guerre. Toutefois, le progrès n’est que partiel : si le droit s’applique à la guerre, il subit néanmoins à cette occasion une transformation radicale. La guerre demeure donc irréconciliable avec le droit commun. Ainsi, en même temps qu’il rejette l’idée que « dans la guerre tous les droits sont suspendus »23, Grotius admet néanmoins que certaines règles doivent être mises à l’écart. L’auteur reformule l’adage cicéronien, mais ne l’annihile pas entièrement :


Qu’elles se taisent donc, les lois, au milieu des armes, mais seulement les lois civiles, celles qui concernent les tribunaux, celles qui sont propres pour la paix, et non pas les autres, qui sont perpétuelles et conviennent à tous les temps24.

Grotius admet ainsi l’idée d’un droit dans la guerre, mais qu’il prend soin de distinguer du droit applicable à la paix. De façon topique, il estime ainsi que le cinquième Commandement, « Tu ne tueras pas », ne s’applique pas à la guerre25 et – plus généralement – « [q]ue dans la guerre, les choses nécessaires pour la fin qu’on se propose sont permises »26. Le droit de la guerre est alors un droit, mais subordonné à la nécessité militaire.

L’opposition du droit de la paix au droit de la guerre cesse alors d’être une opposition du droit au non-droit pour traduire une opposition entre deux régimes juridiques aux contenus différents. D’un côté, le jus pacis organise les rapports des États en temps de paix ; de l’autre côté, le jus in bello régit les relations entre les belligérants en temps de guerre. Cette distinction va constituer la summa divisio de la matière pour les siècles qui suivront.

B) L’exclusivité des régimes

Nature et portée de l’exclusivité. Ces deux systèmes de normes que sont le droit de la paix et le droit de la guerre entretiennent entre eux des rapports complexes et vont longtemps être tenus pour mutuellement incompatibles. Dans un cours qu’il dispense en 1937 à l’Académie de droit international de La Haye, Arnold D. NcNair affirme ainsi que « Peace and War are mutually exclusive »27. Cette exclusivité mutuelle des deux régimes est encore affirmée en 1953 par Louis Delbez, qui rappelle que « [l]’ordre international comporte deux systèmes de normes, le jus pacis et le jus in bello, et les États se placent successivement sous l’empire de l’un ou de l’autre »28. Par-delà ces affirmations, l’importance de la distinction pour la doctrine se révèle à la seule lecture du plan des manuels de droit international de l’époque : les auteurs divisent communément leur ouvrage en deux parties, l’une consacrée au temps de guerre, l’autre au temps de paix29. Les auteurs insistent par ailleurs sur le caractère critique du passage de la paix à la guerre pour l’ordre juridique international. Ainsi que le résume Joseph Raspiller,


[l]e passage de l’état de paix à l’état de guerre emporte avec lui la transformation la plus subite, la plus considérable, qui soit susceptible de se produire dans les relations internationales. Dès qu’un conflit armé se produit entre deux ou plusieurs puissances, les règles juridiques qui gouvernent la vie internationale en temps de paix se trouvent modifiées. […] La guerre aura pour effet de substituer au droit de la paix le droit de la guerre […]. C’est donc un moment solennel et critique, que celui qui sépare la guerre de la paix, puisque tant que durera la guerre, les relations entre États seront réglées par des principes nouveaux30.

La nature de cette transformation a été discutée par de nombreux auteurs. Georges Scelle expose la question de la façon suivante :


la doctrine classique du Droit international […] fait de la déclaration de guerre ou de l’état de guerre l’acte ou le fait-condition d’une novation de l’ordre juridique : le “droit de la paix” fait place ipso facto au “droit de la guerre”, lequel implique des normes différentes et souvent inverses, non seulement dans les rapports entre belligérants, mais dans les rapports avec les tiers non-belligérants, c’est-à-dire les neutres. L’ordre juridique nouveau se substitue à l’ordre juridique préexistant jusqu’à ce qu’une nouvelle condition […] vienne par une seconde novation, rétablir le jus pacis. L’ordre juridique international est dédoublé, alternatif.

Les termes employés varient selon les auteurs, qui évoquent alternativement la « conversion »31, la « novation »32, le « remplacement »33, la « substitution »34 ou la « transformation »35 du droit applicable. Cependant, et par-delà la diversité des termes employés, l’idée demeure celle d’un changement radical affectant l’ordre juridique dans son ensemble. Non seulement le droit international connaît « seulement un “état de paix” et un “état de guerre” »36, mais encore n’existe-t-il entre les deux aucune forme de superposition :


Le droit de la guerre, tel qu’il était classiquement envisagé, reposait ainsi sur une logique du tout ou rien : si la situation de guerre était caractérisée, le ius in bello entrait en application et régissait les rapports entre les belligérants. Si la situation de guerre n’était pas caractérisée, le ius pacis demeurait seul applicable. Il n’existait alors que deux régimes, séparés par un critère de distinction unique : la guerre37.

Ainsi que l’exprime en 1925, le juriste britannique Arnold D. NcNair, dans des termes proches de ceux évoqués par Cicéron38, entre la guerre et la paix « there is no half-way house »39.

Fondements de l’exclusivité. Au vrai, l’importance même de la distinction entre le temps de paix et le temps de guerre lui confère quelque chose de presque mystique, qui pourrait conduire à douter de la pertinence de cette opinion commune. Pourtant, il convient de relever que la distinction n’est pas une simple spéculation doctrinale : elle trouve un écho profond dans la pratique diplomatique, dont il convient alors de rechercher les fondements juridiques, en envisageant la question des fondements de l’applicabilité du droit de la guerre, d’abord, et celle de l’éviction concomitante du droit de la paix, ensuite.

En ce qui concerne l’entrée en application d’un droit propre au temps de guerre, la question ne soulève guère de difficultés. Les conventions spécifiquement applicables au temps de guerre font expressément mention de cette condition. Parmi de nombreux exemples, la Convention de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre précise que « [l]es dispositions contenues dans le Règlement […] ne sont obligatoires que pour les Puissances contractantes, en cas de guerre entre deux ou plusieurs d’entre elles »40. C’est donc en vertu d’une disposition expresse qui en détermine le champ d’application ratione materiae que le droit humanitaire conventionnel s’applique exclusivement en temps de guerre. La question se résout de la même manière en ce qui concerne le droit coutumier et les principes généraux : leur application exclusive au temps de guerre résulte de leur objet même, qui en délimite le champ d’application matériel41. Il est donc relativement aisé d’identifier le fondement juridique de l’application du droit humanitaire en temps de guerre.

En ce qui concerne l’éviction simultanée du droit de la paix, la question soulève davantage de difficultés. Les traités prévoyant leur suspension ou leur extinction en cas de guerre sont trop rares pour expliquer une pratique aussi générale. La réponse doit dès lors être recherchée en dehors de leurs textes, dans une règle de portée plus générale. Une première hypothèse de réponse consisterait à invoquer la violation du traité comme motif de sa suspension ou de son extinction42. Cependant, l’utilité de ce moyen est limitée, car la seule existence d’une guerre n’implique pas nécessairement la violation de l’ensemble des conventions antérieurement passées avec l’ennemi : ce motif n’aurait donc pas non plus la portée générale requise. Une seconde hypothèse consisterait à invoquer la survenance d’une situation rendant l’exécution du traité impossible ou un changement fondamental de circonstances : l’existence d’une guerre altérerait tellement les bases essentielles de la conclusion du traité et la portée des obligations qui en résultent pour les parties que le traité ne pourrait être maintenu43. Si l’hypothèse est élégante, il n’existe pas de superposition parfaite entre ces régimes spécifiques d’extinction et la question du droit applicable en temps de guerre : il faut à cet égard relever que les rédacteurs de la Convention de Vienne ont pris soin de distinguer les deux questions44 et que la Commission du droit international a maintenu cette distinction dans ses récents travaux sur les effets des conflits armés sur les traités45.

De sorte qu’il est bien plus probable que l’exclusion du droit de la paix en temps de guerre a été le résultat d’une règle propre. En effet, la pratique diplomatique comporte de nombreux éléments attestant de la conviction des États que la guerre par elle-même met fin à leurs obligations mutuelles. Si la pratique n’est pas sans contradictions46, il est néanmoins très notable que les États ont longtemps pris soin, à la fin d’une guerre, de remettre en vigueur les traités antérieurs à son déclenchement, témoignant par cette pratique répétée de leur opinion que les traités en question ont cessé d’être applicables du fait de la guerre47. Dans ces conditions, il est cohérent de suggérer que c’est une règle de nature coutumière qui fondait l’exclusion du droit de la paix en temps de guerre48.

