Florent Baude1
Maître de conférences en droit public, Université de Lille, ERDP-CRDP, ULR n° 4487
Résumé : Le 24 février 2022 constitue un point de bascule. Coïncidant avec le retour de la guerre interétatique sur le continent européen, cette date conduit à s’interroger sur les imbrications entre le droit public et la guerre. La présente étude ne prétend pas à l’exhaustivité. Constatant l’invocation tous azimuts de la guerre, elle propose de revenir sur une distinction essentielle : à savoir que la guerre est une activité conduite par les combattants (faire la guerre) et qu’elle peut être aussi un état imposé à une Nation (être en guerre). En tant qu’activité, la guerre correspond à un fait qualifié auquel le droit public attachera des conséquences juridiques. Prise sous cet angle, la guerre s’apparente à une étiquette utilisée par les pouvoirs publics avec beaucoup de souplesse. En revanche, envisagée en tant qu’état, la guerre est plus problématique. L’état de guerre ne se donne pas à voir, il doit être identifié dans diverses normes éparses. La question se pose donc, sinon de sa réinvention, à tout le moins, de son actualisation.
Le 24 février 2022 – premier jour de l’agression de l’Ukraine par la Russie – constitue un point de bascule. Cette date coïncide avec le retour de la guerre interétatique sur le continent européen et interroge sur l’avenir de la paix et surtout, sur les capacités de résilience d’une démocratie comme la nôtre2. Il reste que sur une telle question, complexe s’il en est, l’office du juriste est, sinon modeste, à tout le moins limité. Il ne lui appartient pas de dire ce qui devrait être, autrement dit de faire la politique à la place du politique. Il doit, en toute objectivité, se contenter de constater et d’analyser ce qui se voit, ce qui est, ou encore ce qui n’est pas ou plus. Traiter des imbrications entre le droit public et la guerre permet assurément d’emprunter un tel chemin. Celui-ci n’est toutefois pas sans écueil. C’est qu’un autre constat est notable : celui de l’invocation tous azimuts de la guerre pour caractériser des situations qui, à première vue, n’en sont pas. Ainsi, par ex., du célèbre : « La France est en guerre ! » prononcé au Congrès du Parlement le 16 nov. 2015 par le président François Hollande ; ainsi, également, du non moins célèbre propos tenu par le président Emmanuel Macron le 16 mars 2020 : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes, nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible ». Ces deux propos présidentiels méritent réflexion. D’abord, en effet, ils rappellent que la guerre n’est pas qu’un concept juridique : la guerre peut être métaphorique3. Elle est également un concept stratégique4. Or, si le droit peut interdire la guerre, il lui est difficile de s’attaquer à son essence, à savoir la violence armée qui reste endémique au sein de la Communauté internationale. Ensuite, de tels propos font prendre conscience des difficultés avérées pour qualifier certains recours à la force ou à la violence : recourir au terme de guerre serait alors une solution commode pour caractériser, par analogie et a posteriori, la gravité d’une situation, et dans le même temps, pour justifier des restrictions5. Enfin, ils conduisent au constat que le terme de guerre est, sinon galvaudé, à tout le moins protéiforme : aussi, s’employer à définir la guerre en s’appuyant sur un ou des critères précis risque bien d’être ardu6. En ce sens, nombreux sont les auteurs à considérer qu’il n’existe pas de définition claire de la guerre7, à tout le moins en droit interne8. L’objet de cette étude n’est justement pas définitoire. On se contentera, ici, de revenir sur une distinction essentielle : à savoir que la guerre est, certes, une activité conduite par les combattants (faire la guerre) et qu’elle peut être aussi un état imposé à une Nation (être en guerre). Activité, en effet, et s’il y a bien un constat qui a traversé les âges, c’est que la guerre est avant tout un fait (I). C’est vrai en droit international9. C’est également vrai en droit interne. Dit autrement, cela signifie que la guerre résultera, en droit public, de la qualification de certains faits ou situations auxquels on attachera des conséquences juridiques. Prise sous cet angle, la guerre s’apparente à une étiquette utilisée par les pouvoirs publics avec beaucoup de souplesse. En revanche, la proclamation d’un état de guerre organisé par le droit est plus problématique et ne va plus de soi. Elle pourrait correspondre au retour du vieux « droit public de la guerre », fruit de périodes que l’on pensait révolues, et dont on est en droit de se demander s’il pourrait, tel quel, resurgir des limbes (II).
I. « Faire la guerre » : la guerre en tant que fait
Si la guerre est désormais interdite, tant en droit international conventionnel que coutumier10, les forces armées et les armes de guerre11 – dont l’objet principal est de faire la guerre – perdurent. On ne saurait donc être étonné qu’un recours à la force armée soit assimilé, à tort ou à raison, à la guerre ou à un acte de guerre (A). Rien d’étonnant, non plus, à ce que l’activité consistant à recourir à la force armée soit saisie par le droit (B).
A) La guerre en tant qu’activité consistant à recourir à la force armée
D’emblée, on constatera la prudence dont font preuve les autorités politiques françaises lorsqu’ils commentent l’emploi des forces armées en refusant le qualificatif de guerre. Ce constat a pu être fait, par ex., à propos des frappes militaires du 14 avril 2018 sur des usines chimiques syriennes12 ou lors de l’intervention en Libye en 201113. Cette réticence se comprend aisément. Elle est fondée, déjà, sur le constat ancien de ce que la guerre devrait classiquement s’entendre de la situation qualifiée et encadrée par les normes du droit de La Haye14. Elle prend également appui sur le constat suivant : puisque la guerre est interdite, la France, soucieuse de respecter cette interdiction – qui est rappelée dans son bloc de la constitutionnalité15 – ne saurait entreprendre qu’une opération légitime de recours à la force validée par le droit onusien de la sécurité collective16. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas17. Surtout, pareille interprétation se démarque d’une approche pragmatique fondée principalement, sinon uniquement, sur le constat d’un recours à la force armée justifiant l’application des règles du droit international humanitaire ; approche pragmatique incarnée, par ex., par le récent Manuel de droit des opérations militaires publié par le ministère des Armées18. Il importe donc d’identifier les actes susceptibles d’être qualifiés de guerre et sur ce point, le droit public permet de discerner deux situations.
Une première situation correspond à la guerre stricto sensu ou interétatique. Celle-ci figure encore dans notre Constitution, implicitement19, et même explicitement puisqu’il est fait référence à la déclaration de guerre20. Cette dernière disposition, anachronique, n’a jamais été de mise depuis 1958, et ce pour différentes raisons21 ; ne serait-ce que parce que si l’on admet que la guerre est interdite et qu’elle constitue un fait, il n’est nul besoin de la déclarer. Ce qui n’est toutefois pas sans poser difficulté car une telle déclaration permettait un contrôle parlementaire. Désormais, la guerre interétatique correspond, dans une version contemporaine, à la situation définie à l’art. 2 commun aux quatre Conventions de Genève, à savoir celle du « conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles » ou conflit armé international. Cette définition met ainsi en exergue le criterium organique ; ce qui importe, c’est que les forces armées de deux puissances souveraines s’affrontent militairement22, et ce, sans tenir compte de la durée de cet affrontement, ni de l’intensité des combats. Il en est ainsi, y compris lorsqu’un État occupe militairement le territoire d’un autre État. Par ailleurs, si la déclaration de guerre est caduque, tout élément d’intentionnalité n’a pas complètement disparu23. L’affrontement doit être volontaire24. En revanche, l’analyse du but poursuivi relève de la politique ou de la stratégie et non du droit25. De même, dans la mesure où la guerre est un fait, le point de savoir si l’acte est licite ou illicite n’emporte aucun effet sur la qualification. Ce qui ne veut pas dire que la guerre ou le recours à la force soit exempt de tout contrôle26. L’intervention militaire au Kosovo de 1999, à laquelle les forces armées françaises ont participé, constitue ainsi une guerre, et ce, même si le Conseil de sécurité des Nations unies ne l’a pas autorisée. À l’aune de cet exemple, on constate ainsi qu’est également inopérant le point de savoir si la guerre se déroule en dehors ou sur le territoire national, c’est-à-dire si elle met à contribution, ou non, l’ensemble des forces vives de la Nation. La guerre peut donc exister alors qu’il n’est pas porté atteinte à l’intégrité du territoire de la République. Les exemples correspondant à cette première situation sont nombreux : ils sont fondés sur les mécanismes onusiens – cas de la première Guerre du Golfe (1990-1991) ou de l’intervention en Lybie (2011)27 – ou non – cas de la guerre du Kosovo (1999). On ajoutera que la situation actuelle en Ukraine y correspond, et que, pour l’heure, la France n’y est pas partie prenante, à tout le moins directement, et ce, même si des interrogations se posent28. Pour clore ce point, on ne saurait faire l’impasse sur la situation dans laquelle une armée régulière d’un État combat des forces armées dissidentes, organisées et exerçant un contrôle sur une partie du territoire dudit État : c’est le conflit armé non international29. Ce dernier, pour lequel la France a manifesté dans le passé une certaine réticence30, doit être distingué d’une simple opération militaire de maintien de l’ordre31. Le conflit armé non international peut être de basse comme de haute intensité32. Dans ce registre, les forces armées françaises ont participé aux opérations Sangaris (2013-2016) pour rétablir une sécurité minimale en République centrafricaine, ainsi qu’aux opérations Serval (2013-2014) et Barkhane (2014-2022) pour empêcher l’effondrement du Mali. Elles participent depuis le 19 déc. 2014 à l’opération Chammal dont l’objet est d’apporter un soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech. À l’aune de ces quelques exemples, on mesure ainsi que la frontière entre guerres et opérations extérieures est désormais ténue.
