P. Jensel-Monge & A. de Montis, La lutte contre la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 : un repositionnement stratégique du Parlement au sein des institutions

Priscilla Jensel-Monge, Maître de conférences, Aix-Marseille Université, Université de Toulon, Université de Pau & Pays Adour, CNRS, DICE, ILF-GERJC, Aix-en-Provence, France

Audrey de Montis, Maître de conférences à l’Université Rennes I

Note des autrices : la première version de cet article a été achevée le 15 avril 2020. Celui-ci avait pour objectif précis d’analyser les rapports entre le Parlement et le Gouvernement au moment critique de la prise de décision et de l’établissement de l’état d’urgence sanitaire. En conséquence, la version de l’article ici publiée n’intègre, à titre purement informatif, que les éléments d’actualisation compatibles avec la période analysée par les auteurs.

« Nous sommes en guerre ». Cette formule, utilisée à six reprises par le Président Macron au cours de son discours télévisé adressé aux Français le 16 mars 2020[1], dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, n’est pas sans rappeler celle prononcée par le Président Hollande, devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015, à la suite des attentats perpétrés à Paris quelques jours plus tôt[2]. Cette mobilisation du discours martial par le chef de l’État renvoie alors à un constat. Depuis quelques années, les crises s’enchaînent. Si elles sont différentes, tant dans leur nature que dans leurs conséquences, elles soulèvent néanmoins certaines interrogations communes. La crise sanitaire à laquelle la société internationale est aujourd’hui confrontée est inédite. D’une exceptionnelle gravité, affectant tous les domaines de la vie en société, elle confronte les pouvoirs publics à un « ennemi invisible »[3]. Sa gestion en est rendue d’autant plus délicate. Pour autant, elle correspond à une situation de crise que les gouvernants sont normalement en capacité de combattre. S’agissant spécifiquement de la France, il est même possible d’affirmer qu’il est dans l’ « ADN » de la Ve République de permettre à l’exécutif de répondre à de telles situations de façon efficace. Néanmoins, l’exécutif ne peut agir seul et toutes les institutions doivent concourir à lutter contre l’épidémie. La capacité des institutions à aller de concert pour faire face à la crise sanitaire est donc déterminante de sorte que « toute l’action du gouvernement et du Parlement doit être (…) tournée vers le combat contre l’épidémie »[4]. La crise sanitaire supporterait mal, en effet, la juxtaposition d’une autre crise, institutionnelle ou politique.  
Tout au long du XXe siècle, l’organe exécutif devient partout le pôle essentiel du pouvoir. Personnifiant l’État, c’est lui qui, assisté d’une administration efficace[5], apparaît comme le plus à même de prendre les décisions et notamment dans des hypothèses de guerre, de crise, dans lesquelles il faut pouvoir agir rapidement. En parallèle, le Parlement est délaissé comme lieu de délibération et de décision. Dès les premières lueurs de la Ve République, et avec plus ou moins de vigueur selon les années, les interrogations sur le rôle effectif du Parlement n’ont jamais cessé. Cet élément est connu, le cumul des outils du parlementarisme rationalisé et du phénomène du fait majoritaire a contribué à limiter sa place au sein des institutions politiques. Ainsi, dans une situation de crise sanitaire d’une exceptionnelle gravité telle qu’elle se présente aujourd’hui et qui impose à l’exécutif un investissement massif, le déséquilibre institutionnel imaginé par le constituant durant l’été 1958 pourrait nécessairement s’aggraver encore davantage. Le Parlement continuerait son déclin[6]. Il serait possible d’imaginer qu’il s’efface alors de la scène politique, notamment sous l’effet d’une union nationale commandée par les circonstances.
Une brève analyse du déroulement du processus législatif établissant l’état d’urgence sanitaire le laisse à penser, du moins en apparence[7]. En effet, seulement cinq jours séparent le dépôt des textes[8] sur le Bureau du Sénat de leur promulgation par le chef de l’État. Ce résultat fut rendu possible grâce à l’organisation d’une seule lecture devant chaque assemblée, une commission mixte paritaire réussie et une absence de saisine du Conseil constitutionnel, évitant ainsi à la loi ordinaire un contrôle de constitutionnalité qui aurait notamment pu avoir pour effet de retarder sa publication au Journal Officiel[9]. L’Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé dans des conditions bien particulières, puisqu’elles ont dû limiter leur activité « compte tenu de la situation de crise et jusqu’à nouvel ordre » comme le révèlent les conclusions de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale du 17 mars 2020. Touchées elles-mêmes par l’épidémie, elles ont dû réadapter leur fonctionnement dans des délais très exigeants[10].
Dans ce contexte, la place du Parlement dans la lutte contre la crise interroge. Cela est d’autant plus prégnant que cette situation a pour effet, en apparence au moins, d’accentuer le déséquilibre institutionnel en transférant la capacité décisionnelle de gestion de la crise sur les seules épaules du pouvoir exécutif. Il est dès lors nécessaire de se demander si le retrait, en matière décisionnelle, du Parlement en période de crise se traduit par un effacement total de ce dernier ?
Il est intéressant de noter d’ailleurs qu’en période de crise majeure, le rôle de médiation des parlementaires se renforce nettement. Au cours des débats législatifs, les élus ont à de nombreuses reprises ressenti la nécessité d’évoquer l’importance de la représentation assurée au sein et par le Parlement[11]. En 2015, en période d’état d’urgence, lorsqu’il était question de mobiliser les forces pour lutter contre le terrorisme, le Parlement avait déjà démontré clairement qu’il n’entendait pas s’effacer dans ce contexte, en se saisissant pleinement de ses fonctions de législateur et de contrôleur. Dans un cadre tout à fait différent – une crise sanitaire d’une ampleur inédite – il semble le démontrer encore aujourd’hui.
En effet, si le Parlement législateur a semblé s’effacer derrière le Gouvernement auquel il a donné de nombreux moyens pour gérer le plus efficacement possible la crise, il a fait preuve de responsabilité en déterminant le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire (I). Loin de s’accommoder d’un rôle de second plan, le Parlement a entendu contribuer activement à la gestion de la crise en déployant pleinement sa fonction constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement (II).