Il en résulte que l’affirmation du caractère mutuellement exclusif du droit de la paix et du droit de la guerre, malgré son caractère exorbitant, repose sur des fondements juridiques très classiques. D’un point de vue technique, la transformation fondamentale de l’ordre juridique international n’est rien d’autre que le résultat – somme toute banal – de la concomitance des règles relatives à l’applicabilité respective du droit de la guerre et du droit de la paix, sans que n’existe d’ailleurs entre ces règles aucun mécanisme de coordination construit.

Ainsi, alors que la symbolique des portes du temple de Janus a pendant très longtemps influé sur la structure même du droit international, son substrat mystique a peu à peu été supplanté par des éléments de technique juridique permettant d’articuler les rapports entre les corps de règles et d’identifier le droit applicable à une situation donnée. Ce passage de la mystique à la technique va conduire à une remise en cause toujours plus profonde de l’ancienne dichotomie, qui va gagner en nuances ce qu’elle va perdre en intelligibilité.

II. Une dichotomie contestée

L’évolution des formes de conflit va rapidement conduire le droit international à démultiplier les catégories de conflits et à favoriser l’application simultanée de plusieurs corps de règles à une même situation, dépassant simultanément la dualité de l’ancienne distinction (A) et l’exclusivité mutuelle de ses termes (B).

A) Le dépassement de la dualité

Les limites de la dichotomie classique. Le diptyque de la guerre et de la paix va connaître d’importantes transformations à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Alors que les conventions humanitaires conclues dans les premières années du xxe siècle continuent de faire de l’existence d’une « guerre » le critère de leur application, les limites de cette dichotomie classique vont rapidement apparaître. Ces limites tiennent à la définition même du concept de guerre, à la fois limité et équivoque.

Limité, le concept de guerre ne recouvre que la lutte armée entre États49. Il exclut les conflits internes – improprement dénommés guerres civiles – dont les victimes vont longtemps demeurer privées des protections du droit de la guerre50. Or, plusieurs épisodes de la première moitié du xxe siècle révéleront que ces luttes internes peuvent être aussi dévastatrices sur le plan humanitaire que les conflits internationaux, en plus d’être toujours plus fréquentes.

Le concept de guerre est également équivoque. Dès la fin du xixe siècle, le sénateur français de Broglie déclarait devant la chambre que


[a]utrefois, rien n’était si simple que de distinguer la paix de la guerre. La guerre, c’était la force, tout usage, tout emploi de la force. Mais aujourd’hui la définition en est devenue presque impossible : on bombarde les villes sans être en guerre avec leurs possesseurs51.

Dans les années 1930, la Chine et le Japon s’affrontent militairement au Mandchoukouo, tout en refusant d’appliquer à ces affrontements la qualification de guerre, de sorte que les combats échappent aux garanties du jus in bello. Malgré l’évidence apparente du concept, la doctrine en est réduite à constater que « [t]he picture which emerges from any study of the concept of war in modern international law is one of confusion »52, voire que « the definition of “war in the legal sense” is impossible of achievement »53. Les nouvelles formes de conflits se conjuguent alors aux nouveaux enjeux humanitaires pour mettre à l’épreuve les anciennes catégories juridiques.

L’apparition de nouvelles catégories de conflits. En 1949, la rédaction des célèbres Conventions de Genève va être l’occasion de réformer en profondeur les conditions d’application du droit humanitaire. Le concept de guerre, sans être tout à fait abandonné, cesse d’en être le critère unique d’application. L’article 2 commun aux quatre conventions adoptées le 12 août 1949 prévoit leur application « en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles ». Les équivoques inhérentes à la notion de guerre sont dès lors, sinon dissipées, du moins neutralisées, de sorte que le récent refus par la Russie de qualifier de guerre les opérations armées menées sur le territoire de l’Ukraine est sans incidence aucune sur le droit applicable54. Si l’article 2 continue d’exclure les conflits armés internes, les conventions de Genève comportent un article 3 appelé à s’appliquer « [e]n cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international ». À la dualité sempiternelle de la guerre et de la paix s’ajoute donc un troisième terme, celui de conflit armé et, à l’encontre de l’affirmation de Cicéron, il existe désormais un milieu entre la guerre et la paix55.

Au vrai, entre les deux extrêmes s’étend un large éventail de situations violentes, prévues par divers instruments et commandant chacune l’application d’un régime de protection spécifique. À une extrémité du spectre, on trouve la guerre proprement dite, les conflits armés internationaux et les cas d’occupation militaire, prévus à l’article 2 des Conventions de Genève de 1949 et bénéficiant d’une protection humanitaire maximale56. Suivent les conflits armés internes menés contre les régimes de domination coloniale, d’occupation étrangère ou racistes dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, prévus par le Premier Protocole additionnel de 1977 et dont le régime est désormais essentiellement assimilé à celui des conflits internationaux57. Les autres conflits armés internes de haute intensité sont quant à eux soumis au Second protocole additionnel de 197758. Les conflits armés internes de moindre intensité sont pour leur part soumis au seul article 3 des Conventions de 1949, qui n’énumère que quelques garanties fondamentales59. Pour finir, les simples troubles et tensions intérieurs désignent les violences qui, n’atteignant pas un degré de gravité suffisant, échappent à l’application du droit humanitaire pour demeurer régies par le seul droit de la paix60.

Cette évolution majeure a permis de répondre à la première difficulté de la dualité antérieure, en permettant de soumettre au droit humanitaire les conflits armés internes qui y échappaient antérieurement. La guerre et la paix sont désormais reliées par un continuum de situations soumis à des régimes propres, dont le contenu est fonction de la nature du conflit et de l’intensité des violences61.

B) Le dépassement de l’exclusivité

La permanence du droit de la paix. Une évolution de même ampleur a affecté la nature des relations entre les deux corps de règles. Longtemps tenus pour exclusifs l’un de l’autre, ils entretiennent désormais des rapports complexes. L’évolution survient dès le début du xxe siècle, lorsque l’Institut de droit international entreprend de codifier les effets du droit de la guerre sur les traités. En rupture avec les conceptions alors dominantes, le règlement adopté en 1912 indique que « [l]’ouverture et la poursuite des hostilités ne portent pas atteinte à l’existence des traités conclus entre eux par les États belligérants »62. Le changement est d’importance, puisqu’il renverse la logique antérieure. En principe, la guerre ne met pas fin aux obligations des belligérants ; ce n’est qu’à titre d’exception que les règles ordinaires du droit international cessent de s’appliquer63. Cependant, l’idée peine à s’imposer : à la fin de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles persiste dans la logique traditionnelle de la « remise en vigueur » des traités « abrogés » par la guerre64. Il en est de même dans les traités marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale65.

Cependant, les positions à cet égard vont évoluer. En 1949, la Cour internationale de Justice fait mention des « Considérations élémentaires d’humanité »66, dont elle précise qu’elles sont « plus absolues encore en temps de paix qu’en temps de guerre », mais qui semblent néanmoins devoir s’appliquer dans un cas comme dans l’autre. En 1977, lors des négociations des protocoles additionnels aux Conventions de Genève en 1977,


[l]a majorité des délégations a souligné la nécessité d’assurer l’unité du droit international, refusant d’accepter ou de maintenir un droit humanitaire ne tenant pas compte du droit international général existant. On s’est référé à cet égard […] aux Pactes internationaux des droits de l’homme67.

Cette référence, dans le cadre du droit humanitaire, à des instruments applicables en temps de paix, encouragea en 1985 l’Institut à réitérer l’affirmation selon laquelle « [l]e déclenchement d’un conflit armé n’entraîne pas ipso facto l’extinction des traités en vigueur entre les parties au conflit armé, ni la suspension de leur application »68. La Cour internationale de Justice a confirmé et précisé cette approche à travers deux avis, une première fois en 199669 et une seconde en 200470. Dans chacun des cas, la question était posée à la Cour de savoir si les comportements litigieux – l’emploi de l’arme nucléaire dans un cas, la construction d’un mur en territoire occupé dans l’autre – contrevenaient à certaines conventions internationales, et notamment au pacte international sur les droits civils et politiques. Dans chacun des deux cas, des États contestèrent les violations alléguées en estimant que les comportements en cause intervenaient dans le cadre d’un conflit armé par nature exclusif de l’application des conventions invoquées. Selon ces États, et conformément à la logique classique,


le pacte vise la protection des droits de l’Homme en temps de paix, alors que les questions relatives à la privation illicite de la vie au cours d’hostilités sont régies par le droit international applicable dans les conflits armés71.