La seconde situation prend justement appui sur ce constat et résulte d’un raisonnement par analogie. En effet, ce n’est guère forcer le trait d’admettre qu’en participant à des opérations extérieures33, les forces militaires françaises peuvent être amenées à faire une « guerre innommée », c’est-à-dire « qui ne dit pas son nom »34. Il convient ici encore de suivre une approche pragmatique centrée sur l’action de feu ou de combat. Au demeurant, le constituant a pris conscience, tardivement il est vrai, de cet état de fait en autorisant, au regard de leurs conséquences, un contrôle parlementaire sur les « opérations des forces armées à l’étranger »35 ; ce qui n’est pas sans rappeler la notion de « guerre étrangère »36. À l’examen, les opérations extérieures conduites par l’armée française sont variées37, nombreuses38 et dispendieuses39. Non définissables par le juge40, elles sont décidées par le chef de l’État41 et qualifiées de manière discrétionnaire par le ministre des Armées42. Ces guerres innommées posent davantage de difficultés. Déjà, seules certaines d’entre elles font l’objet d’un contrôle parlementaire43. Qui plus est, chacune d’entre elles implique une analyse fine des conditions du recours à la force. A priori, en effet, seules certaines « missions » ou « opérations » peuvent générer des situations matériellement équivalentes à la guerre. De la sorte, leur nature – militaire, civilo-militaire ou strictement humanitaire – conditionne le recours à la force armée qui, selon les cas, pourra être limité à la seule légitime défense. À titre d’exemple, une action humanitaire conduite par les forces armées qui n’autorise pas les actions de feu ou de combat, ne peut pas être qualifiée de guerre, car non coercitive. C’est, au reste, l’analyse suivie par le Conseil d’État, qui retient ou non, la qualification d’« opérations de guerre » dans le cadre du contentieux des pensions militaires d’invalidité44 ou dans celui des indemnités spécifiques45. Au surplus, projeter ou prépositionner des forces armées hors d’une zone de souveraineté française – ce qui est l’un des critères d’identification des Opex46 – pourra, dans le temps, être qualifiée différemment. Pour prendre des exemples actuels, la mission opérationnelle Lynx de prépositionnement des forces françaises en Estonie, instituée dans un contexte de dégradation des relations avec la Russie, constitue à son origine, en 2017, un simple exercice interarmées et non une Opex. L’agression de l’Ukraine par la Russie change la donne. Le ministère des Armées considère désormais que les opérations Lynx (prolongée par décision du chef de l’État) et Aigle (Roumanie, depuis le 28 fév. 2022) – par lesquelles les forces armées françaises ont pour mission, depuis le début de la guerre en Ukraine, de renforcer la posture défensive et dissuasive de l’OTAN en Europe de l’Est – constituent des Opex47. Pour autant, ces opérations ne constituent, au mieux, que des actes préparatoires à la guerre et non la guerre. Se contenter de déployer des forces afin de parer à toute éventualité ne peut pas être interprété comme une mission de combat. En revanche, si les forces armées françaises étaient, dans ce cadre, amenées à ouvrir leur feu contre des militaires russes, ces Opex pourraient manifestement être qualifiées de guerre.
B) L’activité de guerre : un fait saisi par le droit public interne
Le droit public français ne se prive pas d’attacher des conséquences juridiques qui lui sont propres aux actions de feu et de combat. Ici encore, l’analogie et la souplesse sont de mise et répondent à des besoins particuliers. L’activité de guerre est ainsi un fait qualifié et les qualifications sont de différentes natures.
Les qualifications peuvent être textuelles. Il ne s’agit pas ici de recenser les textes de nature différente (Constitution, codes, lois, décrets, instructions, etc.) qui font expressément référence à la « guerre »48, au « temps de guerre »49, aux « matériels de guerre »50 ou encore à « l’événement de guerre »51. Il s’agit de constater que, depuis l’Après-Guerre, différents textes qualifient certains faits de guerre, et ce, en l’absence de déclaration formelle de guerre. Sans être exhaustif et pour s’en tenir à quelques exemples choisis, on indiquera que ces qualifications reposent souvent sur un raisonnement a pari ratione. L’objectif étant d’appliquer à une situation non considérée a priori comme une guerre, un régime identique à celui de la guerre, et ce, dans un souci d’équité ou de protection de l’État. Par ex., alors que la campagne de Corée s’inscrit clairement dans le cadre des mécanismes onusiens de sécurité collective et que l’intervention en Indochine ne constitue initialement qu’une « opération de maintien de l’ordre »52, différents textes attribuent la qualité de « combattant » – en les faisant bénéficier des dispositions applicables aux combattants de la Seconde Guerre mondiale – ou celle de « prisonniers » – en leur octroyant un pécule – aux militaires qui ont participé auxdites opérations53. Plus proche de nous, on relèvera que la « carte de combattant » qui justifie un droit à retraite spécifique est délivrée de manière large, au titre de la participation, soit à des « guerres » ainsi qualifiées54, soit à « des conflits armés, soit à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France »55 ; la liste de ces derniers étant fixée et actualisée par le ministre des Armées56. On notera que cette liste fait référence, tant à des opérations coercitives (comme Serval, Sangaris ou Harmattan) qu’à des missions de maintien de la paix (Minuk, Finul ou MINUSTAH). On note donc bien, au cas particulier, une volonté de traiter les conséquences induites par le recours à la force armée de manière identique et, ainsi, de gommer les différences entre guerre et opérations extérieures ; le tout en ne tenant pas nécessairement compte des conditions du recours à la force.
Enfin, la qualification de guerre résulte du volontarisme du Conseil d’État. Ainsi, s’agissant, par ex., des dommages de guerre qui ne sauraient, selon sa jurisprudence classique, engager la responsabilité de l’État en l’absence d’une disposition législative ad hoc57, deux attitudes sont à relever. D’une part, il applique ce raisonnement à certains faits alors même qu’aucun texte ou déclaration gouvernementale ne les qualifie de guerre. Ainsi, il considère, invoquant les « circonstances de temps et de lieu », que la destruction d’immeubles par des militaires en Indochine se rattache à des « événements de guerre »58. Il suit un même raisonnement, à propos de l’intervention de Suez : les « opérations militaires franco-britanniques qui ont eu lieu en 1956 sur le territoire de la République Arabe unie ont présenté en fait le caractère d’événement de guerre. En l’absence de texte législatif, la responsabilité de l’État français ne peut être engagée pour des dommages se rattachant à ces événements »59. Le même jour, il étend pourtant sa doctrine jurisprudentielle à des mesures d’arraisonnement d’un navire italien en haute mer prises dans le contexte des événements d’Algérie – qui ne sont pas encore reconnus comme une guerre – mesures qu’il se contente de rattacher « à des opérations militaires »60. Ce qui annonce une évolution. C’est que, d’autre part, en effet, le Conseil d’État assimile par la suite « événements de guerre » et « opérations militaires ». Désormais, il affirme, après analyse, que les opérations militaires – et non plus uniquement les dommages issus d’événements de guerre – ne sont, par nature, pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’État. Il en est ainsi, par ex., des dommages imputables à un bombardement61, à un blocage de la navigation en lien avec des bombardements62, à la destruction de bâtiments63 ou de maisons64. On le voit, la souplesse est patente lorsqu’il s’agit de qualifier un fait, de guerre. Qu’en est-il de l’état de guerre ?