I. L’effacement consenti du Parlement dans la détermination du cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire

Au cours de ce processus législatif expéditif, le rôle du Parlement a été facilement identifié : il s’agissait d’accompagner l’organe exécutif dans ses décisions. Le temps n’était pas à l’affrontement politique mais bien à celui de « l’assistance » du premier envers le second. Si d’ordinaire dans un régime parlementaire, la majorité a bien également vocation à soutenir le Gouvernement, du temps peut généralement être dépensé pour la conflictualité politique entre les groupes et pour des oppositions entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans ce contexte sanitaire inédit d’une exceptionnelle gravité, il fallait au contraire, agir vite et le mieux possible, en donnant au Gouvernement les outils nécessaires pour tenter d’endiguer la crise. Aussi, le déséquilibre institutionnel défini par l’esprit constituant de 1958 semble avoir été immédiatement aggravé. Ce constat a pu aisément être observé lorsque les parlementaires ont adopté sans difficulté, en mars 2020, les points saillants du texte relatifs à l’établissement de l’état d’urgence sanitaire, conduisant à accroître la compétence gouvernementale en la matière (A). Cependant, ils ont eu l’occasion, de façon convaincante, de réaffirmer leur autorité sur d’autres aspects du texte (B).

A) L’acceptation de la prévalence de la compétence de l’organe exécutif en période d’état d’urgence sanitaire

