Maria Gudzenko – La guerre dans la Constitution russe. Légitimation malaisée de l’illégitime

Maria Gudzenko
Doctorante, Aix Marseille Univ, Université de Toulon, CNRS, DICE, ILF, Aix-en-Provence, France

Résumé : Qu’apprend-on à la lecture de la Constitution russe sur la guerre ? Renseigne-t-elle son lecteur sur le statut juridique des conflits armés auxquels la Russie participe, notamment sur la guerre en Ukraine débutée le 24 février 2022 ? La présente contribution s’interroge sur les fonctions de la Constitution de la Fédération de Russie comme instrument juridique encadrant et justifiant le recours à la force armée. Comment la Constitution russe régit-elle la prise des décisions sur la guerre ? Quel discours tient-elle sur la guerre ? La difficile application de la Constitution russe aux questions de guerre transparaît au terme de l’étude critique de ces deux séries d’interrogations. Les conclusions sur la capacité limitée de la Constitution russe à réglementer, mais aussi à légitimer, l’emploi de la force armée, apportent un éclairage à la problématique générale du fonctionnement des constitutions sans constitutionnalisme.


La Fédération de Russie prend des mesures pour maintenir et renforcer la paix et la sécurité internationales, assurer la coexistence pacifique des États et des peuples, empêcher l’ingérence dans les affaires intérieures de l’État.

La lecture de l’article 79.1 de la Constitution russe, tel qu’issu de la révision constitutionnelle de 2020, fait aujourd’hui éprouver le sentiment profond d’absurdité. Tout au plus suscite-t-il des analogies peu flatteuses avec la constitution stalinienne de 1936. À peine la consécration solennelle du rôle de la Russie comme garante de la paix entrée en vigueur, le pays entre en guerre contre l’Ukraine le 24 février 2022. En droit russe cependant, ceci n’est pas une guerre. L’on est devant une « opération militaire spéciale en Ukraine », visant la « dénazification » et la « démilitarisation » de ce pays[1], l’emploi du vocable de guerre étant susceptible de constituer une infraction pénale.

Le décalage entre l’article 79.1 et les faits est d’autant plus marqué en rétrospective. Entre l’adoption de la Constitution russe par référendum le 12 décembre 1993 et sa révision du 4 juillet 2020[2], la Russie avait participé à trois conflits armés internationaux avec deux États voisins, ce qui en faisait le principal État responsable du retour de la guerre sur le continent européen. L’émission récente du mandat d’arrêt de la Chambre préliminaire de la CPI contre Vladimir Poutine, soupçonné d’être le coresponsable des crimes de guerre dans le cadre du conflit avec l’Ukraine[3], ne fait que corroborer cette impression. À l’intérieur du pays enfin, l’agression armée[4] contre l’État voisin s’accompagne de la détérioration rapide de l’État de droit et de la garantie des droits de l’homme, fragiles dès le départ et en déclin depuis 2012[5].

Dans un tel contexte, la perspective du juriste sur le cas russe consiste, le plus souvent, à commenter les violations graves du droit international des conflits armés[6] et des droits de l’homme[7], ainsi que le contentieux international que celles-ci génèrent[8]. Dans l’espace médiatique, l’ignorance du cadre légal en Russie est particulièrement mise en lumière avec l’essor de la société militaire privée dénommée le « Groupe Wagner »[9], malgré la criminalisation explicite du mercenariat par l’article 359 § 3 du Code pénal russe. L’argument de l’illégalité du groupe n’est d’ailleurs même pas ressorti dans le discours politique au moment de la mutinerie de son chef du 23 juin 2023. Cette apparente contradiction recèle pourtant un intérêt particulier envers le droit, intérêt qui s’explique aisément par la culture légaliste de la classe politique russe. Le jus ad bellum occupe ainsi une place importante dans le discours officiel dans la mesure où il fait systématiquement l’objet de justifications particulièrement sophistiquées des activités militaires russes. L’instrumentalisation des principes tels que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la légitime défense[10], allant de pair avec le « whataboutisme »[11] voire le « lawfare »[12] dirigé contre les États occidentaux, cherche à attiser les condamnations internationales. Dans une logique similaire, le droit pénal suscite l’intérêt, non pas comme un cadre qui limite l’exercice arbitraire de la puissance publique, mais en tant qu’instrument de répression des oppositions.

En témoignent notamment les amendements introduits dans le Code pénal russe au début de la guerre avec l’Ukraine qui visent la répression des « fausses informations » sur les activités menées par les forces armées, de la « discréditation » de celles-ci, ainsi que des appels aux mesures restrictives internationales[13]. Les catégories floues utilisées dans ces énoncés se sont concrétisées dans une pratique plus qu’abondante[14] de criminalisation de tout discours sur l’offensive en Ukraine qui serait incompatible avec la version officielle. L’incorporation desdites dispositions dans le droit pénal commun et la portée élargie à toute sorte d’activité des forces militaires russes laissent en outre présager de leur survie au-delà de la guerre en cours.

Qu’en est-il du droit constitutionnel ? L’incapacité de la Constitution russe à servir de garantie fiable des droits et libertés, malgré la protection de la liberté d’expression par son article 29, est apparente : en témoigne la politique des juridictions ordinaires russes consistant à refuser de renvoyer à la Cour constitutionnelle les questions relatives à la constitutionnalité des nouvelles dispositions du Code pénal[15]. Cette défaillance indéniable rend-elle la Constitution russe inutile, « an imitation legal tool »[16], en temps de guerre ? Une réponse positive semble être intuitive dans la mesure où l’État de droit, objectif premier du constitutionnalisme, est visiblement anéanti en Russie. Or, le défaut de l’État de droit ne préjuge nécessairement pas de l’incapacité de la loi fondamentale à régir la répartition des compétences entre les différentes institutions, en stabilisant les règles du jeu politique, en temps de paix ou en temps de guerre. Il en est de même de la capacité du texte constitutionnel à tenir un discours sur les conflits armés, telle une propagande constitutionnelle, incarnée dans les dispositions à portée identitaire et mémorielle.

S’agissant du cas russe notamment, les procédures prévues par la Constitution étaient ostensiblement respectées lorsqu’il fut question d’envoyer les troupes russes en Ukraine. Le réflexe constitutionnel était surtout perceptible pour formaliser l’annexion par la Russie des territoires ukrainiens occupés : celle-ci fut couronnée de deux révisions constitutionnelles, en 2014 et en 2022, pour en faire mention dans le chapitre relatif à l’organisation fédérale, précédée par la signature des accords avec les « Républiques » et « territoires » prétendument indépendants. Ces accords ont fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, marquant l’importance de la loi fondamentale dans un processus qui paraît pourtant en contredire l’esprit.

L’adhésion affichée au respect des procédures prévues par la Constitution soulève la question de savoir dans quelle mesure celle-ci est un instrument juridique pertinent d’encadrement, sinon de légalisation, du recours à la force. L’analyse critique des usages de la Constitution russe dans le contexte de guerre permet d’apporter une contribution à la réflexion plus générale sur le droit constitutionnel des États illibéraux, majoritaires dans la société internationale d’aujourd’hui. Cela étant, ce bref survol ne prétend nullement à épuiser le sujet des rapports entre la Constitution russe et les conflits armés, renonçant à couvrir les problématiques telles que les conflits armés non internationaux[17] ou la conscription. Il ne prétend non plus à trancher définitivement le débat sur la pertinence des recherches sur les constitutions sans le constitutionnalisme – constitutions autoritaires pour les tenants[18], « sham constitutions »[19] pour les sceptiques. L’on se bornera alors à constater que la Constitution russe s’applique bel et bien aux questions de guerre. En plus de son utilité classique en tant que règle du jeu pour la prise des décisions sur l’emploi de la force, la loi fondamentale contient, depuis 2020, des énoncés justifiant les guerres russes. Son fonctionnement s’avère pourtant difficile, tant comme cadre juridique d’emploi de la force (I) que comme discours de propagande constitutionnelle légitimant la guerre et ses conséquences (II), révélant la faiblesse de son potentiel en tant qu’instrument de lawfare russe.

I. Un cadre juridique déséquilibré

La Constitution russe, tout comme la plupart de constitutions, est muette sur la définition de la guerre. Elle ne mentionne pas non plus la déclaration de guerre, acte juridique prévu par certaines lois fondamentales[20] mais aujourd’hui tombé en désuétude dans les relations internationales[21], ni, du moins de manière explicite[22], des casus belli. Sa contribution en la matière est ramenée à l’essentiel : la Constitution de 1993 consacre le devoir du citoyen russe de défendre la patrie et d’effectuer à ce titre le service militaire[23] et régit le partage des compétences entre le législateur fédéral et le président dans le cadre de l’emploi de la force militaire[24]. Les modalités de collaboration entre le président et l’Assemblée fédérale prévues par la loi fondamentale font ressortir le déséquilibre manifeste des pouvoirs au profit du chef de l’État (A). En pratique, ce déséquilibre est encore exacerbé (B).