La Cour écarta l’argument, considérant que « la protection offerte par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en temps de guerre »72. Elle précisa par la suite que


[d]e manière plus générale, la Cour estime que la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires73.

Par cette affirmation, la Cour confirmait l’intuition doctrinale selon laquelle « Cicero’s dictum […] seems no longer valid for modern international law »74. La Commission du droit international vint entériner cette évolution dans le Projet d’articles qu’elle adopta en 2011 sur les effets des conflits armés sur les traités75, quoique d’une manière nuancée, admettant que la question de l’extinction ou la suspension d’un traité dépendait à la fois des caractères du traité et de ceux du conflit en cause76, ainsi que de la volonté des belligérants77. Le droit de la paix acquiert alors une permanence qui l’érige en véritable droit commun.

Le nouveau statut du droit de la guerre. À l’inverse, la portée de l’état de guerre sur le droit international s’affaiblit de façon très significative : si la guerre a bien pour effet de provoquer l’entrée en application des dispositions adéquates du jus in bello, elle n’a plus pour effet concomitant d’anéantir le jus pacis. De sorte que les deux corps de règles, jadis exclusifs l’un de l’autre, trouvent désormais à s’appliquer de façon simultanée.

Se pose alors la question de l’articulation des deux corps de règles. Le risque, en effet, est que les règles issues du droit de la guerre n’imposent des obligations contradictoires avec celles prévues par le droit de la paix. Il s’agit alors de savoir, en cas de conflit de normes, laquelle des deux règles – celle issue du droit de la paix ou celle issue du droit de la guerre – doit s’appliquer. À l’occasion de son avis relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi de l’arme nucléaire, la Cour répondit que, dans un tel cas, c’est « à la lex specialis applicable, à savoir le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des hostilités, qu’il appartient de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire de la vie »78. Dans cette affaire, la Cour résout ainsi la difficulté de l’applicabilité simultanée de ces deux corps de règles en recourant au très classique adage lex specialis lex generalis derogat79. Le droit de la paix serait applicable en temps de conflit armé, à moins que le droit de la guerre n’impose pour la situation en cause une solution différente. La doctrine a abondamment commenté cette solution et discuté de sa portée80, au point que certains auteurs ont pu affirmer que « [t]he relationship between human rights and humanitarian law is one of the most contentious topics in the history of international law »81. Malgré les débats touchant aux modalités détaillées de cette interpolation du droit de la paix dans le droit de la guerre, l’idée s’est durablement imposée que la substitution du droit de la guerre au droit de la paix ne prend dès lors plus la forme d’un renversement d’ensemble de l’ordre juridique, mais d’un ajustement au cas par cas et norme à norme82. À la menuiserie rustique des portes du Temple de Janus, la pratique récente a substitué un savant travail de marqueterie, dont il importe alors d’interroger le sens et d’éprouver la solidité.

III. Une dichotomie caduque ?

Le dépassement de la dichotomie du droit de la guerre et du droit de la paix présente d’indiscutables vertus, qui tiennent tant à l’extension du champ d’application du droit humanitaire qu’au maintien d’un nombre substantiel des garanties applicables en temps de paix. Cette évolution n’en soulève pas moins des interrogations de plusieurs ordres, qui tiennent à sa complexité (A), à ses paradoxes (B) et à sa viabilité (C).

A) Les difficultés d’une articulation complexe

Des mesures de protection étendues. La dichotomie du droit de la guerre et de la paix avait soulevé certaines difficultés d’application, liées au caractère équivoque de la notion de guerre et à la volonté de certains États de soustraire leurs conflits aux contraintes du droit humanitaire. De ce point de vue, la démultiplication des catégories a opportunément permis d’élargir le champ d’application du droit de la guerre, en permettant son application aussi bien aux guerres non déclarées qu’aux diverses formes d’affrontements internes83. De même, l’extension au temps de guerre des règles du droit de la paix permet certainement de renforcer le corpus des protections assurées aux victimes de conflits84. Cependant, cet élargissement s’est fait au prix d’une complexité accrue du droit applicable aux situations de violence, désormais éclaté en une pluralité de notions et de régimes, dont la coordination obéit à des règles complexes.

Des conditions d’application complexes. La détermination du droit applicable à une situation donnée repose désormais sur une série d’analyses, dont certaines comportent une part importante de complexité.

Premièrement, il importe de qualifier la situation au regard des diverses catégories du droit humanitaire (guerre, conflit armé international ou situation d’occupation85 ; conflit armé contre un régime colonial, étranger ou raciste86 ; conflit armé interne de haute intensité87 ; conflit armé interne88 ; simples troubles et tensions intérieures89). Les critères présidant à la qualification d’un conflit armé en tant que tel et à la détermination de son caractère interne ou international sont à la fois nombreux, complexes et largement subjectifs90.

Deuxièmement, et une fois la qualification opérée, il convient de déterminer les règles applicables à la situation ainsi qualifiée. Si la question peut ne présenter qu’une difficulté modérée pour l’application de l’article 3 commun ou du Second protocole additionnel (qui constituent des catalogues fermés comportant un nombre fini de règles), il en va différemment pour les autres situations. En effet, la qualification d’une situation de guerre n’a pas seulement pour effet de provoquer l’application des quatre conventions de 1949 : elle implique l’entrée en application simultanée de plusieurs dizaines de conventions91, sans parler des principes et coutumes applicables en période de conflit92.

Troisièmement, et une fois identifiées les règles du droit des conflits armés applicables à la situation, il convient d’identifier les règles du temps de paix qui demeureront applicables en période de conflit et, corrélativement, celles qui seront éteintes ou dont l’application sera suspendue le temps des hostilités. Le Projet d’articles adopté par la Commission du droit international en 2011 énonce les critères pertinents, mais ceux-ci demeurent multiples et largement subjectifs93. De plus, ce projet demeure limité aux traités, sans rien dire du sort des règles de nature coutumière en cas de guerre.

Quatrièmement, il convient de retrancher de ces règles issues du droit de la paix et applicables en période de conflit armé, celles qui peuvent faire l’objet de dérogations en raison de circonstances exceptionnelles : dans l’affaire de l’édification du mur en territoire palestinien, la Cour internationale de Justice avait évoqué cet aspect en indiquant que « la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires du type de celle figurant à l’article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques »94. De telles clauses ne se rencontrent pas seulement en droit international des droits de l’homme, mais peuvent se retrouver dans toutes les catégories de conventions internationales, par exemple en droit des investissements95.

Cinquièmement, et pour finir, il convient de consolider le corps de règles résultant de cet ensemble d’additions et de soustractions normatives par la résolution de l’ensemble des conflits de normes entre les règles issues du droit de la paix et celles du droit de la guerre, à la lumière du principe de la lex specialis (ou toute autre modalité de combinaison)96. La question soulève assurément de redoutables difficultés dans le cadre des rapports entre le droit humanitaire et les droits de l’homme97 ; elles ne sont sans doute pas moindres en ce qui concerne la coordination du droit des conflits armés avec les autres branches du droit international (commerce, investissements, environnement, coopérations diverses…). La Cour internationale de justice avait donné un aperçu de la physionomie de ce corps de règles composite dans son avis de 2003, lorsqu’elle soulignait que


[d]ans les rapports entre droit international humanitaire et droits de l’homme, trois situations peuvent dès lors se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire ; d’autres peuvent relever exclusivement des droits de l’homme ; d’autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international98.

De statique, le droit humanitaire est devenu dynamique. Le risque est alors d’abstraire le droit des conflits armés des logiques fondamentales qui avaient présidé à sa création.

B) Les paradoxes d’une articulation abstraite

Le risque de perte d’effectivité du droit des conflits armés. S’il ne faut évidemment pas minimiser les importants bénéfices de l’évolution des rapports entre le droit de la paix et de la guerre, il ne faut pas non plus être aveugle aux risques que leur complexité fait courir à l’effectivité de leur mise en œuvre. Or, l’élégant système qui préside désormais à la détermination du droit applicable aux situations de conflits armés semble précisément faire abstraction de certains des principes fondamentaux qui avaient présidé à la création du droit humanitaire. En effet, si la complexité des règles d’application du droit de la guerre ne présente qu’une difficulté relative devant les juridictions internationales99, la question de leur intelligibilité par les organes immédiats de leur application (dirigeants politiques, autorités militaires, soldats) ne peut que se poser. Ces règles révèlent alors une approche qui tend à n’envisager le droit des conflits armés que dans sa fonction ex post : celle qui vise à punir les responsables et à indemniser les victimes100. Or, une telle évolution traduit une prise de distance sensible avec la logique qui animait les premières conventions de droit humanitaire, lesquelles aspiraient à éviter ex ante les souffrances superflues : la déclaration de Paris du 16 avril 1856 dénonçait les risques de « l’incertitude du droit et des devoirs en pareille matière »101, tant que la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 rappelait les finalités premières de ce droit : « atténuer autant que possible les calamités de la guerre » et limiter les « souffrances des hommes »102. Henry Dunant était un médecin et non un juriste : le droit humanitaire qu’il appelait de ses vœux était destiné à vider les infirmeries et non à emplir les prétoires.