Des critiques contre le processus législatif lui-même ont été rapidement formulées et elles pouvaient, in fine, fragiliser la portée générale de la loi organique et de la loi ordinaire d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, adoptées les 21 et 22 mars 2020. Si la contraction du temps parlementaire est régulièrement décriée, le court délai de quatre jours qui a permis le dépôt, l’écriture et le vote de deux textes législatifs a pu susciter des doutes sur la qualité de ces derniers. À cette durée extrêmement brève, s’ajoute un autre fait préoccupant : le volume de la loi ordinaire. Quatre titres la composent en effet : « l’état d’urgence sanitaire » (titre I), « les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de covid-19 » (titre II), « les dispositions électorales » (titre III) et « le contrôle parlementaire » (titre IV), chaque titre comportant lui-même, toute une série de dispositions. Ces craintes ont été alimentées par la discussion sur la légitimité du législateur à intervenir et la critique du faible nombre de parlementaires présents, à ce moment, pour adopter ces textes. En outre, la loi organique a été sciemment adoptée en violation de l’article 46 de la Constitution qui imposait pourtant avec clarté, le respect d’un délai minimal de quinze jours entre le dépôt et l’ouverture de la discussion de la première assemblée[12]. Enfin, l’insuffisance de la délibération peut être regrettée[13] et le fait qu’une « prévalence » ait été une nouvelle fois « accordée à la décision »[14]. Toutefois, il était fondamental que des encadrements clairs soient définis au sein du Parlement dans une courte période temporelle et c’est la volonté politique qui a permis d’exploiter avec raison et efficacité, ce support du droit qu’est la loi. Les acteurs sont parvenus à s’unir pour faire émerger des consensus dans des circonstances très particulières et, si les décisions prises peuvent être critiquées, elles apparaissent dans leur ensemble, adaptées à la gravité de la crise et à sa gestion sensiblement complexe pour les gouvernants.L’intervention des parlementaires s’imposait pour déterminer le fondement juridique de l’état d’urgence sanitaire[15]. En la matière, ils ont soutenu le Gouvernement en lui permettant de disposer d’un nouveau dispositif juridique, prolongeant en cela l’avis du Conseil d’État qui avait indiqué que cette option permettait de « disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention »en présence d’une catastrophe sanitaire[16]. Cependant, et cela souligne sa prudence, le Parlement a refusé l’introduction dans le marbre législatif d’un dispositif pérenne dans l’urgence. Ainsi, celui-ci n’a été envisagé  que de façon temporaire, jusqu’au 1er avril 2021[17]. C’est toujours en suivant l’avis du Conseil d’État et le souhait du Gouvernement que les parlementaires, sans grande résistance de leur part, ont étendu le délai de leur intervention pour proroger l’état d’urgence sanitaire qui est déclaré en Conseil des ministres. Au lieu des 12 jours prévus dans d’autres régimes de crise[18], c’est après un délai d’un mois qu’il pourrait le décider, en cas de besoin. En l’espèce, les parlementaires ont même facilité encore davantage l’action du Gouvernement en prévoyant que, par dérogation à ces dispositions, l’état d’urgence sanitaire était cette fois déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, pour des soucis donc, de simplification[19]. Ce long délai, semblant écarter le Parlement de la gestion rapide de la crise, peut être expliqué par sa spécificité exceptionnelle (qui impose une réaction rapide de l’exécutif dans des domaines extrêmement vastes et variés) et atténué par le fait qu’il peut intervenir plus tôt auprès du Gouvernement, par d’autres voies[20].

Par ailleurs, les parlementaires ont adopté une autre disposition permettant au Premier ministre de prendre, par décret, de nombreuses mesures restrictives des libertés « aux seules fins de garantir la santé publique », participant alors à l’extension de la compétence normative de cette autorité. Toutefois, là aussi, la version définitive du texte est moins libérale que l’originale puisque les sénateurs, soutenus en ce sens par les députés ensuite, ont limité la finalité (seulement celle de « garantir de la santé publique »), énuméré les mesures restrictives de libertés susceptibles d’être prises[21] et rappelé la nécessité que ces mesures soient proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. En adoptant une méthodologie similaire, la compétence normative du ministre de la santé, étendue, a été également bornée[22]. De ce fait, si le Parlement semble favorable à un déplacement du curseur de la compétence normative vers les autorités gouvernementales, ce glissement apparaît « responsable » et mesuré.

L’analyse du titre II révèle le constat d’un abandon de la compétence législative du Parlement sur le fondement de l’article 34 de la Constitution. En effet, il a autorisé le Gouvernement à agir dans le domaine législatif pour prendre, durant trois mois, toute mesure « afin de faire face aux conséquences » de l’épidémie. L’incise « afin de faire face aux conséquences » revient d’ailleurs telle une ritournelle à de nombreuses reprises dans la loi ordinaire, mettant clairement en évidence que les conséquences sont presque innombrables dans tous les aspects de la vie en société[23]. L’habilitation est massive et s’éloigne à bien des égards, des habilitations plus classiques en temps normal sous la Ve République. Il est toujours périlleux de faire des prédictions, mais il est fort à parier que le Conseil constitutionnel, s’il avait été saisi a priori dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité de la loi ordinaire d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, aurait balayé l’argument d’une inconstitutionnalité, en raison des « circonstances particulières de l’espèce »[24]. Cet abandon de compétence législative peut faire un lointain écho, dans un contexte de crise radicalement différent cependant, aux habilitations massives du Parlement sous les IIIe et IVe Républiques. À l’époque, il lui arrivait (et de plus en plus régulièrement sur la fin), de confier à l’exécutif des pans entiers de sa compétence législative conduisant à son dessaisissement et, en définitive, à son affaiblissement. 