A) Un déséquilibre juridiquement consacré

La Constitution de 1993 consacre le rôle prédominant du président de la Russie en matière de l’emploi de la force armée, reflet de la prévalence du chef de l’État dans l’architecture institutionnelle du pays. Il lui appartient ainsi de prendre, « conformément aux modalités établies par la Constitution de la Fédération de Russie », « des mesures pour protéger la souveraineté de la Fédération de Russie, son indépendance et l’intégrité de l’État » (art. 80 § 2). Il est le commandant et le chef suprême des forces armées (art. 87 § 1), détermine les « orientations fondamentales » de la politique extérieure de l’État (art. 80 § 3 et 86 a) et représente la Russie dans les relations internationales (art. 80 § 4). Le président forme et dirige le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, organe consultatif fédéral créé « afin d’aider le chef de l’État à exercer ses pouvoirs sur les questions […] du maintien de la paix civile et de l’harmonie dans le pays, protéger la souveraineté de la Fédération de Russie, son indépendance et l’intégrité de l’État, prévenir les menaces internes et externes » (art. 83 j). Le président approuve la doctrine militaire de la Fédération de Russie (art. 83 z), nomme et révoque le haut commandement des forces armées (art. 83 l).

Cette prévalence du chef de l’État est atténuée par la compétence dont dispose l’Assemblée fédérale à légiférer sur les questions de la guerre et de la paix (art. 106 f). En la matière, l’architecture constitutionnelle russe investit le Conseil de la Fédération, chambre haute de l’Assemblée fédérale, du rôle de contre-pouvoir : en témoignent l’exigence du bicamérisme égalitaire sur les questions de guerre et les compétences spécifiques d’approbation des décisions relatives à l’emploi de la force armée et l’instauration de la loi martiale. Il appartient au Conseil de la Fédération d’approuver les décrets présidentiels sur l’introduction de la loi martiale (art. 102 § 1 b) sur une partie ou sur l’ensemble du territoire national. Il prend également les décisions « concernant le recours éventuel aux Forces armées de la Fédération de Russie hors des limites du territoire de la Fédération de Russie » (art. 102 § 1 d).

S’agissant de la loi martiale, l’initiative appartient au président en vertu de la disposition constitutionnelle expresse ; elle peut être déclarée par décret présidentiel « en cas d’agression contre la Fédération de Russie ou de menace directe d’agression » (art. 87 § 2). Si la Constitution oblige le président de la Fédération à en informer les deux chambres de l’Assemblée fédérale, seule la chambre haute peut s’y opposer en refusant de ratifier le décret présidentiel au bout de 48 heures après son adoption. Cette procédure d’urgence est prévue dans la loi fédérale constitutionnelle[25]. Elle reflète la recherche de l’équilibre entre, d’une part, la célérité requise par les situations visées à l’article 87 et concrétisées davantage dans la loi fédérale constitutionnelle[26] et, d’autre part, la préservation nécessaire de l’équilibre des pouvoirs. La loi fédérale constitutionnelle dispose en outre des conditions de validité matérielle des décrets introduisant la loi martiale, dont elle précise le régime[27].

En ce qui concerne le recours aux forces armées en dehors du territoire russe, la Constitution investit le Conseil de la Fédération du pouvoir de décider en la matière. Cette attribution est héritée de la Constitution soviétique de 1977 telle que révisée en mars 1990 pour investir le Soviet suprême d’une compétence similaire[28]. La Constitution est muette sur le droit d’initiative en la matière ou la procédure à suivre. Ainsi, c’est la loi fédérale ordinaire du 23 juin 1995 « Sur la procédure de mise à disposition par la Fédération de Russie du personnel civil et militaire pour la participation aux activités de maintien ou de rétablissement de la paix et de la sécurité internationales » qui concrétise la procédure de prise des décisions sur le fondement de l’article 102 § 1 d. Son article 7 habilite le président à décider l’envoi des forces militaires aux fins du maintien de la paix sur le fondement de la résolution du Conseil de la Fédération. La résolution est adoptée sur la proposition du président ; cette procédure est en outre explicitée dans le règlement intérieur du Conseil de la Fédération[29]. La loi exige que la proposition présidentielle contienne des informations sur le personnel militaire déployé, la durée de la mission et sa localisation. La décision de retrait n’est pas soumise à l’approbation de la chambre haute.

Malgré la déformation de la portée de l’article 102 § 1 d, lequel attribue la compétence décisionnelle en la matière au Conseil de la Fédération, la Cour constitutionnelle valida la loi du 23 juillet 1995. Dans sa décision du 4 décembre 1995, la Cour considéra, au bout d’une brève analyse, que la procédure de prise de décisions relevant de l’article 102 § d trouve sa concrétisation correcte dans la loi fédérale de 1995[30], validant de ce fait une lecture favorable au président. Or, elle aboutit par là à une interprétation quelque peu paradoxale de l’article 102 § d dans la mesure où le Conseil de la Fédération se trouve dessaisi de l’initiative de déclencher le processus décisionnel dont il est l’unique responsable en vertu de la lettre de la Constitution.

Remarquerons que l’applicabilité matérielle de l’article 102 § 1 d est plus large que celle de la loi fédérale de 1995. Alors que cette dernière ne concerne que le déploiement des forces armées russes dans le cadre de leur participation dans les opérations de maintien de la paix, l’article 102 § 1 d ne limite pas la compétence de la chambre haute d’une manière similaire. Sauf à considérer, dans une perspective contraire au sens ordinaire de l’énoncé de l’article 102 § 1 d que la loi fédérale de 1995 restreint ratione materiae la compétence du Conseil de la Fédération, l’on est devant l’absence de cadre légal applicable aux décisions de recourir aux forces militaires en dehors des opérations de maintien de la paix. Cette lacune n’est pas anodine dans la mesure où les dernières activités militaires de la Russie sortent manifestement de ce cadre.

Deux séries d’observations doivent être formulées. D’une part, en ce qui concerne les attributions du Conseil de la Fédération, la différence de vocabulaire est trompeuse : dans les deux cas, le droit d’initiative appartient systématiquement au président, de sorte que la chambre haute ne dispose que du droit de veto. La transformation de la « décision » qui appartient au Conseil de la Fédération en vertu de l’habilitation constitutionnelle en « autorisation » délivrée au président est explicitement admise en pratique. En d’autres termes, la procédure prévue par la loi fédérale de 1995 pour les opérations de maintien de la paix uniquement, est aujourd’hui suivie pour toute application de l’article 102 § 1 d, quel que soit l’objet du déploiement des forces militaires. D’autre part, les exigences de la loi fédérale de 1995 envers la proposition présidentielle – selon lesquelles celle-ci doit contenir des précisions quant aux effectifs mobilisés, à l’endroit ainsi qu’aux objectifs du déploiement – ne semblent pas avoir été étendues en pratique aux cas autres que le maintien de la paix. L’on a de ce fait affaire à l’absence d’encadrement par la loi fédérale des décisions concernant le recours aux forces armées en dehors des cas de maintien de la paix. Cette circonstance ne fait qu’élargir la marge de manœuvre, déjà très importante, dont dispose le chef de l’État dans de telles circonstances, celui-ci conservant les prérogatives conférées par la loi de 1995 tout en étant affranchi des devoirs y prévus.

La prévalence du chef de l’État au détriment de l’Assemblée fédérale dans le domaine fut conservée lors de la réforme récente de la procédure de nomination des membres du gouvernement. Depuis la révision de 2020, les nominations du Premier ministre et des membres du gouvernement fédéral doivent, en règle générale, être approuvées par la chambre basse de l’Assemblée fédérale, la Douma d’État (art. 83 d). Or, l’approbation par la Douma n’est pas exigée pour la nomination de certains ministres, dont notamment ceux chargés de la défense et de la sécurité de l’État (art. 83 d, 1). Tout au plus doit-il consulter le Conseil de la Fédération : la réforme ne fait que renforcer la « spécialisation » de la chambre haute dans les questions de sécurité et de défense. L’avis de cette dernière ne saurait cependant lier le président dans l’exercice de sa compétence de nomination qui reste discrétionnaire dans ces domaines, tout comme elle l’était avant 2020 pour toute nomination de membres du gouvernement fédéral. Leur révocation fait également partie des compétences discrétionnaires du président.

Nonobstant l’existence du contrôle parlementaire sur certaines décisions et de la réglementation nécessaire des questions de guerre par la loi fédérale, le chef de l’État dispose donc de compétences particulièrement étendues dans le domaine. L’équilibre des pouvoirs est ainsi altéré en sa faveur dès le départ. Cette altération en faveur du président de la Fédération est parachevée par la pratique.

B) Un déséquilibre en pratique exacerbé

En règle générale, le recours aux forces armées en dehors du territoire russe s’effectue dans le respect des procédures prévues par la Constitution et la loi fédérale. La loi fédérale de 1995 est systématiquement visée par les résolutions du Conseil de la Fédération autorisant le recours aux forces armées en dehors du territoire russe lorsqu’il intervient dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Elle vaut tant pour la participation de la Russie aux opérations de maintien de la paix dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité prises en vertu du Chapitre VII[31] que pour celles relevant des arrangements conventionnels régionaux ou sous-régionaux[32]. Enfin, la loi martiale, décrétée pour la première fois depuis 1948 le 20 octobre 2022[33] le fut également dans le strict[34] respect du cadre constitutionnel relatif à la répartition des compétences[35]. Des doutes peuvent certes naître sur l’incompatibilité du décret avec la loi fédérale constitutionnelle en raison de l’imprécision, semble-t-il délibérée, de l’applicabilité territoriale du régime de la loi martiale[36] ; or, la chambre haute s’abstint d’examiner ce point dans le cadre des débats parlementaires[37]. Ce retrait volontaire du Conseil de la Fédération, pourtant l’institution ayant pour mission de contrôler les décisions du chef de l’État sur les questions de guerre, est représentatif de la déformation pratique de la collaboration des pouvoirs constitutionnellement consacrée.