De façon plus fondamentale – et quitte à rompre avec les préceptes stricts du normativisme – cette réduction du droit de la guerre à une simple technique juridique ôte à ce droit le substrat mystique et la dimension symbolique qui présidaient jadis à son application. La mise en œuvre du droit humanitaire revêt désormais la forme d’une opération purement intellectuelle dont on peut douter qu’elle trouve sa place dans le feu des combats103. Le mysticisme a parfois ses vertus104.

Les risques de perte de sens du droit des conflits armés. L’articulation proposée par la Cour sur le fondement de l’opposition entre lex generalis et lex specialis affecte de façon plus profondément encore la raison d’être même du droit humanitaire. En effet, pendant une longue période, le droit humanitaire a visé à renforcer le contenu des protections du droit de la guerre. Les lents progrès du droit humanitaire traduisaient, à chaque étape et à chaque époque, la consécration de nouveaux droits venant peupler ce corps de règles laissé désert par Cicéron105. Le droit humanitaire avait alors une fonction additive : il venait ajouter des protections qui, en son absence, faisaient défaut. Or, il n’est pas évident que cette fonction perdure dans la configuration nouvelle. Étant admis désormais que le droit de la paix demeure essentiellement applicable en temps de guerre, le droit humanitaire change de nature pour endosser une fonction soustractive. En effet, si l’on admet que les protections du temps de paix sont généralement plus étendues que celles du temps de guerre, l’entrée en application du droit humanitaire conduira, dans nombre de cas, à la dégradation des garanties accordées aux personnes protégées. Tel semble d’ailleurs bien être le cas dans l’avis relatif à la licéité de l’arme nucléaire de 1996 :


En principe, le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités. C’est toutefois, en pareil cas, à la lex specialis applicable, à savoir le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des hostilités, qu’il appartient de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire de la vie106.

La Cour présente donc bien le droit humanitaire comme un tempérament au droit commun et une dégradation du niveau de la protection accordée.

Les conséquences d’un tel renversement demandent à être soigneusement évaluées. Il serait ainsi permis d’interroger la signification réelle de la conclusion d’une nouvelle convention applicable à la conduite des hostilités. Les règles contenues dans le nouvel instrument, envisagées à la lumière de leurs rapports avec le droit international général, pourraient paradoxalement impliquer une diminution du niveau de protection : quelle serait, par exemple, la portée concrète d’une convention sur les données personnelles en temps de guerre du point de vue des personnes protégées ? Il n’est pas certain que la réponse à cette question soit évidente – et moins encore optimiste. Plus cruellement, il conviendrait d’interroger le sens même des règles humanitaires en vigueur, pour se demander ce qu’elles ajoutent – ou retranchent – aux protections qui existeraient en leur absence107. S’il convient de ne pas exagérer les risques pratiques d’une dégradation générale des protections108, il n’en reste pas moins que le modèle d’articulation suggéré par la Cour internationale de Justice contient le germe d’une véritable subversion des finalités du droit humanitaire, dont la logique protectrice s’effacerait pour en faire un instrument d’ajustement du droit aux nécessités militaires109. Une telle évolution constituerait un regrettable paradoxe, aussi bien au regard de l’histoire de ce corps de règles que de sa dénomination.

C) Les incertitudes d’une articulation naïve

La négation idéaliste du droit de la guerre. La dernière série de questions que soulèvent ces nouveaux rapports du droit de la paix et du droit de la guerre consiste à se demander à quel point ils traduisent encore une vision réaliste des rapports internationaux en général et du phénomène guerrier en particulier110. En 1912, lorsque l’Institut de droit international prit position en faveur du maintien de l’applicabilité des traités en temps de guerre, son Rapporteur Nicolas Politis fonda cette orientation sur la conviction que « [l]a guerre ne met pas tout en cause »111. Cette affirmation profondément idéaliste – car il est certainement de la nature de la guerre de tout bouleverser112 – est devenue de plus en plus souhaitable à mesure que s’affirmait le principe de l’illicéité du recours à la force. L’idée que la commission d’un fait internationalement illicite put provoquer une modification du droit applicable fut dénoncée : l’ex injuria jus non oritur devait désormais l’emporter sur le silent leges. L’Organisation des Nations Unies, tout à sa tâche d’interdire la guerre, refusa longtemps de prendre part aux travaux portant sur le droit des conflits armés113. Georges Scelle, dans un même ordre d’idée, s’était demandé si la prohibition de l’emploi de la force pouvait laisser subsister un droit de la guerre114.

De façon parallèle, la diminution effective du nombre et de l’importance des guerres entraîna progressivement un désintérêt, voire un désaveu, de la branche du droit destinée à la régir. Ce n’est sans doute pas un hasard si la Cour internationale de Justice a aboli l’antique distinction entre le droit de la paix et le droit de la guerre dans les années qui ont immédiatement suivi l’effondrement du Mur de Berlin et la chute du bloc soviétique. Cette éradication du droit de la guerre traduisait l’enracinement latent de la conviction de son inutilité, dans une adhésion implicite et simpliste à la vision achevée de l’histoire alors promue par Francis Fukuyama. La guerre interétatique devait disparaître, pour ne laisser subsister que d’insaisissables formes de terrorismes et de conflits internes :


terrorism and wars of national liberation will continue to be an important item on the international agenda. But large-scale conflict must involve large states still caught in the grip of history, and they are what appear to be passing from the scene115.

Dans une telle perspective, il était tentant – voire raisonnable – de réduire le droit humanitaire à un simple régime spécial : aux quelques violences limitées et lointaines qui surgiraient çà et là, il suffirait de répondre par des mesures résiduelles, auxquelles il ne serait plus permis de troubler l’ordre général du monde. Tout le mouvement de remise en cause de l’existence du droit de la guerre tient, au fond, à cette croyance naïve en l’éradication définitive de la guerre. La disparition de la guerre est un espoir du temps de paix.

La nécessité d’un droit de la guerre réaliste. Or, ainsi que l’écrivait Jean de Louter,


[l]a régénération du droit international n’est possible que suivant les données historiques. En proposant des réformes, il faudra se garder de toute illusion, il faudra se laisser guider par la réalité et par la consultation du passé. Les illusions peuvent charmer, mais elles conduisent souvent à la déception cruelle de leurs apôtres dévoués116.

Penser le droit de la guerre de façon réaliste suppose, au contraire d’admettre la possibilité « non seulement de guerres, mais des plus grandes et des plus terribles qui soient »117. Dans cette perspective, il est crucial que le droit de la guerre soit non seulement intelligible, mais encore praticable dans de telles situations. Tout le travail de construction du droit humanitaire a précisément consisté à rechercher, dans la durée et avec les États, un équilibre entre la nécessité militaire et l’impératif humanitaire. Il en est résulté un corps de règles à la fois limité et déterminé, fondé sur le consentement des États ou éprouvé par une longue pratique. Ce réalisme faisait à la fois la force et la limite du droit humanitaire. La légitime préoccupation d’étendre les garanties offertes aux victimes de conflits ne pouvait que conduire à rompre avec ce réalisme restrictif.

La question est alors de savoir dans quelle mesure le nouveau régime applicable en période de conflits armés – indéterminé et non consensuel – peut conserver son effectivité. Si Clausewitz qualifiait d’« insignifiantes »118 les restrictions que le droit des gens impose à la guerre, c’est moins par une adhésion militaire à la violence que par la conviction que ces limitations ne peuvent remettre en cause la nature même du phénomène : « c’est s’agiter en vain et même à contresens que de méconnaître la nature de l’élément à cause de la répulsion qu’inspire sa rudesse »119. Il concluait : « jamais on ne pourra introduire un principe modérateur dans la philosophie même de la guerre sans commettre une absurdité »120. Le succès du droit humanitaire a été de composer avec cette réalité pour tirer des belligérants toutes les concessions qu’ils pouvaient raisonnablement faire aux exigences de l’humanité, sans sacrifier aux exigences de la nécessité militaire121. S’il est certainement utile de continuer à déplacer progressivement le point de cet équilibre en faveur d’une extension graduelle des protections, en sacrifier la logique antique sur l’autel de la théorie des rapports de systèmes paraît bien hasardeux. C’est courir le risque d’un désengagement des combattants vis-à-vis de contraintes tenues pour non seulement abstraites, mais encore naïves.