S’il est toujours possible (et nécessaire d’ailleurs), de critiquer l’opportunité et le contenu de ces différentes mesures, il est également important de les inscrire dans le principe de réalité et précisément de se poser la question de leur potentiel pour résoudre la crise.  Deux temps distincts vont se succéder : aujourd’hui celui de la décision politique, appuyée sur des éléments scientifiques qui ont régulièrement varié et vite évolué ; demain, celui de la contestation des choix politiques et de détermination des responsabilités qui pourra pointer l’adéquation ou non des choix gouvernementaux au regard des données à disposition. En tout état de cause, la tâche semble « immensément difficile, mais encore [le ministre de la santé] joue toujours perdant devant la presse et l’opinion publique : ses échecs, ses hésitations, ses excès sont très visibles et lui valent d’âpres critiques. En revanche, ses succès sont invisibles car personne (pas même, lui) ne peut savoir ce qui se serait passé s’il n’avait rien fait : on ne lui en sait donc pas gré »[25]

Pour l’heure, le contexte sanitaire impose l’aggravation du déséquilibre institutionnel. Les parlementaires sont intervenus pour « sécuriser les mesures prises par le Gouvernement en créant un état d’urgence sanitaire » et pour prévoir également de très nombreuses « habilitations à légiférer par ordonnances pour adapter temporairement des pans entiers de la législation »[26]. Cette mise à disposition du Parlement en faveur des autorités gouvernementales est moins marquée sur les deux derniers titres de la loi ordinaire.

B) La réaffirmation constatée du Parlement sur d’autres aspects de la loi

Concernant les « dispositions électorales », l’empreinte des parlementaires sur le texte de loi présenté par le Gouvernement est davantage perceptible. Dans le projet de loi originel, les dispositions électorales introduisaient le texte avant d’être finalement déplacées, par les parlementaires eux-mêmes dans le titre III. Grâce aux efforts réciproques de chaque chambre, des compromis ont pu être noués rapidement, alors que sur cet aspect, et à la différence des cas précédents, des enjeux politiques rentraient clairement en ligne de compte, notamment pour les sénateurs[27]. Le consensus aurait même pu échouer face à une disposition d’apparence mineure (la date de dépôt des listes de candidats pour le second tour[28]) qui a pu, un (court) temps, opposer fermement députés et sénateurs (le Parlement redevenait maître, moins du contenu de son texte que de l’horloge en allongeant le déroulement de la navette).

Les apports des parlementaires sont notables ici : s’ils ont affirmé que les élections du premier tour étaient acquises (ce qui était rhétorique mais les fortes tensions du moment justifiaient l’intérêt d’une pédagogie renforcée[29]), ce sont également eux qui ont proposé puis décidé que les conseils municipaux élus au complet au premier tour n’entraient pas immédiatement en fonction mais au plus tard, en juin 2020[30]. De même, ils ont prévu dès ce moment-là, grâce à la loi ordinaire, deux scénarios possibles sur la tenue du second tour, en privilégiant d’abord son organisation au maximum en juin 2020 (comme le souhaitait le Gouvernement dans le projet de loi) mais également en prévoyant un second tour plus tard qu’au mois de juin 2020. Dans ce dernier cas de figure, l’ensemble de l’élection municipale serait cette fois reprogrammé pour les conseils municipaux qui n’ont pas été élus au complet dès le premier tour. Ce cadre juridique précis et clair a permis d’anticiper d’éventuelles tensions et d’éviter une situation confuse en juin 2020[31]. Si ces décisions peuvent de nouveau être critiquées[32] (ne fallait-il pas plutôt, par exemple, annuler l’ensemble de l’élection pour tous ?), elles apparaissent mesurées et adaptées à la gravité exceptionnelle de la crise, à ce moment précis. Enfin, parce que des habilitations ont également été permises en droit électoral, le Parlement a pu obtenir du Gouvernement la détermination d’un délai d’un mois pour qu’il dépose des projets de loi de ratification au plus tard un mois après les ordonnances, pour être « plus facilement en capacité de se saisir de leur contenu avant la tenue des opérations électorales au mois de juin 2020, et d’en modifier les dispositions s’il le juge opportun »[33].