Nous avons déjà observé que le législateur fédéral s’est abstenu d’encadrer l’emploi des forces armées relevant de l’article 102 § 1 d de la Constitution de 1993 en dehors de ces hypothèses. La chambre haute n’a pas non plus opté pour la solution qui consisterait à étendre les exigences de la loi fédérale de 1995 envers les propositions présidentielles en la matière au-delà du contexte de maintien de la paix, en les transposant par exemple dans son règlement intérieur[38]. De ce point de vue, le blanc-seing délivré au président par le Conseil de la Fédération le 22 février 2022 de recourir aux forces armées « conformément aux principes et normes généralement reconnus du droit international »[39] s’inscrit sans difficulté dans le cadre constitutionnel en vigueur. La proposition présidentielle soumise au Conseil de la Fédération en vertu des traités d’amitié avec les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ne contenait ainsi aucune information sur le nombre total des combattants réquisitionnés, sur la nature des activités militaires, ni sur les territoires où ils seraient déployés[40]. Il appartient alors au président de la Fédération, « conformément à la Constitution », de déterminer ces variables de manière discrétionnaire[41].

Ce n’est pas la première fois que la chambre haute approuve une proposition présidentielle relevant de l’article 102 § 1 d mais échappant à l’emprise de la loi fédérale de 1995. Une résolution presque identique fut adoptée le 30 septembre 2015 pour autoriser l’intervention de l’armée russe sur invitation du président syrien, Bashar‑al‑Assad[42], en application du traité de 1980[43]. L’autorisation du 1er mars 2014 d’employer les forces militaires sur le territoire de la Crimée, prise sur ce même fondement constitutionnel, s’en démarque par sa précision : elle contient la destination de l’envoi des forces militaires (l’Ukraine), une motivation sommaire des raisons du déploiement (protection des nationaux et des compatriotes) et une indication vague des conditions de retrait (à la « normalisation de la situation sociopolitique dans ce pays »)[44].

Enfin, à deux reprises au moins[45], l’autorisation du Conseil de la Fédération n’a pas été recherchée. Le 8 août 2008, les forces armées russes furent déployées sur le territoire de l’Ossétie du Sud, territoire géorgien, sans intervention de la chambre haute dans le processus décisionnel, habituellement sollicitée pour autoriser l’augmentation de la présence militaire russe dans la région abkhaze limitrophe[46]. En faisant écho à la justification, par Dmitri Medvedev, alors le chef de l’État, de la guerre en Géorgie à partir de l’Accord sur les principes de règlement du conflit entre la Géorgie et l’Ossétie du 24 juin 1992[47], le président du Conseil de la Fédération déclara, le 18 août 2008, que l’autorisation de la chambre haute ne serait pas nécessaire car il ne s’agissait que de l’augmentation de la présence militaire russe déjà établie afin de maintenir la paix dans la région[48]. En janvier 2022, aucune justification ne fut avancée pour expliquer le défaut de l’accord du Conseil de la Fédération au déploiement des forces militaires russes au Kazakhstan en application du Traité de sécurité collective du 15 mai 1992 entre cinq États membres de l’Organisation du Traité de sécurité collective[49]. Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, invoqua son article 4 pour caractériser d’agression armée « menaçant la sécurité, la stabilité, l’intégrité territoriale et la souveraineté » le mouvement social qui déboucha sur les manifestations hostiles au gouvernement en place. L’envoi des forces armées russes dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’OTSC n’a même pas fait l’objet d’un décret présidentiel, le ministère de la Défense agissant directement en exécution de la décision du Conseil de la sécurité collective de l’OTSC du 6 janvier 2022[50].

Le contournement de l’assentiment de la chambre haute contredit à la fois le sens ordinaire de l’article 102 § 1 d de la Constitution qui l’habilite explicitement à décider en la matière, la pratique antérieure et, enfin, l’interprétation de la Cour constitutionnelle. Dans sa décision du 4 décembre 1995 n° 115-O la Cour avait interprété l’article 7 de la loi fédérale de 1995 comme obligeant le Conseil de la Fédération à épuiser sa compétence prévue à l’article 102 § 1 d de la Constitution à chaque fois qu’il est question d’envoyer les forces armées russes à l’étranger[51]. En ce sens, les précédents géorgien et kazakh sont à la fois inconstitutionnels et illégaux. Ce constat ne fait que renforcer l’impression que le recours à l’assentiment du Conseil de la Fédération dans les réalités politiques de la « verticale du pouvoir »[52] n’a d’autre fonction que de véhiculer l’apparence du consensus politique sur la guerre ou celle de la cessation des activités militaires[53]. Or, la Constitution de 1993 est également peu opérationnelle en tant qu’outil de justification des guerres.

II. Un outil de légitimation incongru

Constitutionnaliser une norme implique de la pérenniser, de la rendre indisponible à la contestation politique, de limiter la marge de manœuvre du législateur ordinaire. Au-delà de la solidification des règles du jeu institutionnel et de la garantie des droits et libertés, les constitutions sont souvent utilisées pour consacrer les éléments d’ordre idéologique, traduisant l’identité de la communauté politique donnée[54]. Les constitutions contiennent des informations clés sur l’ordre social qu’elles entendent régir, sur son passé et ses valeurs[55]. Variable selon le pays, la charge idéologique des lois fondamentales est toujours perceptible.

En ce sens, la Constitution de 1993 fut initialement conçue pour véhiculer l’image de la nouvelle Russie : libérale, respectueuse des droits et libertés, répudiant l’idéologie de l’État propre à son passé soviétique[56]. La réforme de 2020 remit fortement en cause cette représentation sans pour autant altérer les dispositions inspirées par lesdites valeurs, inscrites dans les chapitres insusceptibles de révision. Parmi les adjonctions les plus notables se retrouvent sans doute l’interdiction du mariage entre les personnes de même sexe[57], la consécration de la « vérité historique » hautement contestable sur le rôle de l’URSS dans la Seconde Guerre mondiale et la préservation de « la mémoire des ancêtres, qui nous ont transmis leurs idéaux et la foi en Dieu »[58]. La doctrine autorisée salua sans réserve la capacité de la Constitution révisée à servir d’une « moral reference for Russian society, reflecting its ideals and traditional features of collective consciousness »[59].

La lecture de la Constitution russe, peut-elle nous aider à expliquer la guerre ? Sur cette question, le texte remanié est appelé à communiquer deux informations à l’ensemble de la communauté politique : que l’emploi de la force armée par la Russie correspondrait à la définition de la « guerre juste » et que les territoires occupés et annexés en conséquence sont la Russie. Si le premier aspect de propagande constitutionnelle, malgré son importance politique, s’avère juridiquement inopérant en pratique (A), le deuxième entraîne des conséquences pernicieuses pour le retour de la guerre à la paix (B).

A) La constitutionnalisation inopérante des justifications des guerres

L’incorporation des dispositions à portée identitaire dans la Constitution de 1993 par la révision de 2020 est vue par certains comme consécration de l’attitude quasi impérialiste de la Russie envers les États issus du démembrement de l’URSS[60], communément désignés comme « l’étranger proche » (ближнее зарубежье)[61] dans le discours politique russe. Les énoncés sur l’héritage historique « millénaire » de la Russie, le « successeur légal » (правопреемник) de l’URSS, ainsi que de la « continuité historique (преемственность) du développement de l’État russe »[62], font infailliblement surgir la mémoire du passé impérial du pays. Le concept de « l’étranger proche » s’inscrit parfaitement dans cette vision, fournissant une légitimation historico-constitutionnelle de l’idée selon laquelle la Russie aurait un mot à dire sur le destin des populations qui relevaient auparavant de la juridiction de l’Empire russe et de l’URSS[63].

L’on ne saurait à cet égard passer outre au nouvel article 69 § 3 : « La Fédération de Russie aide les compatriotes résidant à l’étranger à exercer leurs droits, à assurer la protection de leurs intérêts et à préserver l’identité culturelle panrusse ». À la différence de la garantie constitutionnelle de protection diplomatique des citoyens russes, prévue à l’article 61 § 2 depuis 1993, la catégorie de « compatriotes » apparaît juridiquement vague. Elle ne l’est pas pour les habitués du vocabulaire de l’élite politique russe car il s’agit d’un concept clé de la politique étrangère de la Russie, plus large que celui du citoyen. Dans le discours politique, sont considérés comme compatriotes ceux qui parlent la langue russe et sont attachés à la culture russe[64]. Ce concept est également défini dans la loi fédérale du 24 mai 1999 n° 99-FZ « Sur la politique publique de la Fédération de Russie concernant les compatriotes à l’étranger » comme renvoyant aux citoyens russes expatriés, anciens citoyens de l’URSS, citoyens des États de l’ex-URSS et leurs descendants, « ayant fait le libre choix en faveur du lien spirituel, culturel et légal avec la Fédération de Russie »[65]. Il est habituellement repris dans la doctrine de la politique étrangère de la Fédération de Russie, adoptée par décret présidentiel : la protection des droits des compatriotes y est visée comme l’un des objectifs principaux[66]. Les garanties légales de soutien des compatriotes concernent principalement le droit au retour et les mesures de protection des droits et libertés, notamment de l’interdiction de la discrimination. L’article 14 § 5 de la loi de 1999, tout comme la doctrine de politique étrangère de 2023, semblent suggérer la possibilité de la mise en œuvre de la protection diplomatique en cas de violation des droits et libertés des compatriotes par un État étranger, possibilité théorique en raison de la contrariété manifeste de cette disposition avec le droit international coutumier[67]. Il n’en reste pas moins que cette possibilité, très chargée idéologiquement, fut constitutionnalisée en 2020.