II. « Être en guerre » : la guerre en tant qu’état organisé par le droit public
D’emblée, on précisera qu’il ne s’agit pas ici d’évoquer l’état de guerre entre belligérants fondé sur une notification officielle, et ce, sur le fondement du droit de La Haye65. L’état de guerre est ici envisagé comme un régime de circonstances exceptionnelles applicable dans l’ordre juridique interne. La Guerre en Ukraine, en effet, rappelle à tous que pour lutter âprement contre un ennemi décidé à en découdre, la légalité ordinaire peut être suspendue au sein de la Nation, et ce, le temps des hostilités. Un tel régime devrait donc faire l’objet d’un encadrement juridique précis. Or, tel n’est pas le cas en France. Le régime juridique de l’état de guerre ne se donne pas à voir immédiatement. Il doit être identifié par agrégation de différentes normes (A). Ce qui pose la question de sa réinvention ou, a minima, de son actualisation, dans une période où l’état de droit est incontournable (B).
A) L’état de guerre : un régime à identifier
Il est aujourd’hui difficile de se faire rapidement une idée précise de ce qu’implique l’état de guerre. Pour preuve, le droit positif ne comporte ni de définition, ni de régime spécifique de l’état de guerre. De ce point de vue, tout en comportant un titre intitulé « guerre »66, le code de la défense ne consacre à celle-ci que de rares articles ; ces articles étant de peu d’intérêt67. Par ailleurs, si le code général des collectivités territoriales est plus disert, son intérêt est également minime, en ce qu’il ne traite que du rôle des communes en cas de mobilisation générale ou en temps de guerre68. Par suite, l’absence de régime textuel ad hoc emporte une conséquence : l’état de guerre ne s’identifie que par référence à des normes applicables en certaines circonstances assimilables au temps de guerre, et ce, sans qu’il y soit fait nécessairement référence. En outre, une difficulté supplémentaire tient en ce que certaines de ces normes n’ont pas été appliquées depuis l’Après-Guerre ; ce qui pose la question de leur caducité au regard des changements de droit. Au total, une seule chose est certaine : à défaut de recherche préalable, nul ne connaît a priori la forme que pourrait revêtir la mise en application d’un état de guerre en France et encore moins son étendue, car l’état de guerre pourrait parfaitement combiner – ou non – différentes mesures sur décision des pouvoirs publics, et à titre principal, du chef de l’État. Il s’agit d’abord des régimes textuels applicables en période de circonstances exceptionnelles69. De la sorte, si le code de la défense ne fait guère référence à l’art. 16 de la Constitution, la guerre – y compris la guerre civile – ou le conflit armé pourrait parfaitement justifier la mise en application des « pleins pouvoirs du chef de l’État » en raison d’une menace grave et immédiate sur l’intégrité du territoire, conjuguée à une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels70. Sur sa décision, le chef de l’État pourrait ainsi prendre toutes « les mesures exigées par [les] circonstances » ; ce qui augure assez bien de l’étendue de ses pouvoirs et assez mal, en fait, des atteintes commises – pour le bien commun – à un certain nombre de libertés publiques. Ceci étant, l’art. 16 n’a été, pour l’heure, appliqué qu’une seule fois et jamais en temps de guerre71. Dans un registre proche, un autre régime pourrait être mis en application : l’état de siège. Introduit en France en 1849 et plusieurs fois modifié72, l’état de siège constitue un régime mixte, constitutionnel et législatif (art. L. 2121-1 à L. 2121-8, C. déf.). Aux termes de l’art. 36 de la Constitution, l’état de siège est décrété en Conseil des ministres, et ce, en cas de « péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée » (art. L. 2121-1, C. déf.). Toutefois, sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement. Il s’agit donc d’un régime restrictif des libertés publiques applicable au temps de la guerre – y compris la guerre civile – et qui a pour effet d’opérer le transfert des compétences de police et de maintien de l’ordre des autorités civiles aux autorités militaires (art. L. 2121-2, C. déf.)73. Si l’état de siège a été appliqué au cours des Première et Seconde Guerres mondiales74, il n’a jamais été appliqué sous la Ve République.
Lorsque l’on évoque l’état de guerre, il faut aussi envisager un régime prétorien né des conséquences de la Première Guerre mondiale. D’abord dénommé « théorie des pouvoirs de guerre » ou « doctrine de l’état de guerre »75, ce régime repose sur la nécessité de préserver la continuité des services publics et trouve rarement à s’appliquer à d’autres contextes que celui de la guerre76. En cas de guerre, le juge reconnaît ainsi à l’administration le droit de se soustraire à la légalité ordinaire. Très précisément, ce sont deux arrêts bien connus du Conseil d’État qui en sont le fondement : d’une part, l’arrêt Heyriès77 par lequel le président de la République se voit reconnaître le droit de suspendre l’application d’une loi par décret en dehors de tout fondement textuel ; d’autre part, l’arrêt Isabelle Dol et Jeanne Laurent78 par lequel l’autorité militaire se voit reconnaître, dans des conditions qui en temps normal auraient été illégales, le droit de limiter la liberté d’aller et de venir ainsi que la liberté du commerce et de l’industrie. Toutefois, la suspension de la légalité ordinaire n’est pas le seul levier à disposition des pouvoirs publics. Outre le fait que le temps de la guerre est propice aux législations d’exception aptes à modifier la légalité ordinaire – dont le juge s’accommode volontiers79 – il faut également noter que, sans qu’une ligne de démarcation soit clairement établie, la jurisprudence sur les pouvoirs de guerre repose fréquemment sur la notion d’actes de gouvernement80.
Pour le reste, et à s’en tenir à l’essentiel, l’état de guerre est identifiable par référence à un certain nombre de mesures applicables à ce qui s’apparente au temps de la guerre. En ce sens, les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’art. L. 1111-2 du code de la défense précisent qu’en cas de « menace », différentes « mesures » peuvent être adoptées81. De telles « mesures » sont intimement liées à la guerre. Il s’agit de la mobilisation générale (art. L. 2141-1, al. 1, C. déf.) ou de la mobilisation partielle (art. L. 2141-4, al. 1, C. déf.) : mobilisations générale ou partielle qui doivent être distinguées du simple rétablissement de l’appel sous les drapeaux (art. L. 112-2, C. serv. nat.82) ou de la mobilisation de la réserve de sécurité nationale83, possible dès le temps de la paix. Il s’agit également de la mise en garde (art. L. 2141-1, al. 2, C. déf.84) et des « dispositions particulières85 ». Prévues par l’article L. 2141-3 du code de la défense, ces dispositions particulières sont rendues possibles au profit du Gouvernement lorsque la mobilisation ou la mise en garde ont été décrétées en Conseil des ministres. Il s’agit, d’une part, du droit de requérir les personnes, les biens et les services ; d’autre part, du droit de soumettre à contrôle et à répartition, les ressources en énergie, matières premières, produits industriels et produits nécessaires au ravitaillement et, à cet effet, d’imposer aux personnes physiques ou morales en leurs biens, les sujétions indispensables. Au surplus, parce qu’elle « concourt au maintien de la liberté et de la continuité d’action du Gouvernement, ainsi qu’à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation » (art. R.*1421-1, C. déf.) et que sa mise en œuvre est rendue possible « en cas de menace extérieure », d’« agression » ou d’« invasion » (art. R.*1422-1, C. déf.), la défense opérationnelle du territoire (DOT) pourrait également être activée en cas de guerre. Les mesures prises à ce titre consisteraient alors à confier aux autorités militaires plusieurs missions liées aux circonstances : en cas d’agression, assurer au sol la couverture générale du territoire national et s’opposer aux actions ennemies à l’intérieur dudit territoire ; en cas d’invasion, mener les opérations de résistance militaire qui, avec les autres formes de lutte, marquent la volonté nationale de refuser la loi de l’ennemi et de l’éliminer.
Enfin, il convient d’évoquer les conséquences juridictionnelles de l’état de guerre. En effet, aux termes de l’art. L. 112-1 du code de justice militaire : « En temps de guerre, il est établi, sur le territoire de la République, des tribunaux territoriaux des forces armées ». Dans un registre proche, se pose également la question du réveil du Conseil des prises, compétent pour statuer sur la validité des prises maritimes de guerre86. Mis en sommeil depuis le 5 mars 196587, on en trouve une brève évocation dans le code de justice administrative88.
Au total, on voit ainsi, qu’en cas de guerre, différentes normes pourraient être mises en œuvre. Il reste que leur caractère épars et ancien suscite l’interrogation.
B) L’état de guerre : un régime à réinventer ?