Plus que les évolutions suggérées en elles-mêmes, c’est le caractère impensé de leurs conséquences qui est le plus véritablement problématique, ainsi que les présupposés sur lesquels elles reposent. Il y a quelque chose d’incantatoire dans cette remise en cause de la guerre et de son droit, comme si nier la notion pouvait conjurer la chose. L’histoire des derniers siècles du temple de Janus est édifiante à cet égard. L’abandon progressif du rite du maniement des portes ne mit évidemment pas l’Empire à l’abri de la guerre. Quelques années après la chute de Rome, les Goths attaquèrent la cité. Les habitants se rappelèrent leurs antiques croyances et forcèrent les portes du temple. Ils n’y trouvèrent aucun secours. La guerre, elle, était toujours là122.


1 L’article de référence concernant le dieu Janus semble être celui de R. Schilling, « Janus. Le dieu introducteur. Le dieu des passages », Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 72, 1960, p. 89-131. Voy. aussi G. Capdeville, « Les épithètes cultuelles de Janus », Annuaire de l’École pratique des hautes études – IVe section, Sciences historiques et philologiques, 1970-1971, p. 267-285 et J. Gagé, « Sur les origines du culte de Janus », Revue de l’histoire des religions, t. 195, n° 1-2, 1979, p. 3-33 et p. 129-151.

2 Après n’avoir compté que dix mois et commencé en mars, le calendrier romain va connaître une profonde réforme au viie siècle avant Jésus-Christ, sous le règne de Numa Pompilius. C’est à ce moment qu’apparaît le mois de janvier, avec sans doute déjà l’intention d’en faire le premier mois de l’année (É. Biémont, « Le calendrier et son histoire », Bulletin de l’Académie royale de Belgique – Classe des sciences, t. 7, n° 1-6, 1996, p. 15-71). Par coïncidence ou non, c’est à l’initiative du même Numa Pompilius qu’est attribuée la construction du temple de Janus (en ce sens, Tite-Live, Histoire romaine, in D. Nisard, Œuvres de Tite-Live, traduction D. Nisard, Paris, Firmin-Didot, 1864, t. 1, Livre I, Ch. I, 2).

3 Ce rite est attesté dans Les Fastes du poète Ovide, qui indique qu’à la fin du mois de Mars, « il faudra rendre hommage à Janus, et en même temps à la douce Concorde, au salut de l’empire, au génie de la paix » (D. Nisard (dir.), Œuvres complètes d’Ovide, trad. J. Fleutelot, Paris, Garnier Frères, 1850, livre III, p. 598).

4 La pièce en question est un sesterce, gravé par Néron entre 65 et 67. La série est assez commune et s’observe dans plusieurs musées. Sur ces pièces et leur symbolique, voy. S. Estienne, « Temples et figures divines sur les monnaies romaines », Hypothèses, 2002, n° 1, p. 115-124.

5 Pierre Paul Rubens, Le temple de Janus, 1635, Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg, Bâtiment du Nouvel Ermitage, Salle 247.

6 C. Maratta, L’empereur Auguste ordonne de fermer les portes du temple de Janus, vers 1655, Palais des Beaux-arts de Lille.

7 Selon Tite-Live, « [d]eux fois il a été fermé depuis le règne de Numa, la première, sous le consulat de Titus Manlius, à la fin de la première guerre punique ; la seconde, sous César Auguste, lorsque, par un effet de la bonté des dieux, nous vîmes, après la bataille d’Actium, la paix acquise au monde, et sur terre et sur mer » (Histoire romaine, précit., t. 1, Livre I, Ch. I, 2).

8 Tite-Live, Histoire romaine, précit., t. 1, Livre I, Ch. I, 2.

9 La première position est défendue par Horace et Ovide ; la seconde par Virgile. Sur ces deux approches, voy. R. Schilling, « Janus. Le dieu introducteur. Le dieu des passages », Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 72, 1960, spéc. p. 114. Voy. aussi S.J. Green, « Multiple Interpretation of the Opening and Closing of the Temple of Janus: A Misunderstanding of Ovid “Fasti” 1.281 », Mnemosyne, vol. 53, n° 3, Brill, 2000, p. 302‑309.

10 « Inter bellum and pacem medium nihil sit » (Cicéron, « Huitième philippique, discours cinquante », in D. Nisard (dir.), Œuvres complètes de Cicéron, Paris, J.-J. Dubochet et Le Chevalier, 1848, t. 3).

11 Les dictionnaires définissent ainsi habituellement la paix comme la « Situation d’une nation, d’un État qui n’est pas en guerre » (Le Robert, s.v. « Paix » ; voy. identiquement le Trésor de la langue française ou Le Larousse). Cette définition classique, qui envisage la paix de façon exclusivement négative, a été contestée par les partisans d’une définition positive de la paix, ne la réduisant pas à la simple absence de guerre (voy. not. J. Galtung, « An Editorial », Journal of Peace Research, vol. 1, n° 1, Sage Publications, 1964, p. 2).

12 Sur cette question, voy. déjà R. Le Bœuf et J. Tribolo, « Régime(s) de paix, régime(s) de guerre : évolution et complexité des régimes d’exception en droit international », in R. Maison et O. Mamoudy, Autour de l’état d’urgence français – Le droit politique d’exception, pratique nationale et sources internationales, Paris, Institut Universitaire Varenne, Coll. Colloques et Essais, 2018, p. 137-154.

13 « Quand les armes parlent, les lois sont silencieuses » (Plaidoyer de Cicéron pour Milon, trad. M. Guéroult, Hachette, 1845, p. 10).

14 Idem.

15 Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. par P. Pradier-Fodéré, éd. par D. Alland et S. Goyard-Fabre, Paris, PUF, 1999, Prolégomènes, par. III, p. 8.

16 Idem.

17 Grotius cite Thucydide, lui faisant dire que « rien n’est injuste de ce qui est utile aux rois » ; Ennius, lui prêtant le vers « [c]e n’est pas sur le terrain des lois que l’on combat, mais c’est plutôt par le fer que l’on revendique sa propriété » ; Horace, disant du guerrier Achille qu’« [i]l nie que les lois aient été faites pour lui, et ne demande rien qu’à son épée » ; Plutarque, faisant dire à Alexandre le Grand « [i]ci je laisse en arrière la paix et les lois violées » ; Marius disant que le bruit des armes empêche d’entendre la voix des lois ; Pompée, disant « [q]uand je suis armé, puis-je penser aux lois », et dont Plutarque rapporte qu’il aurait répondu à ses ennemis « [n]e cesserez-vous pas de nous réciter des lois, à nous qui sommes ceins du glaive ? » ; César, estimant que « le temps des armes n’est pas le même que celui des lois » ; ou Sénèque, concluant qu’« il n’est pas possible d’être homme de bien et bon général » (Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, précit., Prolégomènes, par. III, p. 8, note 1).

18 Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, précit., Prolégomènes, par. III, p. 8.

19 Sur cette hypothèse du non-droit, voy. J. Carbonnier, Flexible droit – Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, LGDJ, 2001, p. 25 et, visant spécialement la guerre pour contester sa soustraction au droit, p. 48.

20 Vattel, Le droit des gens, ou principes de la loi naturelle, appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, traduit par P. Royer-Collard, Paris, J.-P. Aillaud, 1835 (publication originale : 1758), t. II, L. IV, ch. I, par. 1, p. 292.

21 E. Nys, Les origines du droit international, Bruxelles, A. Castaigne, 1894, p. 264.

22 L. Bourgeois, Pour la Société des nations, Paris, E. Fasquelle, 1910, p. 7.

23 Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, précit., Prolégomènes, par. XXV, p. 17.

24 Idem, par. XXVI, p. 17.

25 Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, précit., L. I, Ch. II, V, 2, p. 56. Sur le droit de tuer à la guerre, voy. aussi L. III, Ch. IV ainsi que les tempéraments énoncés L. III, Ch. XI.

26 Idem, L. III, Ch. I. 

27 A. D. McNair, « Les effets de la guerre sur les traités », RCADI, vol. 59, 1937-I, p. 528-529.

28 L. Delbez, « La notion juridique de guerre (le criterium de la guerre) », RGDIP, 1953, vol. 57, p. 28

29 Sur cette question, voy. les observations de R. Charvin, « Le droit international tel qu’il a été enseigné – Notes critiques de lecture des traités et manuels (1850-1950) », in Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – Méthodes d’analyse du droit international – Mélanges offerts à Charles Chaumont, Pedone, 1984, spéc. p. 150. Voy. également le travail de recensement effectué par Mmes Beglimini et Vivien-Raguet, « Droit de la paix et droit de la guerre dans les manuels francophones de droit international public », accessible sur le site Documentsdedroitinternal.fr.