Aussi, le Parlement a adapté sa réaction face à la crise et s’est investi quand cela était possible, tout en assistant l’organe exécutif dans ses prises de décision. Cette émancipation s’observe également en matière de détermination du contrôle parlementaire, même si là, malheureusement, l’empreinte finale des parlementaires est bien plus faible. En effet, c’est sur une initiative du Sénat qu’un titre IV a vu le jour, intitulé clairement « Contrôle parlementaire ». Précisément, la paternité est à attribuer à Philippe Bas, ce qu’il est intéressant de noter puisqu’il avait déjà ardemment participé au développement d’un contrôle parlementaire exceptionnel dans une période qui l’était tout autant en 2015 celle de l’état d’urgence –, en tant que président de la Commission des lois. En l’espèce, au cours de l’examen de la loi ordinaire d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, sa proposition a permis initialement au titre IV d’être composé de deux articles, l’un visant, simplement, à assurer la poursuite des travaux des commissions d’enquête[34] (il n’a pas été modifié jusqu’à la promulgation de la loi) ; l’autre qui rappelait le contrôle développé de toutes pièces par les parlementaires eux-mêmes, au cours des discussions relatives à la déclaration puis à la prorogation de l’état d’urgence et enfin, à la lutte contre le terrorisme, à compter de novembre 2015[35]. En effet, durant ces nombreux débats législatifs, le Parlement législateur avait réussi à imposer au Gouvernement des mesures en matière de contrôle malgré les réticences de ce dernier, en plusieurs temps successifs. Le contrôle qui en avait ensuite résulté avait contribué à la valorisation de l’institution parlementaire. Si Philippe Bas a tenté le même coup de force, quelques années plus tard, dans un contexte de grave crise sanitaire, il s’est heurté cette fois en définitive, à la détermination du Gouvernement. Alors que l’amendement, adopté en commission par le Sénat, avait été préservé jusqu’à l’ouverture de la séance publique à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a pu compter à ce moment, sur le soutien de certains parlementaires en plénière pour adopter un amendement de suppression, dépouillant alors considérablement le titre IV. Le second article a alors été supprimé. Un mauvais signal est ainsi adressé aux parlementaires, intéressés pour investir leur fonction de contrôleur.

Toutefois, subsiste dans la loi le dispositif suivant : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures », qui se trouve finalement inséré dans le titre I sur l’état d’urgence sanitaire. Le champ d’application du contrôle parlementaire semble donc limité à ce domaine. La proposition initiale du Sénat, indiquant que les chambres, « à leur demande » se fassent communiquer « toute mesure prise ou mise en œuvre en application de la présente loi » (dans toutes ses composantes donc) de la part des « autorités administratives » – nécessairement plus incisive – n’a pas résisté à l’épreuve du fait majoritaire. Toutefois, s’il est permis de le regretter, le contrôle parlementaire est tout de même en mesure de s’épanouir au moins déjà puisque l’écrit dans le cas présent, laisse place à l’interprétation et à la souplesse. En matière de contrôle, c’est l’investissement des parlementaires qui est déterminant et non uniquement les outils théoriques à leur disposition. De plus, l’inscription dans la loi d’un contrôle parlementaire, même minoré, a au moins deux qualités : d’une part, cette démarche n’est pas commune (et pousse au développement même du contrôle) ; d’autre part, elle permet de faire date et de compiler donc, des « précédents ». Le Parlement peut ainsi poser des jalons, même lentement, pour s’affirmer au fur et à mesure et particulièrement en période de crise. Il peut de ce fait apparaître indispensable pour compenser l’investissement massif du Gouvernement dans la gestion de ce type d’événements. Il ne lui reste plus qu’à s’affirmer en ce sens dans les faits, en développant un contrôle à partir de la loi et en dehors d’elle, ce qu’il convient de voir désormais.