Ensemble, les compatriotes font partie du « Monde russe » (Русский мир)[68], un autre concept clé de la rhétorique russe. La doctrine de la politique étrangère de la Fédération de Russie actuellement en vigueur établit ce lien conceptuel de manière explicite. Face à la mission sacrée de la Fédération de Russie, « noyau dur de la communauté civilisationnelle du Monde russe »[69], les frontières deviennent secondaires, des obstacles à l’unité du peuple qui serait culturellement indivisible[70]. En ce sens, la protection des compatriotes et la préservation de l’identité culturelle panrusse font écho à l’une des idées charnières de la philosophie politique de Vladimir Poutine : celle de l’unité historique des peuples russe et ukrainien et du caractère artificiel de l’étaticité de l’Ukraine[71]. Les nouvelles dispositions identitaires s’inscrivent alors en prolongement de l’article de Vladimir Poutine sur la question[72], dont il reprit les conclusions principales dans son discours du 21 février 2022 à l’occasion de la reconnaissance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk[73]. Rappelons à cet égard que la loi fédérale constitutionnelle de 2001 sur la loi martiale, tout comme la loi fédérale du 31 mai 1996 n° 61-FZ « Sur la défense », ne disposent que de deux scénarios d’engagement de la Russie dans les hostilités : la légitime défense et les obligations découlant des traités de sécurité collective. La constitutionnalisation de la protection des « compatriotes » en 2020, ensemble avec d’autres dispositions identitaires, paraît compléter cette liste[74].

La pratique des justifications de l’emploi de la force par la Russie antérieure à 2022 semble également suggérer que le nouvel article 69 § 3 contiendrait non seulement une consécration symbolique du titre sur les russophones de l’étranger, mais aussi un casus belli dans l’ordre interne. À deux reprises, la protection des « compatriotes » fut utilisée avec force dans le discours politique, avec une certaine prétention quant à sa juridicité. Les arguments de défense et de protection des nationaux russes, mais aussi des « compatriotes », ont été cités par la résolution du Conseil de la Fédération autorisant le déploiement des forces armées en Crimée en mars 2014[75]. La résolution, qui est la reprise du texte de la proposition présidentielle, ne se référa pas à l’article 61 § 2 de la Constitution. La justification constitutionnelle de protection des nationaux était invoquée au même titre que la justification à l’époque extraconstitutionnelle de protection des « compatriotes ». En 2008 également, le président de la Fédération[76] et le président de la Cour constitutionnelle, Valéry Zorkine, justifièrent, dans leurs prises de position publiques, l’emploi de la force armée en Géorgie par la protection des nationaux[77] et des compatriotes. S’exprimant à titre privé, M. Zorkine soutint que l’emploi de la force armée en Ossétie du Sud s’analyserait en une « mise en œuvre décisive de l’article 61 de la Constitution », dont l’exigence de protection des nationaux serait développée dans la loi fédérale de 1999 sur la protection des compatriotes[78]. L’amalgame entre les nationaux et les compatriotes dans le raisonnement du président de la Cour constitutionnelle en dit long sur la volonté d’étendre la protection – ou, semble-t-il, le protectorat – sur l’ensemble du « Monde russe ».

Or, ces considérations ne se retrouvèrent qu’à titre subsidiaire dans la position officielle du gouvernement russe sur les conflits en question[79]. En 2008, le gouvernement russe insista sur la légitime défense des forces chargées du maintien de la paix dans la région : si la protection des nationaux et des compatriotes fut également invoquée[80], elle l’était de pair avec la protection du contingent militaire russe présent en Ossétie du Sud en vertu de l’Accord de 1992[81]. En 2014, se doutant – et à juste titre[82] – que l’argument de protection des nationaux, et encore moins de « compatriotes », n’est nullement un blanc-seing à l’emploi disproportionné de la force, le représentant de la Russie au Conseil de sécurité en fit mention de manière très modeste. Le déploiement des forces armées en Crimée fut justifié par une « invitation » introuvable du président ukrainien déchu, Viktor Yanukovych, que la Russie considéra alors comme légitime[83]. Les arguments fondés sur les interprétations très créatives du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, prédominèrent également dans les justifications russes de l’annexion de la Crimée[84] et de la reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud comme États indépendants[85]. Il n’en reste pas moins que ces précédents verbaux pointent vers la tendance à vouloir invoquer la protection des nationaux au sens strict et des « compatriotes » au sens large.

L’on pourrait à cet égard s’attendre à retrouver les arguments de protection des compatriotes, désormais d’ordre constitutionnel, dans les arrêts récents de la Cour de Saint-Pétersbourg sur la constitutionnalité des quatre traités conclus entre la Fédération de Russie, d’une part, et les territoires occupés, d’autre part. Or, il n’en est rien. Dans ses arrêts, la Cour constitutionnelle explique l’agression armée contre l’Ukraine en recourant aux mêmes arguments que le représentant de la Russie au Conseil de sécurité des Nations Unies[86] et la défense russe devant la CIJ[87] : la légitime défense et les invitations à intervenir conformément au Traité d’amitié et d’assistance mutuelle signé avec les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk[88]. La Cour reprit la thèse du caractère artificiel de l’État ukrainien, chère à Vladimir Poutine, dans sa motivation, tout comme elle déplora la prétendue discrimination contre les russophones en Ukraine. Elle le fait néanmoins à titre d’un obiter dictum en exposant les « faits évidents et incontestables » ayant mené à la conclusion de chacun des accords objets de contrôle, sans pour autant se référer à l’article 69 § 3 de la Constitution[89]. La Cour de Saint-Pétersbourg ne fit guère usage des nouvelles dispositions identitaires qui s’inscrivent pourtant parfaitement dans le vocabulaire mobilisé, qualifié d’orwellien par certains[90]. Les justifications tirées des interprétations particulièrement discutables de l’article 51 de la Charte de l’ONU, étoffées par l’instrumentalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes semblent donc plus solides aux yeux des juges constitutionnels que les dispositions relatives à la protection des compatriotes et de l’identité culturelle panrusse. La préférence, dans l’ordre interne, pour les justifications par le droit international au détriment du droit constitutionnel, paraît relativiser la portée légitimatrice des dispositions identitaires longtemps escomptées en tant que casus belli dans le discours politique.

B) La constitutionnalisation contre-productive des conséquences des guerres

La mobilisation difficile de la Constitution de 1993 en tant qu’outil de justification se manifeste également à travers les expériences de constitutionnalisation des acquisitions territoriales intervenues en conséquence des deux conflits armés avec l’Ukraine. Les révisions de la Constitution pour y faire mention, en 2014, de la Crimée et de la ville de Sébastopol et, en 2022, des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ainsi que des régions de Zaporijjia et de Kherson sont vouées solidifier la position politique du gouvernement russe sur le statut des territoires occupés : « [i]l n’y aura pas de retour en arrière »[91]. La contre-productivité de ces incorporations est néanmoins patente, tant en ce qui concerne la Crimée que les quatre territoires intégrés en 2022. Elle se manifeste de deux manières, aussi bien formelle que substantielle.

Du point de vue formel, afin de doter les annexions des territoires ukrainiens occupés par l’armée russe de la légitimité tirée du respect des procédures constitutionnelles, il a fallu, en 2014, violer lesdites procédures. La contradiction entre l’indispensable brevet de constitutionnalité[92] et les conditions d’octroi de celui-ci par la Cour constitutionnelle[93] est évidente à l’analyse de l’arrêt du 19 mars 2014[94]. En déclarant, le lendemain de la saisine présidentielle, le traité portant incorporation de la Crimée conforme à la Constitution, la Cour de Saint-Pétersbourg sacrifia le respect des exigences procédurales encadrant son propre office à la satisfaction de la « volonté politique »[95]. De nombreuses irrégularités procédurales de l’arrêt de 2014, notamment ayant trait au non-épuisement par le juge constitutionnel de sa compétence, ont fait l’objet d’une excellente étude d’Elena Lukyanova[96] ; ; qu’il nous soit permis d’y renvoyer sans en reprendre la totalité des enseignements. La Cour de Saint-Pétersbourg occulta notamment la question de savoir si la Crimée était un État capable de conclure des engagements internationaux.