30 J. Raspiller, Le passage de l’état de paix à l’état de guerre, 1904.

31 Q. Wright, « Changes in the Conception of War », AJIL, 1924, vol. 18, n° 4, p. 760.

32 G. Scelle, « Quelques réflexions sur l’abolition de la compétence de guerre », RGDIP, 1954, n° 1, p. 6.

33 L’expression est prêtée à Dietrich Schindler par K. J. Partsch, New Rules for Victims of Armed Conflicts: Commentary on the two 1977 Protocols additional to the Geneva Conventions of 1949, Martinus Nijhoff Publishers, 1982, p. 249.

34 P. Daillier, A. Pellet et M. Forteau, A. Miron, Droit international public, 2009, 8e éd., LGDJ, p. 1067. Le terme a disparu de la dernière édition, les auteurs ne reconnaissant plus qu’une « portée limitée » à la distinction entre le droit de la paix et le droit de la guerre.

35 P. Verri et S. Attardi, « La nozione di ‘guerra’ e di ‘combattente’ nei conflitti moderni », Military L. & Law of War Rev., 1971, vol. 10, n° 2, p. 162.

36 E. Nys, Le droit international. Les principes, les théories, les faits, Bruxelles, W. Weissenbruch, t. 2, p. 587.

37 R. Le Bœuf et J. Tribolo, « Régime(s) de paix, régime(s) de guerre : évolution et complexité des régimes d’exception en droit international », précit., p. 140.

38 voy. supra, note 10.

39 A. D. McNair, « The legal meaning of war and the relation of war to reprisals », Transact. Grot. Soc’y, 1926, vol. 11, n° 29, p. 33. Louis Delbez rapporte quant à lui que le Maréchal Foch, discutant en 1919 d’une éventuelle prolongation de l’armistice, refusa l’idée en s’écriant « ou on est en guerre, ou on est en paix, pour moi, il n’y a pas de milieu ! » (L. Delbez, « La notion juridique de guerre (le criterium de la guerre) », RGDIP, 1953, vol. 57, p. 195).

40 Article 2 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention de La Haye du 29 juillet 1899 (nous soulignons).

41 Sur le droit humanitaire coutumier, voy. J.-M. Henckaerts, Customary International Humanitarian Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, 684 p. Voy. aussi la base de données sur le droit international humanitaire coutumier sur le site internet du Comité international de la Croix-Rouge.

42 Ce motif est prévu à l’article 60 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

43 Les termes sont empruntés aux articles 61 et 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui codifient respectivement le régime de l’impossibilité d’exécution et du changement fondamental de circonstances.

44 Alors que l’impossibilité d’exécution et le changement fondamental de circonstances sont envisagés aux articles 61 et 62 de la Convention de Vienne, la question de l’ouverture des hostilités est envisagée à l’article 73, pour indiquer seulement que « [l]es dispositions de la présente Convention ne préjugent aucune question qui pourrait se poser à propos d’un traité du fait […] de l’ouverture d’hostilités entre États ». La convention établit donc bien une distinction entre les deux approches.

45 Les théories de l’impossibilité d’exécution ou du changement fondamental de circonstances ne sont pas évoquées dans le Projet d’articles de 2011, si ce n’est à l’article 18 comme un des « autres cas d’extinction, de retrait ou de suspension » (Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités et commentaires y relatifs, Ann. CDI, 2011, vol. II(2), nous soulignons).

46 Ces contradictions furent notamment invoquées par la Commission du droit international pour renverser le principe et affirmer la permanence des traités en temps de conflits armés (voy. CDI, Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités et commentaires y relatifs, Ann. CDI, 2011, vol. II(2), commentaire sous article 3, par. 2. Sur cette question, voy. infra, Partie 2.

47 Sur cette pratique dominante du constat de la caducité des traités conclus avant la guerre, voy. R. Le Bœuf, Le traité de paix – Contribution à l’étude juridique du règlement conventionnel des différends internationaux, Paris, Pedone, 2018, p. 159-163). De rares auteurs ont néanmoins exprimé l’idée que cette pratique traduisait moins la conviction de la nécessité d’une telle remise en vigueur qu’une précaution destinée à prévenir toute contestation future quant au droit applicable (intervention de M. de Bar, Ann. IDI, t. 25, 1912, p. 616).

48 Reste entière la question consistant à déterminer le contenu précis de cette coutume, son régime et sa portée. En ce qui concerne les traités, la doctrine a pu débattre de la question de savoir s’il s’agissait de remettre en application des traités seulement suspendus ou de conclure à nouveau des traités que la guerre avaient entièrement éteints (dans son cours de 1971, Francesco Capotorti conclut que « l’examen de la pratique des États pendant une période remarquablement longue […] fait ressortir sans doute le principe de l’extinction et non celui de la suspension » (F. Capotorti, « L’extinction et la suspension des traités », RCADI, vol. 134, 1971-III, p. 557). La question se pose également de savoir dans quelle mesure la règle coutumière prévoyait également la suspension des coutumes et principes généraux du droit de la paix.

49 Le dictionnaire de droit international public définit ainsi la guerre au sens juridique comme la « situation déclenchée par une confrontation armée entre deux ou plusieurs États » (J. Salmon, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, s.v. « Guerre »). Cette définition correspond par ailleurs à celle donnée par les dictionnaires généralistes.

50 De telles violences, qui se déroulent à l’intérieur des frontières d’un État, sont longtemps réputées relever de son seul droit interne. Dans ce cas de figure, le gouvernement de l’État en proie à un tel conflit peut choisir d’accorder certaines garanties aux rebelles à travers son droit interne. C’est ainsi que, pendant la guerre civile américaine, le gouvernement américain adopta le Code Lieber, qui prévoyait d’accorder des protections aux Confédérés. Le gouvernement contesté pouvait aussi décider d’accorder la protection du droit international aux rebelles, par l’entremise d’une reconnaissance de belligérance (sur cette notion, voy. L. Féraud-Giraud, « De la reconnaissance de la qualité de belligérants dans les guerres civiles », RGDIP, 1896, p. 277‑291). Toutefois, ces protections présentaient le double caractère d’être rares dans la pratique et de dépendre entièrement du bon vouloir de l’une des parties au conflit.

51 Cité in R. Blin de Bailleul, Des hostilités sans déclaration de guerre pendant le XIXe siècle et les années suivantes, L. Larose et L. Tenin, 1907, p. 5.

52 Ch. Greenwood, « The concept of War in modern International Law », ICLQ, 1987, vol. 36, n° 2, p. 303.

53 F. Grob, Relativity of Peace and War: A study in Law, History and Politics, New Haven, Yale University Press, 1949, p. 189.

54 La Russie a systématiquement qualifié d’opération militaire spéciale son action militaire en Russie, évitant soigneusement de parler de guerre et réprimant l’emploi du terme au sein de sa population (voy. Ph. Lagrange, « Le conflit armé en Ukraine et l’effectivité du droit international humanitaire », RGDIP, 2023-1, spéc. p. 124).

55 Pensée dans le cadre du droit humanitaire et aux fins des enjeux spécifiques liés à son entrée en application, la question du statut de la notion de conflit armé dans le cadre du droit international général mérite d’être approfondie : il faut en effet remarquer que dans son Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités, la Commission du droit international se réfère à ce concept unique comme facteur neutralisant des traités internationaux, y incluant les conflits internationaux aussi bien qu’internes (voy. Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités et commentaires y relatifs, Ann. CDI, 2011, vol. II(2), spéc. art. 2, b). La Commission, par cette réunion, semble donc prendre une orientation qui prolonge et amende la pluralité des régimes reconnue dans le cadre du droit humanitaire (sur cette approche, voy. R. Le Bœuf, « Les effets de la guerre sur les traités », AFDI, 2024, à paraître).

56 L’article 2 est commun aux 4 conventions conclues à Genève le 12 août 1949. Sa partie pertinente se lit ainsi : « la présente Convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles. La Convention s’appliquera également dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire » (nous soulignons).

57 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, art. 1. Le paragraphe 3 de cet article prévoit, à l’instar des conventions de 1949, que « [l]e présent Protocole, qui complète les Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre, s’applique dans les situations prévues par l’article 2 commun à ces Conventions ». Le paragraphe 3 étend cependant le champ d’application en précisant que « [d]ans les situations visées au paragraphe précédent sont compris les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Sur l’origine et le sens de cette règle, voir le commentaire donné de cette disposition in Comité international de la Croix-Rouge, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, Martinus Nijhoff, 1986, p. 41 et s.