L’invocation d’un « état de guerre » à la suite des attentats de Paris du 13 nov. 2015, par le ministre de la Défense89, aura eu un mérite. Celui de rappeler que la proclamation d’un état de guerre est de nature à emporter des conséquences qui ne sont pas connues à l’avance. On en voudra pour preuve les demandes répétées de l’opposition parlementaire, à l’époque, de mises en application de mesures telles la fermeture des mosquées salafistes, l’interdiction des manifestations, la rétention de sûreté des personnes condamnées pour fait de terrorisme, l’assignation des individus revenant du djihad90 ou encore l’application de l’art. 411-4 du code pénal et la résurgence d’une cour de sûreté de l’État91. D’où l’incompréhension, aussi, de certaines décisions prises en méconnaissance d’une guerre pourtant affirmée de manière péremptoire92. Un autre mérite aura été de questionner l’existant. Ainsi, en 2015, au regard du contexte particulier, l’art. 16 de la Constitution et l’état de siège ont été jugés inopérants93. Pour sa part, l’état d’urgence a été modifié en cours d’application94 ; modification qui a fait naître non seulement un sentiment d’insécurité juridique, mais également un sentiment d’improvisation, à nouveau perceptible, quelques années plus tard, lors de la crise sanitaire95. La question se pose donc de savoir si un état de guerre pourrait résulter de telles improvisations et prendre uniquement appui, en cas de nécessité, sur des lois de circonstances à adopter96. S’accommoder de l’existant en le modifiant en cours d’application pourrait être de nature à heurter l’état de droit, et ce, alors surtout que la proclamation d’un état de guerre provoquerait une concentration des pouvoirs et une restriction des libertés individuelles. Il serait donc utile que les parties prenantes (ministère des Armées et Commission supérieure de codification) s’emploient à remplir la coquille vide que constituent actuellement les Titres consacrés à la guerre, tant en partie législative que réglementaire, du code de la défense (Titre Ier, Livre Ier, Partie 2). L’existence de ces Titres est d’ailleurs source de questionnements. Le fait que le codificateur les ait maintenus témoigne, sinon de leur importance, à tout le moins de leur intérêt. Pourtant, le constat que ces Titres demeurent à l’état de squelette décharné, près de vingt ans après l’entrée en vigueur de la partie législative du code de la défense, interpelle97. Tout se passe comme si les Pouvoirs publics doutaient véritablement de cet intérêt. Autrement dit, si la guerre en Ukraine justifie un réarmement98, les conséquences induites sur l’organisation des rapports en temps de guerre entre l’État et les sujets de droit sont jugées mineures. Il est vrai qu’il existe sans doute des réticences à organiser un tel état de guerre lorsque l’on sait que les régimes restrictifs de libertés font désormais l’objet de critiques sévères99. Accepter des restrictions de droits ne va désormais plus de soi. L’état de droit, au sens moderne du terme – fondé sur une conception exacerbée des libertés individuelles – a pris le dessus sur l’intérêt général et a fortiori sur l’intérêt national. Et, au demeurant, le simple fait d’évoquer la question d’un état de guerre pourra être mal perçu. Il reste que, puisque l’état de droit, dans une conception plus classique, correspond à l’idée selon laquelle les gouvernants doivent gouverner, non seulement au moyen du droit, mais également et surtout conformément au droit, prévoir dès le temps de la paix, un régime juridique de l’état de guerre permettrait d’indiquer à tous, et par avance, les restrictions applicables. Il s’agirait alors non pas d’opposer « état de droit » et « état de guerre » mais de créer un « état de droit du temps de la guerre ». Il va sans dire que dans le cadre de cette étude, on ne saurait être ni exhaustif ni péremptoire. On se contentera donc, ici, de livrer une réflexion liminaire et d’évoquer quelques points de droit.
La réflexion liminaire concerne la faisabilité. Il ne s’agit pas, en effet, de réécrire le code de la défense. Simplement, aux fins d’accessibilité et d’intelligibilité, les différents points évoqués ci-dessus (mobilisation, mise en garde, « dispositions particulières » et leurs conséquences en termes de sujétions), de même que toutes les occurrences pertinentes à la « guerre » ou au « temps de guerre » contenues dans ce code, ainsi que les régimes applicables en temps de guerre, soit automatiquement (juridictions militaires et Conseil des prises), soit sur décision (par ex., état de siège), pourraient être mentionnés, ne serait-ce que par renvoi, dans les Titres législatif et/ou réglementaire relatifs à la guerre. Au passage, certains points de droit pourraient être actualisés, car visiblement d’un autre temps100.
C’est notamment le cas de notre premier point qui concerne l’autorité décisionnaire. Sans surprise, une telle compétence devrait échoir au chef de l’État. C’était déjà le cas sous la IIIe République101. Toutefois, à l’imitation de ce qui est prévu pour l’état de siège, l’état d’urgence, la mobilisation ou la mise en garde, il serait utile de prévoir que l’état de guerre soit décidé par décret en Conseil des ministres. Ce serait le signe d’une cohérence, surtout lorsque l’on sait que la prise d’un tel décret est essentielle pour fixer le point de départ du régime, la déclaration de guerre étant désormais caduque. Au demeurant, on a du mal à croire, désormais, que la jurisprudence sur les pouvoirs de guerre évoquée plus haut pourrait trouver à s’appliquer sans que l’on ait a priori déclaré officiellement un état de guerre102. Dans cette logique, il serait utile de préciser clairement les conditions justifiant la mise en application de cet état de guerre. Or, à l’heure actuelle, les différents régimes et mesures précités peuvent être activés pour différentes causes qui se ressemblent mais ne se recoupent pas nécessairement : ce sont les cas de « guerre étrangère » (art. L. 2121-1, C. déf.) ; de menace sans plus autre précision (art. L. 1111-2, al. 1, C. déf.) ; de menace qualifiée par les textes (art. 16, C. 58 ; art. L. 1111-2, al. 3) ; de « menace extérieure », d’« agression » ou d’« invasion » (art. R.*1422-1, C. déf.) ; lorsque les « conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent » (art. L. 112-2, C. serv. nat.) ou encore, en cas de survenance « d’une crise majeure dont l’ampleur met en péril la continuité de l’action de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation » (art. L. 2171-1, al. 1, C. déf). Certes, pareille exigence pourra paraître inutile puisque, à tout prendre, un état de guerre devrait logiquement résulter d’un constat objectif de guerre. On aurait tort, cependant, de se contenter d’une simple référence à celle-ci. C’est que la modulation des restrictions est possible – ce qui existe déjà, puisque le droit opère distinction entre mobilisation générale et partielle – notamment parce qu’une guerre pourrait mettre à contribution la Nation autrement que par le sang ; par ex., si l’action de feu n’était conduite qu’en dehors du territoire national par les militaires professionnels et, le cas échéant, certains réservistes. Un autre point mérite de retenir l’attention : celui du contrôle parlementaire. La question est là encore cruciale. Il est courant de dire qu’en temps de guerre le rôle du Parlement est effacé. L’assertion n’est pas dénuée de justesse ; elle mérite toutefois d’être nuancée103. Surtout, pourrait-on accepter de nos jours une mise à l’écart totale du Parlement ? Nous ne le pensons pas. D’abord, parce qu’au fil des années, le droit a évolué. Ainsi, il est singulier de constater que le rétablissement de l’appel sous les drapeaux nécessiterait le vote d’une loi alors que la mobilisation générale pourrait être décrétée en Conseil des ministres. Ensuite, si l’on en juge les interrogations générées par les livraisons en cours d’armes à l’Ukraine104. Enfin, lorsque l’on sait que les décisions stratégiques constituent des actes de gouvernement105. La question se pose donc avec une certaine acuité, et ce, même si elle s’inscrit à rebours des faiblesses endémiques du Parlement sous la Ve République, notamment en matière de défense. On sait ainsi que le Parlement contrôle, ne serait-ce qu’imparfaitement, les opérations extérieures, mais de manière plus efficace, les décisions prises au titre de l’état d’urgence106. Prévoir, sans nécessairement reconnaître un droit de regard sur la conduite de la guerre107, les conditions d’un contrôle parlementaire de l’état de guerre serait un gage démocratique et ainsi la contrepartie aux sujétions de droit. Celles-ci constituent justement notre dernier point. Les sujétions imposées aux sujets de droit en temps de guerre sont mentionnées çà et là dans le code de la défense et prennent essentiellement la forme de sujétions personnelles (notamment mobilisation et réquisition) et matérielles (essentiellement réquisition). En plus du constat effectué selon lequel ces sujétions figurent dans des dispositions éparses qui altèrent l’accessibilité, une question plus générale se pose. Celle de la suspension de droits et libertés. De ce point de vue, différents instruments internationaux autorisent, sous conditions, les dérogations en cas de guerre108. Toutefois, ces dérogations ne sont pas absolues109 et supposent une notification de la part de l’État qui entend y recourir110. Aussi, au regard de l’importance de l’état de droit, il serait utile que le régime de l’état de guerre précise clairement le champ et les limites des dérogations111 ; la question étant de savoir si un état de guerre prévu par la loi pourrait organiser, à l’avance, la suspension de droits et libertés constitutionnellement garantis112. Pareille question se pose notamment s’agissant du sort des étrangers sur le territoire national, qu’ils soient ou non ennemis113. Ces remarques nous rappellent ainsi que l’état de guerre est issu d’un temps révolu où l’État réglait le sort des individus – nationaux comme étrangers – résidant sur son territoire, en temps de paix comme en temps de guerre, à l’abri du regard des juridictions internationales et constitutionnelles114. Ce n’est certainement plus le cas.