En ce sens, la réforme constitutionnelle de 2020, touchant également à la loi de 1994, semble tenir compte de la situation inconfortable dans laquelle se retrouva la Cour constitutionnelle en 2014. D’une part, elle supprime, pour les traités relevant de la loi sur l’admission de nouvelles entités fédérées dans la Fédération de Russie, l’exigence selon laquelle l’organe de saisine doit soulever l’incertitude quant à la constitutionnalité de la norme contestée (art. 36, ajout du § 3 par la loi de 2020). Pour rappel, en 2014, la Cour constitutionnelle déclara recevable la saisine présidentielle en dépit de l’absence d’incertitude[97]. D’autre part, la compétence de la Cour constitutionnelle à statuer sans audience (art. 47.1) a été élargie, n’entravant plus, juridiquement, la capacité de cette juridiction à délivrer les brevets de constitutionnalité en quelques heures. La diligence excessive dans le contrôle de constitutionnalité de l’incorporation de la Crimée – tout comme dans l’incorporation elle-même, ayant pris moins d’un mois – paraît alors normalisée.

La révision de la loi de 1994 en 2020 modifie ainsi deux dispositions dont la signification littérale, parmi tant d’autres déficiences, avait dû être déformée en 2014 afin de permettre la validation de l’annexion de la Crimée. Enfin, avec la consécration, en 2020, de la référence à la protection de l’intégrité territoriale et de l’interdiction des appels à l’aliénation d’une partie du territoire[98], le constituant fédéral chercha à solidifier l’incorporation de la Crimée et à la rendre indisponible à la contestation ou à la négociation politique[99]. La reconnaissance à la Cour constitutionnelle de la faculté, lorsque sont en cause les traités d’incorporation de nouveaux territoires, de statuer sans audience ni mémoire de saisine excipant de l’inconstitutionnalité, simplifie le cadre organique afin de permettre la délivrance rapide des brevets de constitutionnalité des conquêtes territoriales ultérieures.

Elles ne se firent pas attendre longtemps. Deux jours après la signature des traités d’incorporation avec quatre territoires ukrainiens occupés, en se prévalant de sa compétence désormais élargie à statuer sans audience en la matière[100], la Cour constitutionnelle les déclara conformes à la Constitution de 1993 en termes presque identiques[101]. Trois jours plus tard, le 5 octobre 2022, la Constitution russe fut révisée afin d’officialiser l’annexion desdits territoires sur la base des traités d’incorporation, procédure qui rappelle fortement le scénario criméen. À nouveau, la Cour constitutionnelle omit de répondre clairement à la question de savoir si les entités avec lesquelles la Russie conclut les traités objets du contrôle étaient des États. Si la présomption en faveur de l’étaticité des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk peut être inférée des déclarations de reconnaissance faites par le président de la Fédération du 21 février 2022, la capacité des entités désignées par la Cour elle-même comme « territoires libérés de Zaporojie et de Kherson »[102] à conclure les traités internationaux paraît fortement problématique. Notons également le caractère ambigu de l’administration de l’argument de conformité à la Constitution ukrainienne des événements en Ukraine depuis 2014. Ainsi, tout en dénonçant le « coup d’État anticonstitutionnel à Kiev en 2014 » dans les quatre arrêts commentés, les juges constitutionnels russes passent sous silence la conformité à la Constitution ukrainienne des « référendums » et des déclarations d’indépendance imputées aux territoires qu’il est question d’incorporer.

Mais le véritable problème de la révision du 5 octobre 2022 de l’article 65 § 1 de la Constitution de 1993, qui dispose des sujets composant la Fédération de Russie, ne réside pas dans les multiples failles argumentatives des quatre arrêts de la Cour constitutionnelle. Il est bien dans la tentative de pallier la défaite militaire par la consécration constitutionnelle des prétentions territoriales du gouvernement russe. L’on est devant un usage de la loi fondamentale pour la construction d’un narratif politique qui s’avère de plus en plus en décalage avec la réalité. Au moment de la révision du 5 octobre, et encore moins aujourd’hui, la Russie n’exerce pas le contrôle effectif sur l’intégralité des territoires qu’elle revendique en tant que ses sujets de la Fédération en vertu de l’article 65 § 1 de la Constitution. Certes, aucune objection d’ordre formel à la constitutionnalisation des prétentions territoriales, indépendamment du contrôle effectif, ne peut être retenue. Sauf à adhérer à la thèse de la définition matérielle de la constitution[103], il n’existe pas de matières qui doivent par nature relever de la compétence du constituant ou, au contraire, de lui échapper. En l’occurrence, juridiquement parlant, rien n’empêche le constituant russe d’inscrire les territoires disputés en tant que les nouveaux sujets de la Fédération de Russie. Or, la régularité formelle n’a pas pour effet de clore le débat sur l’opportunité, à la fois juridique et politique, d’une telle incorporation hâtive.

Rappelons à cet égard que le nouvel article 67 § 2.1 de la Constitution verrouille tout nouveau sujet de la Fédération de Russie en son sein : l’interdiction des actions visant à aliéner les territoires y est énoncée explicitement. Il n’est en revanche pas exclu que la Russie perde le contrôle effectif sur l’intégralité d’un ou plusieurs territoires ayant fait l’objet des révisions-incorporations récentes de l’article 65 § 1. Dans de telles circonstances, se prévaloir de l’argument d’inconstitutionnalité de cessions de territoires paraît insuffisant pour exclure complètement le retour des territoires occupés dans le cadre d’éventuelles négociations de la paix. La légitimation constitutionnelle des acquisitions territoriales revendiquées se retournerait alors contre elle-même, réduisant le cercle de concessions permissibles dans l’ordre interne. De deux choses alors l’une : la fermeture de la porte à la solution négociée du conflit ou les cessions territoriales contra constitutionnem, fragilisant la garantie de l’intégrité territoriale et ouvrant potentiellement une boîte de Pandore à d’éventuels séparatismes. Le constituant est parfaitement habilité, sur le plan juridique, à construire une réalité alternative, dans laquelle la guerre serait la paix et l’Ukraine serait la Russie, mais il n’est jamais à l’abri des conséquences politiques de son œuvre.


[1] Procès-verbal de la 8 974e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, mercredi 23 février 2022, à 21 h 30, S/PV.8974, p. 13, déclaration faite par M. Nebenzia, représentant de la Fédération de Russie.
* Toutes les traductions ont été faites par l’auteur. La traduction des appellations géographiques respecte les usages dans la langue d’origine.

[2] Sur la procédure ad hoc de révision de la Constitution de 1993, irrégulière aux termes de son chapitre 9 portant sur les conditions de sa révision et visant à légitimer le changement le plus substantiel de son texte par le « vote de tous les Russes » (Общероссийское голосование) dérogeant à la législation sur les référendums, ainsi que de sur de nombreux amendements relevant matériellement des clauses d’éternité (chapitres 1, 2 et 9), v. Commission européenne pour la démocratie par le droit, Fédération de Russie – Avis intérimaire sur les amendements constitutionnels et la procédure pour leur adoption, adopté par la Commission de Venise à sa 126e session plénière les 19-20 mars 2021, CDL-AD(2021)005, § 18‑37 et J. Socher, « Farewell to the European Constitutional Tradition: The 2020 Russian Constitutional Amendments », ZaöRV, vol. 80, 2020, spéc. p. 619-625.

[3] « Situation en Ukraine : les juges de la CPI délivrent des mandats d’arrêt contre Vladimir Vladimirovitch Poutine et Maria Alekseïevna Lvova-Belova », communiqué de presse, site officiel de la Cour pénale internationale, 17 mars 2023. V. sur cette question S. Vasiliev, « The International Criminal Court goes all-in: What now? », EJIL:Talk!, 20 mars 2023.

[4] Au sens de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, 14 décembre 1974, Définition de l’agression, A/RES/3314(XXIX), Annexe, Article 3, a, d et g.

[5] Cf. notamment Freedom House, « Freedom in the World — Russia Country Report », 2023 ; Freedom House, « Freedom in the World — Russia Country Report », 2022 et Freedom House, « Freedom in the World — Russia Country Report », 2017 pour la baisse du score de la Russie.

[6] V. par exemple l’aperçu couvrant à la fois les problématiques posées par le conflit entre la Russie et l’Ukraine en jus ad bellum et en jus in bello, de Y. Sandoz, « Le droit international à la lumière et à l’épreuve du conflit armé en Ukraine », RGDIP, vol. 127, n° 1, 2023, p. 11-49.

[7] Y. Doutriaux, « La protection des droits de l’Homme au défi de l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie : quelle réaction internationale et régionale ? », Droits fondamentaux, n° 20, 2022.

[8] V. par exemple A. Sanger, « False Claims of Genocide Have Real Effects: ICJ Indicates Provisional Measures in Ukraine’s Proceedings against Russia », Cambridge Law Journal, vol. 81, n° 2, 2022, p. 217‑248 ; D. Sanchez Borjas, « The ICJ Order in Ukraine v. Russia. Quo Vadis? », Völkerrechtsblog, 28 mars 2022 ; D. Kurnosov, « No Easy Way Out: The Strasbourg Court and Legacy Russian Cases », Strasbourg Observers, 24 mars 2023 ; J.-P. Costa, « Les conséquences de la sortie de la Russie du Conseil de l’Europe », RTDH, n° 133, 2023, p. 3-16.

[9] V. notamment les rubriques thématiques y consacrées, par exemple « Groupe Wagner », site officiel de 20 minutes ; « Groupe Wagner », site officiel de France 24.