58 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977, art. 1, par. 1 : « Le présent Protocole, qui développe et complète l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 sans modifier ses conditions d’application actuelles, s’applique à tous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l’article premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 2 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d’une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent Protocole » (nous soulignons). Le second paragraphe du même article précise que « [l]e présent Protocole ne s’applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés » (sur cette question, voy. infra).

59 L’article 3 est commun aux 4 conventions de Genève et prévoit qu’« [e]n cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes ». Suit un catalogue comportant quelques garanties aussi fondamentales que minimales (interdiction, pour les personnes hors de combat, des atteintes à la vie, mutilations, traitements cruels, tortures et supplices, prises d’otages, atteintes à la dignité, condamnations sans jugement assorti des garanties judiciaires indispensables, soin aux blessés). L’article invite également les belligérants à s’entendre pour appliquer les autres dispositions des Conventions. L’étendue des protections est certes accrue si l’on dépasse le droit conventionnel pour intégrer le droit coutumier, le Comité international de la Croix-Rouge soutenant l’idée que « 136 (voire 141) des 161 règles de ce droit [coutumier] […] s’appliquent également aux conflits armés non internationaux » (M. Sassoli, A. Bouvier, A. Quintin, Un droit dans la guerre, Genève, CICR, seconde édition, ch. 12, p. 3).

60 Cette exclusion a été formalisée par l’article 1, par. 2 du deuxième Protocole additionnel de 1977 : « Le présent Protocole ne s’applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés ». Toutefois, il était déjà admis que l’article 3 commun n’avait pas vocation à s’appliquer à ces situations qui ne pouvaient pas être caractérisées comme conflit armé (voy. J. Pictet, Les conventions de Genève du 12 août 1949 : Commentaire, 4 vols, Genève, CICR, 1952, vol. 1, p. 34 et s.).

61 Sur les difficultés liées à la détermination des seuils séparant les troubles et tensions intérieures du conflit armé interne, et le conflit armé interne du conflit armé de haute intensité, voy. R. Le Bœuf et J. Tribolo, « Régime(s) de paix, régime(s) de guerre… », précit., p. 143 et s.

62 Règlement concernant les effets de la guerre sur les traités, Institut de droit international, session de Christiana, 1912, art. 1.

63 Le règlement de 1912 vise ainsi, par exception au principe, les catégories de convention auxquelles la guerre « met fin de plein droit » (article 2). Toutefois, les auteurs du règlement demeurent réalistes et soulignent que les conventions restées en vigueur ne doivent être observées que si leur exécution « demeure, malgré les hostilités, pratiquement possible » (art. 2). Même dans ce cas, les États peuvent « se dispenser » d’observer ces conventions dans les limites commandées « par les nécessités de la guerre » (art. 4).

64 La formulation de l’article 282 du traité est la suivante : [c]hacune des puissances alliées ou associées […] notifiera à l’Allemagne les conventions bilatérales ou les traités bilatéraux dont elle exigera la remise en vigueur avec elle […]. Les conventions bilatérales et traités bilatéraux qui auront fait l’objet d’une telle notification seront seuls remis en vigueur […] ; tous les autres sont et demeureront abrogés » (nous soulignons).

65 Encore que dans des formulations plus équivoques. Le traité de paix de Paris du 10 février 1947 avec l’Italie dispose en son article 44, par. 1 que « [c]hacune des Puissances Alliées et Associées notifiera à l’Italie […] les traités bilatéraux qu’elle a conclus avec l’Italie antérieurement à la guerre et dont elle désire le maintien ou la remise en vigueur » (nous soulignons). En l’absence d’une telle notification, les traités sont – de façon tout aussi équivoque – « tenus pour abrogés » (Traité de Paris, art. 44, par. 3, nous soulignons). Les formulations sont analogues dans le traité de paix de San Francisco conclu en 1951 avec le Japon.

66 CIJ, Affaire du détroit de Corfou (Albanie c. Royaume-Uni), arrêt sur le fond du 8 avril 1949, Recueil, 1949, p. 22.

67 Comité international de la Croix-Rouge, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, Martinus Nijhoff, 1986, p. 51.

68 Résolution relative aux Effets des conflits armés sur les traités, Institut de droit international, session de Helsinki, 1985, art. 2.

69 CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, Recueil 1996, p. 226 et s.

70 CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, Recueil 2004, p. 136 et s.

71 CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, précit., p. 239, par. 24.

72 Ibid., p. 240, par. 25.

73 CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, précit., p. 178, par. 106.

74 H. Rumpf, « The concepts of Peace and War in International Law », German Yb. Int’l L., 1984, vol. 27, p. 435.

75 Projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités et commentaires y relatifs, Ann. CDI, 2011, vol. II(2), spéc. art. 3 : « L’existence d’un conflit armé n’entraîne pas ipso facto l’extinction des traités ni la suspension de leur application ».

76 Idem, art. 6 : « Pour déterminer si un traité est susceptible d’extinction ou de suspension en cas de conflit armé ou s’il peut faire l’objet d’un retrait en tel cas, il sera tenu compte de tous les facteurs pertinents, notamment :

a) De la nature du traité, en particulier de sa matière, de son objet et de son but, de son contenu et du nombre de parties au traité ; et

b) Des caractéristiques du conflit armé, telles que son étendue territoriale, son ampleur et intensité, sa durée, de même que, dans le cas d’un conflit armé non international, du degré d’intervention extérieure ».

77 Idem, art. 9, par. 1 : « L’État qui a l’intention de mettre fin à un traité auquel il est Partie, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application par suite d’un conflit armé notifie cette intention soit à l’autre État Partie ou aux autres États Parties au traité, soit au dépositaire du traité ».

78 CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, précit., p. 240.

79 Sur les origines de cette invocation du principe par la Cour, voy. M. Milanovic, « The Lost Origins of Lex Specialis: Rethinking the Relationship between Human Rights and International Humanitarian Law », in J.D. Ohlin (dir.), Theoretical Boundaries of Armed Conflict and Human Rights, Cambridge, Cambridge University Press, ASIL Studies in International Legal Theory, 2016, p. 78‑117.

80 Il a notamment été relevé que la Cour s’est abstenue de mentionner la doctrine de la lex specialis dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2005 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo. Certains auteurs ont voulu déduire de ce silence un abandon du principe au profit d’une logique de complémentarité moins rigide, inspiré de l’Observation générale n° 31 adoptée par le Comité des droits de l’homme en 2004 et reposant sur une logique d’interprétation conforme entre les deux corps de règles. Une telle approche, si elle peut effectivement limiter les hypothèses de conflits de normes, ne peut néanmoins ni les résoudre toutes, ni les exclure : il est donc difficile de voir dans cette observation un mode de résolution des conflits de normes. Le Conseil des droits de l’homme adopta quant à lui en 2008 une résolution équivoque – mais convergente avec les avis de la Cour – indiquant que « la protection accordée par le droit des droits de l’homme reste d’application dans des situations de conflit armé, eu égard aux circonstances dans lesquelles le droit international humanitaire s’applique en tant que lex specialis ». Sur ces questions et la thèse de l’abandon de la théorie de la lex specialis, voy. I. Scobbie, « Principle of Pragmatics – The Relationship between Human Rights Law and the Law of Armed Conflict », Journal of Conflict and Security Law, vol. 14, n° 3, 2009, p. 453.

81 B. Van Dijk, « Human Rights in War: On the Entangled Foundations of the 1949 Geneva Conventions », The American Journal of International Law, vol. 112, n° 4, Cambridge University Press, 2018, p. 553.

82 Ainsi que le synthétisait Marco Milanović, il s’agit de « A Relationship between Norms, not between Regimes » (M. Milanović, « Norm Conflicts, International Humanitarian Law, and Human Rights Law », in O. Ben-Naftali (dir.), International Humanitarian Law and International Human Rights Law, Oxford University Press, 2011, p. 96‑125).

83 Voy. supra, Partie 2, A. 

84 Voy. supra, Partie 2, B. 

85 Cette catégorie est prévue à l’article 2 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949.

86 Cette catégorie est prévue à l’article 1, par. 4, du Premier protocole additionnel aux Conventions de Genève.

87 Cette catégorie est prévue à l’article 1, par. 1 du Second Protocole additionnel aux Conventions de Genève.

88 Cette catégorie est prévue à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949.

89 Cette catégorie est prévue à l’article 1, par. 2 du Second protocole additionnel, mais était déjà latente lors de l’adoption de l’article 3 commun aux Conventions de 1949.