1 L’auteur tient à préciser qu’au regard des consignes éditoriales et de l’objet des autres contributions, la présente étude porte principalement sur le droit public interne. Au surplus, l’ampleur de l’objet d’étude a nécessité de faire des choix. L’étude ne prétend donc pas à l’exhaustivité. Par ailleurs, toutes les URL citées ont été consultées à la date du 30 mars 2023.
2 V., not. A. Bauer, Au commencement était la guerre, Paris, Fayard, 2023 ; N. Baverez, Démocraties contre empires autoritaires. La liberté est un combat, Paris, Les éd. de l’Observatoire, 2023.
3 Comme l’illustrent les commentaires journalistiques des événements récents de Sainte-Soline, v. entre autres, « “Des scènes de guerre” : à Sainte-Soline, la mobilisation vire à l’affrontement », Le Point, 25 mars 2023.
4 V. les sept scénarios identifiés récemment par une quarantaine d’experts : C. Daniez, É. Girard, A. Saviana « Les scénarios noirs de l’armée française », L’Express, n° 3739, mars 2023, p. 20.
5 Les événements de 2015 ont provoqué la mise en application de l’état d’urgence ; la crise sanitaire a, pour sa part, justifié la création et la mise en application d’un état d’urgence sanitaire.
6 V. pourtant, L. Delbez, « La notion juridique de guerre (le criterium de la guerre) », RGDI publ., 1953, p. 177.
7 V., entre autres, P. Delvolvé, « La guerre comme situation d’exception », in J. Baechler, P. Delvolvé (dir.), Guerre et droit, Paris, Hermann, 2017, p. 201.
8 V. M. Lahouazi, « La définition de la guerre en droit public français », RD publ., 2019, 2, p. 321. Dans cette étude, l’auteur se propose justement de définir ladite notion en droit interne.
9 V. Cour permanente d’arbitrage, 11 nov. 1912, Affaire de l’indemnité russe, Russie c. Turquie, RSA¸ vol. XI, p. 433 : « Considérant que l’origine de la réclamation remonte à une guerre, fait international au premier chef ».
10 En effet, l’art. 2, § 4 de la Charte des Nations unies pose la norme d’une interdiction, pour les États, de recourir à la force armée – et donc à la guerre. Au surplus, pour la Cour internationale de justice, cette norme prohibitive présente un caractère général : elle s’impose à tous les États (C.I.J., 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec. p. 100, § 188 : « le principe du non-emploi de la force, […] peut ainsi être considéré comme un principe de droit international coutumier ».
11 Chaque Titre III du Livre II de la partie législative et de la partie réglementaire du code de la défense traite ainsi du commerce des matériels de guerre, armes et munitions. Pareille question est très sensible et propice aux actes de gouvernement. Ainsi, le refus opposé à la suspension d’autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre à destination d’un État étranger en guerre (Yémen) n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France (CE, 27 jan. 2023, Action sécurité éthique républicaines (ASER), n° 436098).
12 É. Philippe, 1re séance du 16 avr. 2018, JOAN, 17 avr. 2018, p. 2913 : « Nous ne sommes pas entrés en guerre contre la Syrie ou contre le régime de Bachar el-Assad. Notre ennemi, c’est Daech ».
13 F. Fillon, séance du 22 mars 2011, JO Sénat, 23 mars 2011, p. 2097 : « nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye : nous menons une opération de protection des populations civiles, une opération de recours légitime à la force, dans le respect de ce qui est prévu au chapitre VII de la Charte des Nations unies. Nos objectifs sont précis et strictement conformes notamment aux paragraphes 4 et 6 de la résolution 1973 ».
14 On songe notamment au formalisme de la déclaration de guerre, issu de l’art. 1er de la Convention III de La Haye du 18 oct. 1907 sur l’ouverture des hostilités qui avait pour but essentiel de marquer par un avertissement préalable, l’intention hostile d’un État à l’égard d’un autre.
15 Cf. Préambule de la Constitution de 1946, al. 14 : « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »
16 C’est-à-dire conformément à la Charte des Nations unies, soit en cas de légitime défense (art. 51) ou sur autorisation expresse du Conseil de sécurité (art. 42) ; ce à quoi on peut ajouter, sur autorisation de l’État concerné.
17 Au printemps 1999, en effet, la France a participé au sein de l’OTAN aux frappes aériennes contre la Serbie sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies.
18 C. Faure, R. Stamminger (dir.), Manuel de droit des opérations militaires, min. Arm., DAJ / EMA, 2022, p. 81 : « Si la qualification des situations a longtemps dépendu du “bon vouloir” des États belligérants, elle ne laisse dorénavant que très peu de place à l’appréciation politique, tant l’exercice est aujourd’hui balisé par les nombreux critères développés par la jurisprudence des tribunaux internationaux sur la base des dispositions pertinentes du DIH ».
19 V. art. 53, al. 1, C. 58 : « Les traités de paix […] ne peuvent être ratifiés […] qu’en vertu d’une loi. »
20 V. art. 35, al. 1, C. 58 : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. »
21 V. entre autres, C. Landais, P. Ferran, « La Constitution et la guerre. La guerre est-elle une affaire constitutionnelle ? », Nouv. Cah. Cons. const., avr. 2016, n° 51, p. 30.
22 V. TPIY, Ch. App., 2 oct. 1995, Dusko Tadic, alias « Dule », Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, IT-94-1-AR72, § 70.
23 V. cependant, A. Hamann, « Le statut juridique de la déclaration de guerre », Jus Politicum, n° 15, p. 6.
24 Il s’agit en fait d’écarter les situations accidentelles, à l’instar des missiles tombés par erreur sur la commune polonaise de Przewodow, village frontalier de l’Ukraine, le 15 nov. 2022 ou du crash d’un drone de reconnaissance, le 10 mars 2022, à Zagreb.
25 La règle est ancienne, v. par ex., art. 38, loi du 11 juil. 1938 sur l’organisation générale de la Nation pour le temps de guerre (JORF, 13 juil. 1938, p. 8330) : « Le Gouvernement a la direction générale de la guerre. Il fixe les buts généraux à atteindre par la force des armes ».
26 L’analyse de la licéité d’une guerre relève notamment du jus ad bellum et est indépendante de la qualification d’un fait comme constituant un acte de guerre. Le droit de la Haye fixe ainsi différentes règles applicables au combat et relatives au comportement des belligérants. On notera, par ailleurs, que la Cour EDH sanctionne les violences disproportionnées dans les situations de guerre, v., par ex., à propos de la Guerre en Tchétchénie, Cour EDH, 24 fév. 2005, Khachiev et Akaïeva c. Russie, n° 57942/00 et 57945/00 (à propos d’exécutions extrajudiciaires par des soldats de l’armée russe) ; Cour EDH, 24 fév. 2005, Issaïeva, Youssoupova et Bazaïeva c. Russie, n° 57947/00, 57948/00 et 57949/00 (à propos de bombardements par des avions russes de civils) et Cour EDH, 24 fév. 2005, Issaïeva c. Russie, n° 57950/00 (ici encore, à propos de bombardements de civils).
27 V. S/RES/678, 29 nov. 1990 (Guerre du Golfe) ; S/RES/1973, 17 mars 2011 (Libye).
28 Tout récemment, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, commentant l’aide apportée par la France affirme : « Nous faisons cela en respectant les règles de droit, sans jamais être dans la cobelligérance car nous ne sommes pas en guerre. Nous aidons un pays qui est en guerre », Le Parisien, 16 oct. 2022. Le propos, qui est juste, vise à rejeter toute notion de co-belligérance – notion qui n’existe pas en droit des conflits armés, v., par ex., J. Grignon, « La “cobelligérance” ou quand un État devient-il partie à un conflit armé ? », Brève stratégique, 39, 6 mai 2022, IRSEM.