[10] M. Milanovic, « Recognition », EJIL:Talk!, 21 février 2022 ; J.-E. Perrin, « La Russie en Ukraine : un cas d’école de l’instrumentalisation du droit international », Le Rubicon, 28 mars 2022 [En ligne] ; R. Värk, « Russia’s Legal Arguments to Justify its Aggression against Ukraine », International Centre for Defence and Security, novembre 2022.

[11] M. Milanovic, « What is Russia’s Legal Justification for Using Force against Ukraine ? », EJIL:Talk!, 24 février 2022.

[12] M. Voyger, « Russian Lawfare — Russia’s Weaponisation of International and Domestic Law: Implications for the Region and Policy Recommendations », Journal on Baltic Security, vol. 4, n° 2, 2018, p. 1-8 ; J. Ancelin, « La Fédération de Russie pratique-t-elle le lawfare ? Quelques observations illustrées du conflit opposant la Fédération de Russie et l’Ukraine à propos de la situation en Crimée », Annuaire français de relations internationales 2021, Hors collection, 2021, p. 511-522.

[13] Loi fédérale n° 32-FZ du 4 mars 2022 « Sur la modification du Code pénal de la Fédération de Russie et des articles 31 et 151 du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie ».

[14] V. notamment les statistiques annuelles collectées et régulièrement mises à jour par l’organisation non gouvernementale de défense des droits des détenus, OVD-Info, « Summary of Russian Wartime Repression. One Year since the Full-scale Invasion », site Internet de OVD-Info, février 2023 [En ligne] et la méthodologie utilisée dans la collecte des données, « Methodology for Calculating the Number of Detentions for an Anti-war Stance », site Internet de OVD-Info, mars 2022 [En ligne].

[15] En application de l’article 101 de la loi fédérale constitutionnelle du 21 juillet 1994 n° 1-FKZ « Sur la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie » disposant d’un mécanisme de renvoi préjudiciel devant la Cour constitutionnelle. À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune contestation de la constitutionnalité desdites dispositions n’a encore épuisé les voies de recours ordinaires afin de pouvoir saisir directement la Cour constitutionnelle en application de l’article 97 de cette même loi fédérale constitutionnelle. V. sur ce point « Le défenseur des droits est invité à vérifier l’article du Code pénal sur la discréditation des militaires » [Омбудсмена приглашают проверить статью УК о дискредитации военных], Kommersant, 9 septembre 2022.

[16] S. Stanskikh, « Amendments to Russia’s Constitution as a Step toward the War in Ukraine », Fletcher. Russia & Eurasia Program, 30 mars 2023.

[17] V. notamment sur le contrôle de constitutionnalité des décrets présidentiels ordonnant le déploiement des forces de l’armée russe en République de Tchétchénie dans le cadre de la première guerre de Tchétchénie, conflit armé non international, P. Gaeta, « The Armed Conflict in Chechnya before the Russian Constitutional Court », EJIL, vol. 7, 1996, p. 563-570.

[18] Cf. les contributions dans T. Ginsburg, A. Simpser (éd.), Constitutions in Authoritarian Regimes, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

[19] A. Sajó, R. Uitz, The Constitution of Freedom: An Introduction to Legal Constitutionalism, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 51.

[20] V. par exemple article 99 de la Constitution de l’Argentine de 1853 ; article 104 de la Constitution de la Côte d’Ivoire de 2016 ; article 35 de la Constitution française de 1958 ; article 36 de la Constitution grecque de 1975 ; article 132 § 4 de la Constitution du Kenya de 2010 ; article 213 de la Constitution du Myanmar de 2008 ; article 1 section 8 de la Constitution des États-Unis d’Amérique de 1789.

[21] A. Hamann, « Le statut juridique de la déclaration de guerre », Jus Politicum, janvier 2016.

[22] Sur les casus belli implicites de la Constitution russe v. infra.

[23] Article 59 de la Constitution de 1993 ; cette obligation fait partie des dispositions du chapitre II intitulé « Droits et libertés de l’homme et du citoyen » et est indisponible à la révision. Une possibilité d’objection de conscience au service militaire est prévue en son paragraphe 3.

[24] L’article 71 j, l et m de la Constitution du 12 décembre 1993 dispose de la compétence exclusivement fédérale en la matière.

[25] L’article 87 § 3 de la Constitution de 1993 renvoie expressément à la loi fédérale constitutionnelle pour fixer le régime de l’état de siège. La logique de renvois aux lois constitutionnelles fédérales, dont la procédure d’adoption est prévue à l’article 108 de la Constitution de 1993, correspond à celle des lois organiques, v. sur ce point en détail T. I. Khabrieva, S. E. Narychkine, « Le statut de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie », RFDC, n° 101, 2015/1, p. 94-96.

[26] L’article 3 de la loi fédérale constitutionnelle du 30 janvier 2002 n° 1-FKZ « Sur la loi martiale » définit l’agression contre la Fédération de Russie comme « l’emploi de la force armée par un État étranger (groupe d’États) contre la souveraineté, l’indépendance politique et l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies ». La loi cite six catégories d’actes d’agression « conformément aux principes et normes généralement reconnus du droit international » ; il s’agit d’une reprise de la définition de l’agression contenue dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, 14 décembre 1974, Définition de l’agression, A/RES/3314(XXIX), Annexe, Article 3. La menace directe d’agression renvoie quant à elle aux « actions d’un État étranger (groupe d’États) commises en violation de la Charte des Nations Unies, des principes et normes généralement reconnus du droit international et indiquant directement la préparation à la perpétration d’un acte d’agression contre la Fédération de Russie, y compris la déclaration de guerre à la Fédération de Russie ». L’on voit bien que l’incompatibilité avec le jus ad bellum et notamment la Charte de l’ONU est l’un des critères déterminants de la définition de l’agression en droit constitutionnel russe.

[27] Ibid., articles 4, 7 et 8.

[28] Article 113 § 14 de la Constitution de l’URSS de 1977 (rév. 14 mars 1990). V. sur cette continuité historique B. R. Tuzmukhamedov, « L’évolution du cadre légal de la participation du personnel militaire russe dans les opérations internationales de maintien de la paix » [Развитие законодательного регулирования участия российского персонала в международных операциях по поддержанию мира], Vestnik de RUDN, n° 2 (18), 2005, p. 102-103.

[29] Article 159 § 2 du Règlement intérieur du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie.

[30] Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, décision du 4 décembre 1995 n° 115-O « Sur l’inadmissibilité du pourvoi du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie sur l’interprétation du point d de la partie 1 de l’article 102 de la Constitution de la Fédération de Russie », § 3.

[31] V. par exemple Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 27 décembre 2005 n° 455-SF « Sur l’emploi de la formation militaire des forces armées de la Fédération de Russie dans l’opération de maintien de la paix de l’ONU en République de Soudan » ; Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 7 juin 2000 n° 130-SF « Sur l’emploi de la formation militaire des forces armées de la Fédération de Russie dans l’opération de maintien de la paix de l’ONU en République de Sierra-Leone ».

[32] V. par exemple Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 18 novembre 2020 n° 478-SF « Sur l’emploi de la formation militaire des forces armées de la Fédération de Russie en Haut-Karabakh » ; Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 12 février 1997 n° 33-SF « Sur l’emploi des forces armées de la Fédération de Russie dans l’opération de maintien de la paix de la force de stabilisation multinationale en application de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine ».

[33] Décret du président de la Fédération de Russie du 19 octobre 2022 n° 756 « Sur l’introduction de la loi martiale sur les territoires des régions de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, des oblast’ de Zaporojie et de Kherson ».

[34] Remarquerons que l’article 22 de la loi fédérale constitutionnelle du 30 janvier 2002 n° 1-FKZ « Sur la loi martiale » dispose qu’il appartient au président de la Fédération de notifier le Secrétaire général de l’ONU et le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la dérogation, par la Fédération de Russie, de ses obligations conventionnelles en matière de la garantie des droits de l’homme. Il demeure incertain si cette disposition consacre une compétence liée ou une compétence discrétionnaire ; la pratique semble retenir cette dernière lecture. La partie de cette disposition qui concerne le Secrétaire général du Conseil de l’Europe est certes devenue obsolète suite à l’exclusion de la Russie de l’organisation le 16 mars 2022 (Comité des ministres du Conseil de l’Europe, 16 mars 2022, Résolution CM/Res(2022)2 sur la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe). À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune notification de dérogation de la part de la Russie n’a été enregistrée auprès du Secrétaire général de l’ONU.

[35] Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 19 octobre 2022 n° 462-SF « Sur l’approbation du Décret du Président de la Fédération de Russie du 19 octobre 2022 n° 756 “Sur l’introduction de la loi martiale sur les territoires des régions de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, des oblast’ de Zaporojie et de Kherson” ».

[36] Bien que le décret présidentiel du 19 octobre 2022 limite la loi martiale à quatre territoires annexés, son paragraphe 3 dispose que « Si nécessaire, d’autres mesures peuvent être prises pendant la période d’applicabilité de la loi martiale en Fédération de Russie, conformément à la loi fédérale constitutionnelle du 30 janvier 2002 n° FKZ “Sur la loi martiale” ». Cette partie du décret étend la loi martiale sur l’ensemble du territoire russe. Le décret du président de la Fédération de Russie du 19 octobre 2022 n° 757 « Sur les mesures prises dans les sujets de la Fédération de Russie en lien avec le Décret du Président de la Fédération de Russie du 19 octobre 2022 n° 756 » confirme cette lecture en disposant des mesures restrictives bien au-delà des territoires occupés, pourtant les seuls à figurer dans l’intitulé du décret introduisant la loi martiale. La fonction du droit comme instrument de régulation rencontre ici la fonction du droit comme instrument de communication.