90 Sur les critères de qualification des conflits armés, voir supra, note 60.

91 Pour une liste de ces instruments, voy. la base de données constituée par le Comité international de la Croix-Rouge sur son site internet.

92 Sur le droit humanitaire coutumier, voy. J.-M. Henckaerts, Customary International Humanitarian Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, 684 p. Voy. aussi la base de données sur le droit international humanitaire coutumier sur le site internet du Comité international de la Croix-Rouge.

93 Sur ces critères, voy. supra, Partie 2, B. 

94 CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, précit., p. 178, par. 106 (nous soulignons).

95 Voy. dans le présent ouvrage E. Stoppioni, Le droit des investissements à l’épreuve de la guerre.

96 Sur ce principe et les doutes entourant son application, voy. supra, Partie 2, B, spéc. note 79.

97 La doctrine sur le sujet est abondante. Ainsi que le relevait Marco Milanović, « [m]uch has been written on the relationship between international humanitarian law (IHL) and international human rights law (IHRL). So much so, in fact, that it is hard to find something new, not to mention useful, to say » (M. Milanović, « Norm Conflicts, International Humanitarian Law, and Human Rights Law », précit., p. 96). Voy. dans le présent dossier, C. Husson, « Les droits de l’homme et la guerre ».

98 CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, précit., p. 178, par. 106.

99 Qu’il s’agisse de la Cour internationale de Justice, de la Cour pénale internationale, des juridictions régionales de droits de l’homme ou des arbitrages d’investissement (on relèvera ici la manière piquante dont Edoardo Stoppioni relève le curieux intérêt de l’arbitrage d’investissement pour la question, voy. dans le présent ouvrage E. Stoppioni, Le droit des investissements à l’épreuve de la guerre).

100 Et encore une telle application n’est-elle pas dépourvue de certaines curiosités, voy. R. Le Bœuf, « La saisine de la Cour internationale de Justice pour faits de guerre », RBDI, 2009-1, p. 52-77.

101 Déclaration réglant divers points de droit maritime, faite à Paris le 16 avril 1856.

102 Déclaration à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre, faite à Saint Petersbourg le 11 décembre 1868.

103 Nous pensons ici à la distinction proposée par D. Kahneman, Système 1 – système 2 : les deux vitesses de la pensée, Paris, France, Flammarion, 2012, 555 p. Lauréat du Prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel, l’auteur décrit deux modes de réaction de l’humain face à un problème : le système 1 est un système réactif présenté comme « rapide, intuitif et émotionnel » ; le système 2, à l’inverse, est un système analytique « plus lent, plus réfléchi, plus contrôlé et plus logique ».

104 Ainsi que le relevait pertinemment Charles Péguy, et l’affirmation se prête à la question des rapports de la guerre et du droit, « Tout commence en mystique et finit en politique. […] l’essentiel est que dans chaque ordre, dans chaque système la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance » (C. Péguy, « Notre jeunesse », Mystique et Politique, Robert Laffont, 2015 (publication originale 1910), p. 444).

105 Sur l’adage inter arma, silente leges, voy. supra, Partie I, A. 

106 CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, précit., p. 226 et s.

107 Pour un essai d’approche comparative, voy. A. Orakhelashvili, « The Interaction between Human Rights and Humanitarian Law: Fragmentation, Conflict, Parallelism, or Convergence? », European Journal of International Law, vol. 19, n° 1, 2008, p. 161‑182.

108 Voy. les conclusions essentiellement rassurantes de A. Orakhelashvili, « The Interaction between Human Rights and Humanitarian Law: Fragmentation, Conflict, Parallelism, or Convergence? », European Journal of International Law, précit. L’étude portait toutefois sur un nombre très limité de règles.

109 Ce qui ne serait pas sans rappeler l’opinion selon laquelle « [o]n enjoint à la loi de se taire lorsque l’on est engagé dans des activités que l’on estimerait contraires à la loi dans d’autres circonstances » (Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Paris, Gallimard, 2006, p. 34).

110 L’expression phénomène guerrier, largement reçue dans le champ des études historiques et anthropologiques, invite à envisager la guerre comme « saisie du réel humain, à travers celle de l’expérience de guerre individuelle et collective » (S. Audoin-Rouzeau, O. Forcade, « La société, la guerre, la paix : nouvelles problématiques, nouveaux objets », Histoire, économie et société, vol. 23, n° 2, 2004, p. 168).

111 Annuaire de l’Institut de droit international, 1912, p. 612.

112 La guerre a couramment été définie par son caractère total. Clausewitz avait relevé que la guerre, « selon son concept, doit conduire aux extrêmes » (Clausewitz, De la guerre, Paris, Flammarion, 2014 (parution originale : 1832), ch. 1). Cette conception se retrouve chez Kelsen, lorsqu’il assimile fonctionnellement la guerre aux représailles pour ne les distinguer que par une question de degrés : « Entre des représailles réalisées par l’usage de la force armée et la guerre, il n’y a qu’une différence de degré simplement ; les représailles sont une intervention dans la sphère d’intérêts d’un autre État qui se limite à la violation de certain de ces intérêts seulement ; la guerre au contraire est une intervention illimitée dans cette sphère d’intérêts » (H. Kelsen, Théorie pure du droit, 2e éd., Paris, Dalloz, 1962, p. 421).

113 Robert Kolb rappelle que longtemps, « les organes des Nations Unies décident d’écarter toute considération du droit de la guerre de leurs travaux. Ils estiment qu’en s’occupant de cette branche du droit, ils risqueraient d’ébranler la force du ius contra bellum énoncé par la Charte et ouvriraient la voie à des doutes sur la capacité de l’Organisation de maintenir la paix » (R. Kolb, « Relations entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme », RICR, 1998, p. 437‑447).

114 G. Scelle, « Quelques réflexions sur l’abolition de la compétence de guerre », RGDIP, 1954, p. 13 : « étant donné la disparition de la compétence de guerre offensive, peut-il subsister dans l’ordre juridique international un “droit de la guerre” au sens classique du mot, c’est-à-dire une réglementation de l’usage de la force ? ».

115 « This implies that terrorism and wars of national liberation will continue to be an important item on the international agenda. But large-scale conflict must involve large states still caught in the grip of history, and they are what appear to be passing from the scene » (F. Fukuyama, « The End of History? », The National Interest, n° 16, 1989, p. 18).

116 J. de Louter, « La crise du droit international », RGDIP, 1919, p. 91.

117 S’il nous est permis d’ainsi détourner les apologies bellicistes de Nietzsche (F. Nietzsche, Humain, trop humain, 1878).

118 Clausewitz, De la guerre, Paris, Flammarion, 2014 (parution originale : 1832), ch. 1, par. 2.

119 Idem, ch. 1, par. 3.

120 Idem.

121 Bien loin de Clausewitz, c’est ce que relève le Comité international de la Croix-Rouge lui-même dans le manuel de droit humanitaire qu’il édite sous la direction de Marco Sassoli : « pour toutes les règles de DIH des conflits armés non internationaux existantes, prétendues et nouvellement proposées, ou chaque fois que nous interprétons l’une de ces règles, nous devrions vérifier si un groupe armé disposé à appliquer la règle en question peut le faire sans nécessairement perdre le conflit » (M. Sassoli, A. Bouvier, A. Quintin, Un droit dans la guerre, précit., Ch. 12, p. 4).

122 Procope de Césarée, Histoire de la guerre contre les Goths, Livre I, Ch. 25, par. 3 : « En ce temps-là, quelques Romains tâchèrent d’ouvrir de force les portes du temple de Janus. […] Il y a à ses deux côtés deux portes de bronze, lesquelles les Anciens fermaient durant la paix, et ouvraient durant la guerre : mais depuis qu’ils eurent embrassé la religion chrétienne, pour laquelle ils ont autant de zèle que pas un autre peuple du monde, ils n’ouvraient plus ce temple quand ils déclaraient la guerre. Ce ne fut que dans le désordre du siège, que quelques personnes infectées, comme je me le persuade, des vieilles erreurs, firent un effort, mais un effort inutile, pour l’ouvrir. Les auteurs de cette action demeurèrent inconnus, les magistrats n’en ayant point fait de recherche au milieu de tant de troubles, et le bruit même n’en ayant pas été répandu parmi tout le peuple ».


Romain Le Bœuf, « Droit de la paix et droit de la guerre : que reste-t-il du temple de Janus ? », Le retour de la guerre [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 17 décembre 2023. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=2474.

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