29 Le conflit armé non international fait l’objet du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II).
30 En vertu de son art. 1, § 2, ce Protocole II « ne s’applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés. ». La France a, par le passé, manifesté une certaine réticence à l’égard de la notion de « guerre civile », v. sur ce point, O. Gohin, « Le contrôle parlementaire sur les opérations extérieures des forces armées françaises », in C. Vallar, X. Latour (dir.), Le droit de la sécurité et de la défense en 2013, Aix-en-Provence, PUAM, 2014, p. 65. Ce n’est ainsi que par une loi de 1999 que la Guerre d’Algérie est officiellement reconnue, v. loi n° 99-882 du 18 oct. 1999 relative à la substitution, à l’expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l’expression « à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc » (JORF, n° 244, 20 oct. 1999, p. 15647).
31 Toute utilisation de la force armée ne saurait constituer un acte de guerre. Il n’y pas guerre, notamment, lorsque les armées sont employées au maintien de l’ordre sur le fondement d’une réquisition. Aux termes de l’art. L. 1321-1, C. déf., en effet : « Aucune force armée ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles sans une réquisition légale. ». De ce point de vue, l’opération Sentinelle ne constitue pas une activité de guerre, et ce, même s’il est possible de questionner son fondement, v. sur ce point, par ex., O. Renaudie, J. Millet, « De quel droit ? », AJDA, 2017, p. 2217.
32 Ce qui emporte une modulation dans l’application des règles du droit international humanitaire, v. C. Faure, R. Stamminger (dir.), Manuel de droit des opérations militaires, op. cit., p. 86 s.
33 Pour une approche définitoire récente, v. C. Richer, « Opérations extérieures : un essai de définition », Les Champs de Mars, 2021/1, p. 131.
34 Selon l’expression de P. Delvolvé, op. cit,, p. 209.
35 Sur ce contrôle, v., entre autres, O. Gohin, 2014, op. cit, p. 63 ; J.-L. Martineau, « La révision constitutionnelle du 23 juil. 2008 et les interventions des forces armées à l’étranger », Rev. adm., 377, sept.-oct. 2010, p. 474 ; O. Gohin, « Article 35. Le contrôle parlementaire des interventions à l’étranger », in J.-P. Camby, P. Fraissex, J. Gicquel (coord.), La révision de 2008. Une nouvelle Constitution ?, Paris, LGDJ, Lextenso, 2011, p. 163 ; M. Ailincai, « Le contrôle parlementaire de l’intervention des forces armées à l’étranger : le droit constitutionnel à l’épreuve du droit comparé », RD publ., 2011, p. 129.
36 Mentionnée à l’art. L. 2121-1, C. déf. comme une condition permettant le recours à l’état de siège.
37 Leur variété émerge notamment de l’art. L. 4123-12, C. déf. qui étend l’excuse pénale à toute « opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l’extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris les actions numériques, la libération d’otages, l’évacuation de ressortissants ou la police en haute mer ».
38 V. la « carte des opérations extérieures françaises » publiée par le ministère des Armées.
39 Pour une analyse des surcoûts non prévus en loi de finances initiale, v. Rapport n° 292, annexe n° 13, Budget opérationnel de la défense, A.N., 6 oct. 2022, p. 27. Cette annexe fait état, au premier semestre 2022, de 7 326 militaires engagés en Opex.
40 Le Conseil d’État se refuse d’ailleurs à statuer sur la légalité de la décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, v. par ex., CE, 5 juil. 2000, Mégret, Mekhantar, n° 206303, 206965, AJDA, 2001, p. 95, note Y. Gounin : à propos de la participation de la France à une coalition armée internationale sous l’égide de l’OTAN au Kosovo ; v. également, CE, ord., 17 avr. 2006, Hoffer, n° 292539 : à propos de l’engagement militaire de la France au Tchad.
41 En théorie par le Gouvernement selon l’art. 35 de la Constitution, mais sous l’autorité du chef de l’État selon le Conseil constitutionnel, v., Cons. const., déc. 2014-432 QPC, 28 nov. 2014, Dominique de L., § 9 ; Cons. const., déc. 2014-450 QPC, 27 fév. 2015, Pierre T. et autres, § 6.
42 En vertu de l’art. L. 4123-4, C. déf., la qualification d’Opex résulte d’un arrêté du ministre des armées. Il appartient également à ce ministre de fixer la zone géographique couverte qui constitue une information classifiée.
43 Il n’y a pas identité entre Opex et « Opérations des forces armées à l’étranger » au sens de l’art. 35 de la Constitution. Par ex, l’envoi des forces spéciales à l’étranger peut être qualifiée d’Opex mais ne rentre pas dans le champ d’application dudit art. 35.
44 CE, 16 nov. 2007, Bernard A., n° 291499 : le juge valide ainsi l’argument de la Cour régionale des pensions de Versailles selon laquelle l’opération Libage avait pour objet de porter secours aux populations kurdes (d’avr. à juil. 1991) et « ne présentait pas selon elle le caractère d’une opération de guerre »
45 CE, 17 mars 2004, Fédération nationale des anciens des missions extérieures, n° 255460 : « Considérant qu’il est constant que la “guerre du Golfe”, menée, sur la base de la résolution n° 678 du 29 nov. 1990 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, pour rétablir la souveraineté internationale du Koweït, a comporté des opérations militaires qui ont présenté le caractère d’opérations de guerre et dans lesquelles des forces françaises ont été engagées ; qu’elles ne peuvent, dès lors, être regardées comme des opérations de maintien de l’ordre ».
46 V. C. Richer, op. cit, p. 137.
47 V. la « carte des opérations extérieures françaises » publiée par le ministère des Armées, loc. cit.
48 La Constitution y fait référence en son art. 35, de même que l’alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946. Le code de la défense y consacre deux Titres, l’un en partie législative, l’autre en partie réglementaire (v. ci-dessous, II). On peut également citer le code général des collectivités territoriales (Deuxième Partie, Livre I, Titre II, Chapitre IV : art. L. 2124-1 et s., art R. 2124-1 et s.) et le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG) ; ainsi que d’autres textes plus méconnus : v., par ex., instruction n° 2380/EMM/2 du 31 déc. 1964 sur l’application du droit international en cas de guerre, BO/M, p. 4603.
49 V., not., art. L. 2 du CPMIVG ; art. L. 1 du code de justice militaire.
50 V. le Titre III du Livre II des Parties législative et réglementaire du code de la défense.
51 V., par ex., art. L. 111-2, 3° , L. 123-3, L. 124-1, 6°, L. 411-1, L. 411-2, 1° du CPMIVG.
52 V. Rép. min., 2e séance du 14 mars 1950, JOAN, 15 mars 1950, p. 2032 : « Il n’y a jamais eu état de guerre entre la France et ces États [Vietnam, Cambodge et Laos] […], Les opérations qui y sont menées ne peuvent donc relever que du maintien de l’ordre ».
53 Décret n° 54-1262 du 24 déc. 1954 portant application de la loi n° 52-833 du 18 juillet 1952 faisant bénéficier les combattants d’Indochine et de Corée de toutes les dispositions relatives aux combattants de la guerre 1939-1945 (JORF, 25 déc. 1954, p. 1245) ; arrêté interministériel du 21 jan. 1956, Attribution d’un pécule aux militaires faits prisonniers en Indochine ou en Corée (JORF, 24 jan. 1956, p. 845). Cet arrêté fait expressément référence aux « opérations de guerre » en Corée, v. art. 2, 1°.
54 Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (CMPIVG), art. L. 311-1. Cet article fait référence expressis verbis : « aux guerres d’Indochine et de Corée, à la guerre d’Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ».
55 CMPIVG, art. L. 311-2.
56 Arrêté du 12 jan. 1994 modifié fixant la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant (NOR : ACVP9320062A).
57 Certaines lois ont ainsi été promulguées aux fins de réparation desdits dommages : v., par ex., loi du 17 avr. 1919 sur la réparation des dommages causés par les faits de guerre (JORF, 18 avr. 1919, p. 4050) ; loi n° 46-2389 du 28 oct. 1946 sur les dommages de guerre (JORF, 29 oct. 1946, p. 9191).
58 CE, 25 juil. 1951, Nguyen Xuan Tao, Rec. 434. Dans le même sens, CE, 16 déc. 1953, Dame veuve Nguyen Ba Chinch, Rec. 553.
59 CE, Ass., 30 mars 1966, Sieur Guyot, n° 59947, AJDA, 1966, p. 369, chron. J.-P. Puissochet et J.‑P. Lecat ; RD publ., 1967, p. 143, note M. Waline ; JCP, 1967, 2, 15024, note E. Langavant.
60 CE, Ass., 30 mars 1966, Sté Ignazio Messina, n° 59664, RD publ. 1967, p. 143, note M. Waline, JCP, 1967, 2, 15024, note E. Langavant.
61 CE, 31 jan. 1969, Debauchez, n° 68388 : à propos du bombardement du village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, le 8 fév. 1958.