[37] « Le Conseil de la Fédération a approuvé le décret du Président de la Russie sur l’introduction de la loi martiale sur les territoires des régions de la RPD, de la RPL, des oblast’ de Zaporojie et de Kherson », communiqué de presse, 19 octobre 2022.

[38] L’article 160 § 1 du Règlement intérieur du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie se borne à exiger de la proposition présidentielle qu’elle soit motivée, sans pour autant entrer dans le détail ni exiger qu’elle contienne des informations énumérées à l’article 7 de la loi fédérale de 1995.

[39] Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 22 février 2022 n° 35-SF « Sur l’emploi des forces armées de la Fédération de Russie en dehors du territoire de la Fédération de Russie », § 1.

[40] « Vladimir Putin Submits Proposal to Federation Council to Approve Resolution Authorising Use of Armed Forces Abroad », site officiel du Kremlin, 22 février 2022.

[41] Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 22 février 2022 n° 35-SF « Sur l’emploi des forces armées de la Fédération de Russie en dehors du territoire de la Fédération de Russie », § 2.

[42] Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 30 septembre 2015 n° 355-SF « Sur l’emploi des forces armées de la Fédération de Russie en dehors du territoire de la Fédération de Russie ».

[43] « Soviet-Syrian Treaty of Friendship and Co-operation, 8 October 1980 », Survival. Global Politics and Strategy, vol. 23, 1981, p. 43-44.

[44] Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 1er mars 2014 n° 48-SF « Sur l’emploi des forces armées de la Fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine ».

[45] L’envoi à l’étranger du personnel civil et militaire des sociétés militaires privées, tel le « Groupe Wagner », échappe à la réglementation fédérale. Il n’en reste pas moins que certaines personnalités politiques, dont Vladimir Poutine lui-même, sont favorables à la légalisation des sociétés militaires privées en Russie, v. « SMP dans la loi : pourquoi Sergueï Lavrov propose de légaliser les “soldats de fortune” » [ЧВК в законе: зачем Сергей Лавров предлагает легализовать «солдат удачи »], RIA Novosti, 15 janvier 2018.

[46] V. par exemple Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 10 décembre 2003 n° 339-SF « Sur l’emploi des forces militaires de la Fédération de Russie dans le cadre de la Force collective de maintien de la paix dans la zone du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie » ; Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 25 juin 2003 n° 180-SF « Sur l’emploi des forces militaires de la Fédération de Russie dans le cadre de la Force collective de maintien de la paix dans la zone du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie » ; Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 19 avril 2000 n° 74-SF « Sur l’emploi des forces militaires de la Fédération de Russie dans le cadre de la Force collective de maintien de la paix dans la zone du conflit entre la Géorgie et l’Abkhazie ».

[47] Agreement on Principles of Settlement of the Georgian-Ossetian Conflict, Sochi, 24 juin 1992.

[48] « Le Conseil de la Fédération a renoncé à la guerre » [Совет Федерации отказался от войны], Kommersant, 18 août 2008.

[49] V. en détail sur l’OTSC D. Teurtrie, « L’OTSC : une réaffirmation du leadership russe en Eurasie post-soviétique ? », Revue Défense Nationale, n° 802, 2017/7, p. 153-160.

[50] V. par exemple « Le transfert des unités des forces aéroportées d’Oulianovsk et des unités de la 45e brigade des forces spécialisées des forces aéroportées vers le Kazakhstan se poursuit » [Продолжается переброска подразделений Ульяновского соединения ВДВ и подразделений 45-й отдельной бригады специального назначения ВДВ в Казахстан], communiqué de presse, 8 janvier 2022.

[51] Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, décision du 4 décembre 1995 n° 115-O « Sur l’inadmissibilité du pourvoi du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie sur l’interprétation du point d de la partie 1 de l’article 102 de la Constitution de la Fédération de Russie », § 3.

[52] C. Fauconnier, « La verticale du pouvoir, force et faiblesse de la Russie de Vladimir Poutine », Revue internationale et stratégique, n° 118, 2020/2, p. 154-162.

[53] En juin 2014, le président russe demanda au Conseil de la Fédération d’annuler son autorisation à envoyer les forces militaires en Ukraine, demande satisfaite le 25 juin 2014. Cette annulation n’est pas exigée par la Constitution pour parfaire le retrait des forces armées ; elle n’est d’ailleurs pas prévue par le règlement intérieur du Conseil de la Fédération. V. A. Agamalova, « Le Conseil de la Fédération a annulé l’autorisation du déploiement des forces armées russes en Ukraine » [Совет Федерации отменил разрешение на ввод российских войск на Украину], Vedomosti, 25 juin 2014. Elle intervint cependant pour renforcer l’apparence de la cessation des activités militaires en Ukraine et pour conforter le discours officiel russe niant l’implication des forces militaires russes dans la guerre de Donbass.

[54] C. Joerges, « Introduction to the Special Issue: Confronting Memories: European ‘Bitter Experiences’ and the Constitutionalization Process: Constructing Europe in the Shadow of its Pasts », German Law Journal, vol. 6, n° 2, 2005, p. 245-254 et les contributions dans ce numéro spécial du German Law Journal.

[55] L. du Plessis, « The South African Constitution as Memory and Promise », Stellenbosch Law Review, vol. 11, n° 3, 2000, p. 385.

[56] M.-E. Baudoin, « La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie vue par un juriste français », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 28, 2010, p. 1.

[57] Article 72 g1) de la Constitution de 1993.

[58] Article 67-1 de la Constitution de 1993.

[59] T. Y. Khabrieva, « Constitutional Reform in Russia: Searching for National Identity », Herald of the Russian Academy of Sciences, vol. 90, n° 3, 2020, p. 280.

[60] C. Pistan, « Alarming Alterations. How Memory Politics Turned the Russian Constitution into a War Weapon », PONARS Eurasia Policy Memo, n° 798, septembre 2022.

[61] Sur ce concept v. par exemple X. Souvignet, « La Russie et l’ingérence », RGDIP, vol. 123, n° 1, 2019, p. 50 et de manière détaillée l’analyse de E. Götz, « Near Abroad. Russia’s Role in Post-Soviet Eurasia », Europe-Asia Studies, vol. 74, n° 9, 2022, p. 1529-1550.

[62] Article 67-1 de la Constitution de 1993.

[63] L’observation de Dmitri Trenin est à cet égard particulièrement éclairante : « In the current stage, Russia recognizes all former Soviet republics as separate countries but does not yet perceive all of them as foreign countries », cité par L. Mälksoo, « Crimea and (the Lack of) Continuity in Russian Approaches to International Law », EJIL:Talk!, 28 mars 2014.

[64] A. de Tinguy, « La Russie et les “compatriotes” de l’étranger. Hier rejetés, demain mobilisés ? » in S. Dufoix, C. Guerassimoff, A. de Tinguy, Loin des yeux, près du cœur. Les États et leurs expatriés, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 188.

[65] La loi fédérale s’inspire de la définition du concept telle qu’adoptée par le Congrès des communautés russes dans la Déclaration des droits des compatriotes russiens du 30 janvier 1994, v. sur le processus de juridicisation des « compatriotes » et les problèmes consubstantiels à la tâche, M. Laruelle, « La question des Russes du proche-étranger en Russie (1991-2006) », Les études du CERI, n° 126, 2006, p. 31-33.

[66] Décret du président de la Fédération de Russie du 30 novembre 2016 n° 640 « Sur l’approbation de la Conception de la politique étrangère de la Fédération de Russie », § 3 ; décret du président de la Fédération de Russie du 31 mars 2023 n° 229 « Sur l’approbation de la Conception de la politique étrangère de la Fédération de Russie », § 17.

[67] V. notamment l’article premier du Projet d’articles sur la protection diplomatique adopté par la CDI, Annuaire de la Commission du droit international, 2006, vol. II(2) et CIJ, 24 mai 2007, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 582, § 40 : « Il appartient donc à la Cour d’examiner si le demandeur satisfait aux conditions de l’exercice de la protection diplomatique, à savoir si M. Diallo a la nationalité de la Guinée et s’il a épuisé les voies de recours internes disponibles en RDC ».

[68] V. en ce sens M. Voyger, « Russian Lawfare… », op. cit., p. 5, observant que le « monde russe » renvoie à un « supranational continuum comprising people outside the borders of Russia who are to be bound by it not only by legal and ethnic links, but by cultural ones too ». Sur l’incorporation de cette idéologie dans le cadre normatif russe v. par exemple « Vladimir Poutine approuve une nouvelle politique étrangère fondée sur le concept de “monde russe” », L’Opinion, 6 septembre 2022.

[69] Décret du président de la Fédération de Russie du 31 mars 2023 n° 229 « Sur l’approbation de la Conception de la politique étrangère de la Fédération de Russie », § 46.

[70] V. notamment pour la meilleure illustration de cette vision de la mission historique de la Russie à la lumière des justifications historicistes de l’annexion de la Crimée dans le discours de Vladimir Poutine à cette occasion, « Address by President of the Russian Federation », site officiel du président de la Fédération de Russie, 18 mars 2014.

[71] S. Plokhii, « Casus Belli: Did Lenin Create Modern Ukraine? », Harvard Ukrainian Research Institute, 27 février 2022.

[72] V. Putin, « On the Historical Unity of Russians and Ukrainians », site officiel du président de la Fédération de Russie, 12 juillet 2021.

[73] « Address by the President of the Russian Federation », site officiel du président de la Fédération de Russie, 21 février 2022.

[74] V. par exemple R. Blitt, « Russia’s Constitutionalized Civilizational Identity and the Moscow Patriarchate’s War on Ukraine », BYULAW, 24 février 2023 : « Today, these provisions lie at the crux of Putin’s dubious justifications for war in Ukraine ».

[75] Résolution du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie du 1er mars 2014 n° 48-SF « Sur l’emploi des forces armées de la Fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine ».

[76] V. notamment la déclaration faite le 8 août 2008 répertoriée dans la chronique « Guerre de cinq jours » [Пятидневная война], Kommersant, 18 août 2008.

[77] V. sur la politique de passeportisation, c’est-à-dire des « naturalisations extraterritoriales prononcées en masse » en Géorgie – notamment en Abkhazie et en Ossétie du Sud – et en Ukraine, qui serait menée afin de fournir une justification à la politique interventionniste russe, ainsi que sur sa licéité en droit international, J. Lepoutre, « La “passeportisation”. La nationalité au service de la force », RGDIP, vol. 127, n° 1, 2023, p. 161-182. L’argument de « nationalité au service de la force » doit cependant être relativisé dans la mesure où la Fédération de Russie ne l’invoqua jamais en tant que justification auto-suffisante de l’emploi de la force, v. infra.

[78] « Valéry Zorkine : L’attaque de la Géorgie contre Tskhinvali a montré qu’il était temps de mettre les valeurs au-dessus des intérêts. L’imposition de la paix et les droits de l’homme » [Валерий Зорькин: Нападение Грузии на Цхинвал показало – пора поставить ценности выше интересов. Принуждение к миру и права человека], Rossiïskaïa gazeta, 13 août 2008.

[79] V. notamment O. Corten, « The Russian Intervention in the Ukrainian Crisis: Was Jus Contra Bellum Confirmed Rather than Weakened? », Journal on the Use of Force and International Law, vol. 2, n° 1, 2015, p. 31-32 : « …legally speaking, Russia did not argue that a threat to its nationals would allow a military intervention without any other justification ».

[80] Procès-verbal de la 5 952e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, vendredi 8 août 2008, à 16h20, S/PV.5952, p. 4, le représentant de la Fédération de Russie déclarant que « We will not allow the deaths of our compatriots to go unpunished ».

[81] Lettre datée du 11 août 2008, adressée au président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/2008/545.

[82] J. A. Green, « Passportisation, Peacekeepers and Proportionality: The Russian Claim of the Protection of Nationals Abroad in Self-Defence » in J. A. Green, C. P. M. Waters (éd.), Conflict in the Caucasus: Implications for International Legal Order, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 54-79.

[83] Procès-verbal de la 7 124e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, samedi 1er mars 2014, à 16h15, S/PV.7124, p. 5. Son discours reprit certes la demande du président de la Fédération ayant donné lieu à la résolution du Conseil de la Fédération comportant la mention de la protection des citoyens russes et des « compatriotes », sans pour autant l’utiliser en tant qu’argument principal de justification. La thèse défendue par M. Churkine fut celle d’intervention par invitation afin de « rétablir la paix en Crimée ». L’argument de constitutionnalité fut néanmoins présent : celui intéressant le respect de la constitution ukrainienne par la Verkhovna Rada de l’Ukraine lorsqu’elle proclama le président de l’Ukraine, Viktor Yanukovych, incapable d’exercer son mandat en application de l’article 110. La Russie ne reconnut pas la déchéance de Yanukovich comme conforme à la Constitution ukrainienne et continua à le reconnaître en tant que président légitime. L’intérêt de cette reconnaissance est crucial dans la mesure où la Russie justifia le déploiement de ses forces armées en Crimée par l’invitation émanant du Premier ministre de la Crimée, invitation « appuyée par M. Yanukovych ».

[84] Procès-verbal de la 7 144e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, mercredi 19 mars 2014, à 15h, S/PV.7144, p. 10. M. Churkine évoqua certes la nécessité « de mettre fin aux actes de provocation des forces ultranationalistes et radicales ciblant la population russophone et nos compatriotes dans le sud-est et d’autres parties de l’Ukraine » sans pour autant s’en prévaloir pour justifier l’annexion de la Crimée ni l’emploi de la force. La seule « violation des normes constitutionnelles » dénoncée par M. Churkine devant le Conseil de sécurité fut celle qui serait commise dans le cadre du transfert de la Crimée et de la ville de Sébastopol à la République socialiste soviétique de l’Ukraine, une « injustice historique » qui serait « réparée » par l’annexion de la Crimée, v. ibid., p. 9.

[85] Procès-verbal de la 5 969e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, jeudi 28 août 2008, à 15h, S/PV.5969, p. 8-9.

[86] Procès-verbal de la 8 974e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, mercredi 23 février 2022, à 21 h 30, S/PV.8974, p. 13.

[87] Document (avec annexes) de la Fédération de Russie exposant sa position sur le prétendu « défaut de compétence » de la Cour en l’affaire, 7 mars 2022, relatif à l’affaire des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) [En ligne].

[88] Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 36-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la République populaire de Donetsk sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la République populaire de Donetsk et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 2 ; Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 37-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la République populaire de Lougansk sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la République populaire de Lougansk et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 2 ; Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 38-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la région de Zaporojie sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la région de Zaporojie et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 2 ; Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 39-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la région de Kherson sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la région de Kherson et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 2.

[89] Ibid., p. 4-5 de chaque arrêt.

[90] S. Masol, « Orwellian Rulings of the Russian Constitutional Court on the Donetsk, Kherson, Luhansk and Zaporizhzhia Provinces of Ukraine », EJIL:Talk!, 25 octobre 2022.

[91] Procès-verbal de la 9143e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, vendredi 30 septembre 2022, à 15h, S/PV.9143, p. 4.

[92] Le contrôle de constitutionnalité des traités internationaux relatifs à l’incorporation dans la Fédération de Russie de nouveaux sujets de la Fédération est obligatoire en vertu de l’article 7 § 4 de la loi fédérale constitutionnelle du 17 décembre 2001 n°6-FKZ « Sur la procédure d’admission dans la Fédération de Russie et la création et son sein d’un nouveau sujet de la Fédération de Russie ».

[93] Telles que prévues par la loi fédérale constitutionnelle du 21 juillet 1994 n° 1-FKZ « Sur la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie » et notamment par les articles 88-91 du Chapitre X consacré au contrôle de constitutionnalité des traités de la Fédération de Russie non encore entrés en vigueur.

[94] Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 19 mars 2014 n° 6-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la République de Crimée sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la République de Crimée et la formation des nouveaux sujets de la Fédération de Russie ».

[95] Ibid., § 3, in fine.

[96] E. Lukyanova, « On the Rule of Law in the Context of Russian Foreign Policy », Russian Law Journal, vol. III, n° 2, 2015, p. 22-31.

[97] Ce qui est en soi la conséquence de la contradiction entre les lois fédérales constitutionnelles de 1994 et de 2001, la première obligeant l’organe de la saisine à soulever le doute quant à la constitutionnalité de la norme objet de contrôle et la deuxième obligeant la Cour constitutionnelle à contrôler tout traité d’incorporation sur saisine présidentielle, également obligatoire dans ces cas. Cette contradiction a été supprimée par la réforme de 2020.

[98] Désormais consacrées à l’article 67 § 2.1 de la Constitution de 1993.

[99] J. Socher, « Farewell to the European Constitutional Tradition… », op. cit., p. 629-630.

[100] Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 36-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la République populaire de Donetsk sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la République populaire de Donetsk et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 1 ; Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 37-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la République populaire de Lougansk sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la République populaire de Lougansk et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 1 ; Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 38-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la région de Zaporojie sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la région de Zaporojie et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 1 ; Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, arrêt du 2 octobre 2022 n° 39-P « Sur le contrôle de constitutionnalité du traité international non en vigueur entre la Fédération de Russie et la région de Kherson sur l’admission, au sein de la Fédération de Russie, de la région de Kherson et la formation du nouveau sujet de la Fédération de Russie », § 1.

[101] Peu avant la saisine de la Cour constitutionnelle par le président de la Fédération, le 27 septembre 2022, le juge Konstantin Aranovskiï, connu pour ses opinions dissidentes, démissionna de son mandat.

[102] Ibid., § 2, p. 7.

[103] V. sur ces questions A. Viala, « Limitation du pouvoir constituant, la vision du constitutionnaliste », Civitas Europa, n° 32, 2014/1, p. 81-91.


Maria Gudzenko, « La guerre dans la Constitution russe. Légitimation malaisée de l’illégitime », Le retour de la guerre [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 17 décembre 2023. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=2460.

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