62 CE, 23 juil. 2010, Sté Touax et Touax Rom, n° 328757, AJDA, 2010, p. 2269, note H. Belrhali-Bernard : « les opérations militaires ne sont, par nature, pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’État, y compris sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques ; que les préjudices résultant d’opérations présentant ce caractère ne sauraient ainsi ouvrir aux victimes droit à réparation à la charge de l’État que sur le fondement de dispositions législatives expresses » : à propos du blocage de la navigation sur le Danube du fait des opérations de bombardement menées par les forces françaises sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie au printemps 1999.
63 CE, 31 jan. 1969, Reynaud, n° 75358.
64 CE, 9 mars 1984, Kabache Cherif ben Baisid, n° 47913.
65 V., par ex., notification du 3 sept. 1939 faite par M. Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, en conformité de l’art. 2 de la Convention III de La Haye du 18 oct. 1907, relative à l’ouverture des hostilités, in Min. Aff. Etr., Documents diplomatiques, 1938-1939. Pièces relatives aux événements et aux négociations qui ont précédé l’ouverture des hostilités entre l’Allemagne d’une part, la Pologne, la Grande-Bretagne et la France d’autre part, Paris, Impr. nat., 1939, n° 368, p. 345.
66 Un titre complet est consacré à la « Guerre » tant en partie législative que réglementaire du code de la défense (Titre Ier, Livre Ier, Partie 2).
67 En partie législative, on relève trois articles : un sur les pouvoirs du préfet à l’égard des communes (art. L. 2112-1, C. déf.) et deux autres, l’un sur les conditions dans lesquelles les personnes non soumises à des obligations militaires peuvent s’engager dès le temps de paix (art. L. 2113-1, C. déf.) et, l’autre, sur la collaboration des ressortissants étrangers (L. 2113-2, C. déf.). En partie réglementaire, le Titre ad hoc ne comporte en tout et pour tout qu’un seul article consacré à la mise en demeure du maire et à la suspension du conseil municipal en temps de guerre (art. R. 2112-1, C. déf.).
68 Tant en partie législative qu’en partie réglementaire, le code général des collectivités territoriales comporte un chapitre IV consacré aux « Dispositions applicables en période de mobilisation générale et en temps de guerre » inséré dans le Titre II de la deuxième partie consacrée à la Commune (art. L. 2124‑1 à L. 2124-7 et R. 2124-1 à R. 2125-1).
69 Sur ces régimes textuels, v. not., la bibliographie détaillée, in F. Baude, F. Vallée, Droit de la défense, Paris, Ellipses, 2012, n° 1672.
70 Certaines conditions de fond doivent être réunies. Ce régime peut être mis en œuvre si « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate » et, condition cumulative, que « le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics constitutionnels est interrompu » (art. 16, C. 58).
71 Il ne l’a été qu’en 1961 (du 23 avr. au 29 sept.) suite au « putsch des généraux », et donc, en raison d’un mouvement insurrectionnel.
72 Loi des 9-11 août 1849 sur l’état de siège (Bull. 186, n° 1511) modifiée sous la IIIe République (loi du 3 avr. 1878 relative à l’état de siège (Bull. 334 ; n° 6827) et durant les guerres mondiales : art. 8, loi du 27 avr. 1916 (JORF, 28 avr. 1916) ; décret-loi du 16 juin 1940 (JORF, 17 juin 1940) ; loi du 14 sept. 1941 (JORF, 18 sept. 1941) ; ord. 26 déc. 1944 annulant la loi du 14 sept. 1944 (JORF, 28 déc. 1944).
73 L’état de siège peut être appliqué en tout ou partie du territoire. Pour cette raison, le décret de mise en application désigne le territoire auquel il s’applique et détermine sa durée d’application (art. L. 2121‑1, C. déf.).
74 Loi du 5 août 1914 relative à l’état de siège (JORF, 6 août 1914, p. 7123) ; décret du 1er sept. 1939 portant déclaration de l’état de siège (JORF, 3 sept. 1939, p. 11026).
75 M. Hauriou affirmait ainsi dans une note sous l’arrêt Dame Dol et Laurent (S., 1918-19, 3, p. 33) : « Il y a un grand danger, qui est de créer de toutes pièces une théorie jurisprudentielle de l’état de guerre, dont on ne sait pas où elle s’arrêterait », « n’est-il pas à redouter que la doctrine de l’état de guerre, comme une colossale éponge, ne serve à laver toutes les illégalités et toutes les fautes et à diluer toutes les responsabilités ? ».
76 Par ex., le Conseil d’État a dénié la possibilité à un maire de se fonder sur le contexte des attentats terroristes pour justifier une mesure de police interdisant le Burkini. Selon les juges du Palais-Royal : « l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée » (CE, ord., 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et alii, n° 402742).
77 CE, 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651 ; S., 1922, 3, p. 49, note M. Hauriou.
78 CE, 28 fév. 1919, Isabelle Dol et Jeanne Laurent Rec. 208 ; RD publ., 1919, p. 238, note G. Jeze ; S., 1918-19, 2, p. 33, note M. Hauriou.
79 Ainsi dans deux arrêts rendus le même jour (CE, 1er août 1919, SA des établissements Saupiquet et Vion et fils, Rec. 713, concl. Riboulet ; S., 1920, 3, p. 67 ; RD publ., 1919, p. 341, note G. Jèze), le ministre de la Guerre se voit reconnaître le droit de suspendre l’application d’une loi durant le temps de guerre sur le fondement d’une législation d’exception.
80 Sur ce point, v. F. Baude, F. Vallée, op. cit. : « Actes de gouvernement et faits de guerre », § 1199, p. 612.
81 « En cas de menace, ces mesures peuvent être soit la mobilisation générale, soit la mise en garde définie à l’art. L. 2141-1, soit des dispositions particulières prévues à l’alinéa suivant » (art. L. 1111-2, al. 1, C. déf.) ; « En cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population, des décrets pris en conseil des ministres peuvent ouvrir au Gouvernement tout ou partie des droits définis à l’art. L. 2141-3 » (art. L. 1111-2, al. 3, C. déf.).
82 L’appel sous les drapeaux « est rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent ».
83 On pense principalement aux réservistes de la réserve opérationnelle militaire, v. art. L. 2171-1, al. 1, C. déf. : « En cas de survenance, sur tout ou partie du territoire national, d’une crise majeure dont l’ampleur met en péril la continuité de l’action de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation, le Premier ministre peut recourir au dispositif de réserve de sécurité nationale par décret. »
84 La mise en garde « consiste en certaines mesures propres à assurer la liberté d’action du Gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées et formations rattachées ».
85 L’expression de « dispositions particulières » figure à l’art. L. 1111-2, al. 2 du code de la défense.
86 Décret impérial des 9 mai-18 juin 1859 qui institue un conseil des prises à Paris (Bull., n° 6609.). Preuve de son ancienneté, ce décret n’est pas disponible sur Légifrance.
87 Ch. Rousseau, Le droit des conflits armés, Paris, Pedone, 1983, p. 330.
88 « Les appels contre les décisions rendues par le Conseil des prises restent régis par les dispositions qui leur sont propres » (art. R. 321-2, CJA).
89 V. J.-Y. Le Drian, Qui est l’ennemi ?, Paris, Cerf, 2016, p. 11.
90 Diverses propositions formulées notamment par C. Jacob, 2e séance du 19 juil. 2016, JOAN, 20 juil. 2016, p. 5471-5472.
91 L’art. 411-4 du code pénal prévoit une peine de trente ans de détention pour la commission d’actes d’intelligence avec l’ennemi (v., entre autres, N. Dupont-Aignan, 2e séance du 19 juil. 2016, id., p. 5487).
92 Alors que selon les dispositions de l’art. 89, al. 4, de notre Constitution : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire », le chef de l’État, a, après avoir indiqué lors de son allocution au Congrès du Parlement que la « France est en guerre », annoncé prendre l’initiative d’une révision de la Constitution. V., en ce sens, les remarques de N. Mamère, 1re séance, 5 fév. 2016, JOAN, 6 fév. 2016, p. 1015.
93 Le chef de l’État affirme ainsi : « Chacun voit ici qu’aucun de ces deux régimes n’est adapté à la situation que nous rencontrons. Le fonctionnement régulier des pouvoirs publics – et nous le prouvons aujourd’hui – n’est pas interrompu et il n’est pas concevable de transférer à l’autorité militaire des pouvoirs. Pourtant nous sommes en guerre », in Discours du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, Versailles, 16 nov. 2015, in JORF, Congrès du Parlement, 17 nov. 2015, p. 5.
94 Sur les évolutions de l’état d’urgence en cours d’application, v. Ann. dr. séc. déf., 2017, « Évolution de la législation sur l’état d’urgence », p. 19 s.
95 De la sorte, un état d’urgence sanitaire a été créé de toutes pièces au cours de la crise sanitaire. Au 1er août 2022, les dispositions idoines du code de la santé publique sont devenues caduques.
96 Certes, les lois de circonstances sont très fréquentes en période de guerre, v. F. Baude, F. Vallée, op. cit : pour les lois relatives à la conscription, not., p. 374 s. ou pour celles relatives aux réquisitions militaires, p. 849 s.
97 La partie législative du code de la défense a été publiée en 2004, v. Ord. n° 2004-1374 du 20 déc. 2004.
98 Le projet de loi de programmation militaire 2024-2030 a été présenté en Conseil des ministres le 4 avr. 2023. Il prévoit une enveloppe de 413 milliards d’euros et acte le projet de construction d’un nouveau porte-avions à propulsion nucléaire. Parmi les autres mesures, on notera qu’est prévu notamment le renforcement des postures permanentes de protection, v. min. Arm, LPM 2024-2030, Les grandes orientations, DICoD, 2023.
99 Par ex., et à s’en tenir à l’état d’urgence, B. Warusfel s’interroge en ces termes : « dérives dans l’application ou basculement vers un “État de sécurité” ?», in « État d’urgence, quand le droit rencontre la crise », Ann. fr. séc. déf., 2017, p. 179 ; v. aussi, P. Cassia, Contre l’état d’urgence, Paris, Dalloz, 2016 et W. Bourdon, Les dérives de l’état d’urgence, Paris, Plon, 2017.
100 On songe notamment au Conseil des prises. En effet, si les décisions du Conseil des prises sont rendues à charge d’appel devant le Conseil d’État, ce dernier a pour office de proposer une décision au chef de l’État qui statue alors par décret insusceptible de recours (CE, 14 mars 1924, Société de navigation à vapeur du Lloyd de Trieste, n° 70903, Rec. 305). Il s’agit donc d’un mécanisme de justice retenue ; ce constat a été fait par : D. Girard, « Le Président de la République : une autorité juridictionnelle méconnue. La justice retenue sous l’empire de la Constitution du 4 oct. 1958 », RD publ., 2013, 3, p. 673.
101 Déclaration de l’état de guerre, 4 sept. 1939 (JORF, 6 sept. 1939, p. 11170) prise par le président de la République : « Sont déclarées en état de guerre toutes les circonscriptions territoriales formant en France les régions militaires et, en Algérie les divisions militaires. » (art. 1er).
102 Le Conseil d’État limite ainsi le champ d’application temporelle de sa théorie aux seules périodes de combat et d’hostilités. Ainsi, durant la Seconde Guerre mondiale, cette théorie ne trouve-t-elle à s’appliquer que durant les batailles, lors de l’exode de mai-juin 1940 (v., par ex., CE, 7 janv. 1944, Lecoq et autres, Rec. 5 ; RD publ., 1944, p. 231, concl. Léonard, note G. Jèze, JCP, 1944, II, 2663, note R.‑E. Charlier; CE, 5 mars 1948, Marion et Cne de Saint-Valéry-sur-Somme, Rec. 113, S., 1948, 3, p. 53, note J.-P. Calon) ainsi qu’à la « Libération » : c’est-à-dire de juin à sept. 1944 – y compris lors des événements d’août 1944 qui ont conduit à la libération de Paris (v., par ex., CE, 11 juil. 1947, Lejeune, Rec. 313 ; CE, 11 juil. 1947, Mayade, Rec. 314 ; CE, Ass., 16 avr. 1948, Laugier, Rec. 161, S., 1948, 3, p. 36, concl. Letourneur. CE, 24 mai 1968, Mencière, Rec. 329).
103 V., par ex., pour un propos nuancé, B. Daugeron, « Le contrôle parlementaire de la guerre », Jus Politicum, n° 15.
104 À la suite de la décision prise, le 4 jan. 2023, par le chef de l’État de livrer des « chars de combat légers » à l’Ukraine, différents parlementaires estiment qu’une telle décision doit faire, sinon l’objet d’une demande préalable au Parlement, à tout le moins l’objet d’un débat dans les chambres (v., not, le sénateur Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, Public Sénat, 2 fév. 2023).
105 V., par ex., CE, 30 déc. 2003, Comité contre la guerre en Irak, n° 255904 : « la décision des autorités françaises d’autoriser les avions militaires américains et britanniques qui accomplissent des missions contre l’Irak à emprunter l’espace aérien français n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France ». Constituent également des actes de gouvernement, les décisions fixant les objectifs militaires à poursuivre lors d’une intervention extérieure ainsi que celles déterminant et répartissant les « moyens » (CE, 5 juil. 2000, Mégret, Mekhantar, loc. cit.) ou encore la décision de maintenir l’intervention des forces armées à l’étranger au-delà de quatre mois sans que le Parlement ne l’ait autorisé (CE, ord., 15 oct. 2008, Hoffer, n° 321470).
106 Sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, v. not., P. Türk, « Les commissions parlementaires et l’état d’urgence », RFD adm., p. 455 ; J. Benetti, « Quel contrôle parlementaire de l’état d’urgence ? », Constitutions, 4, 2015, p. 518 ; F. Baude, « Le contrôle parlementaire de l’état d’urgence », Ann. dr. séc. déf., 2018, p. 37.
107 Selon le Conseil constitutionnel « s’il appartient au Parlement d’autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l’usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d’opérations en cours » (déc. n° 2001-456 DC, 27 déc. 2001, Loi de finances pour 2002, § 42 à 45).
108 V. art. 15, § 1, Conv. EDH : « En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international » ; v. également, art. 4, Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Deux instruments ratifiés par la France.
109 L’art. 15, § 2 de la Conv. EDH précise ainsi que les dérogations ne sont pas admissibles en ce qui concerne le droit à la vie (« sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre »), l’interdiction de la torture, l’interdiction de l’esclavage et de la servitude ou le principe de légalité des peines et des délits.
110 V., par ex., art. 15, § 3, Conv. EDH. Le juge de Strasbourg contrôle, lorsqu’elles existent, le bien-fondé des dérogations (Cour EDH, 19 fév. 2009, A et autres c. Royaume-Uni, n° 3455/05). Outre le respect des conditions de fond, il contrôle également la proportionnalité « avec les strictes exigences de la situation » (par ex., Cour EDH, 18 jan. 1978, Irlande c. Royaume-Uni, n° 5310/71), l’absence de contradiction avec les autres obligations du droit international (par ex., Cour EDH, 26 mai 1993, Brannigan et Mc Bride c. Royaume-Uni, n° 14553/89) et le respect de la notification (par ex., Comm. EDH, 4 oct. 1983, Chypre c. Turquie, n° 8007/77).
111 Sachant qu’en ce qui concerne le droit de la Conv. EDH, la notification ne s’impose pas dans les cas où le droit de Genève s’applique. La Cour de Strasbourg ne trouve ainsi rien à redire à « la pratique des États contractants […] de ne pas notifier de dérogation à leurs obligations découlant de l’article 5 lorsqu’elles incarcèrent des personnes sur la base des troisième et quatrième Conventions de Genève en période de conflit armé international. », v. Cour EDH, 16 sept. 2014, Hassan c. Royaume-Uni, n° 29750/09.
112 Cela pose question mais n’est pas insurmontable. L’état d’urgence prévu par la loi n° 55-385 du 3 avr. 1955 mod. emporte ainsi des restrictions à la liberté d’aller et de venir qui constitue pourtant une liberté personnelle de valeur constitutionnelle. On songe, par ex., aux restrictions de circulation des personnes ou des véhicules, aux interdictions de séjour (art. 5) ou aux mesures d’assignation à résidence (art. 6).
113 Par ex., dans un arrêt ancien (CE, 4 janv. 1918, Graty, Rec. 1 ; RD publ. 1918, note Jèze), le Conseil d’État fait application de la théorie des actes de gouvernement et refuse ainsi de statuer sur la légalité d’une décision d’internement d’un citoyen belge, pourtant national d’un État allié, pendant toute la durée des hostilités.
114 En ce sens, certains textes en partie codifiés, comme la loi du 11 juil. 1938 sur l’organisation de la Nation pour le temps de la guerre, loc. cit., et l’ordonnance 59-147 du 7 janv. 1959 portant organisation générale de la défense (JORF, 10 janv. 1959, p. 691) ont été adoptés hors du regard du juge constitutionnel et du juge européen des droits de l’homme.
Florent Baude, « Le droit public et la guerre », Le retour de la guerre [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 17 décembre 2023. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=2463.
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