II. L’investissement du Parlement dans une fonction de veille de la gestion de la crise sanitaire 

La mobilisation par les assemblées des outils de contrôle démontre que le Parlement, loin de s’effacer, joue au contraire un rôle très actif en cette période de crise. La veille qu’il organise depuis le début du déclenchement de l’état d’urgence sanitaire (A) semble par ailleurs ne constituer que la première phase de ce qu’il mettra en œuvre par la suite sous l’angle de sa fonction de contrôle, voire plus largement de sa fonction délibérative (B).

A) Une surveillance parlementaire aigüe

Si le Parlement a accepté de laisser la main à l’exécutif sur la détermination du contenu de la loi établissant l’état d’urgence sanitaire, et sur le dispositif de contrôle prévu dans la loi[36], il n’a pas pour autant entendu délaisser sa fonction constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement[37]. Ainsi, les instruments traditionnels de contrôle, prévus notamment par la Constitution et les règlements des assemblées, sont pleinement mis en œuvre pendant cette période de crise sanitaire. Il est vrai que les mécanismes de contrôle prévus par la loi du 23 mars 2020 sont en-deçà de ce qui figurait dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme[38]. On ne saurait pour autant en conclure que l’efficacité du contrôle exercé sera moindre. Une question mérite d’ailleurs d’être posée. En quoi les instruments traditionnels de contrôle sont-ils moins efficaces en cette période de crise, alors même, qu’ils sont pleinement déployés par un Parlement pourtant atteint dans son fonctionnement[39] ? 

Chaque chambre a immédiatement mis en œuvre un instrument principal de suivi de la crise sanitaire. Ainsi, dès le 17 mars 2020, avant même la promulgation de la loi, c’est la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale qui a décidé de créer une mission d’information sur la « gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-COVID-19 ». Cette possibilité lui est offerte par l’article 145 alinéa 4 du règlement de l’Assemblée nationale depuis la résolution du 27 mars 2003[40]. La création de ces missions, en Conférence des présidents, à l’initiative du Président de l’Assemblée, permet ainsi de conférer une certaine solennité à des travaux qui concernent des sujets sensibles ou des thèmes d’actualité intéressant tous les groupes politiques et toutes les commissions. Le rapport de la résolution de 2003 précise ainsi que « la création de missions d’information en Conférence des Présidents reposera sur un dialogue entre les présidents des commissions et les présidents des groupes et pourrait se justifier pour des thèmes d’une certaine ampleur et revêtant un caractère transversal »[41]. Le caractère solennel et transversal est en l’espèce évident si l’on regarde la composition de la mission d’information. La fonction de président ainsi que celle de rapporteur ont été confiées au Président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, ce qui est permis par une subtilité rédactionnelle du règlement[42]. Par ailleurs, les huit présidents des commissions permanentes se sont vus attribuer chacun une fonction de co-rapporteur et tous les présidents de groupes, ou leur représentant, ont été associés aux travaux de la mission d’information. Les travaux de cette mission étaient destinés, dans une première phase[43], à assurer un suivi renforcé de la gestion de la crise sanitaire et des mesures prises dans le cadre de l’urgence sanitaire. Rapidement, elle a pu auditionner le Premier ministre, le Ministre des solidarités et de la santé, le garde des Sceaux, le Ministre de l’Intérieur ou encore le Président du Conseil scientifique de la Covid-19[44]. La présence des présidents de commission permet notamment que l’information se déploie pleinement matériellement, ce qui est fondamental compte tenu de l’ampleur de la crise sanitaire en cours. Les travaux de la mission sont par ailleurs retransmis en direct sur le site de l’Assemblée nationale ce qui permet aux citoyens qui le souhaitent de s’informer sur la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19. Les travaux sont ainsi construits dans la plus grande transparence.

Il en va de même au Sénat, où c’est la Commission des lois qui a décidé de créer une mission de contrôle sur les mesures liées à l’épidémie de Covid-19. Il s’agit d’une mission pluraliste composée de onze sénateurs, représentant l’ensemble des groupes politiques du Sénat. La présidence est assurée par le président de la Commission des lois, Philippe Bas, qui est à la fois membre de la majorité sénatoriale et figure de l’opposition gouvernementale et présidentielle. Cette présidence assure une certaine expérience de contrôle en période de crise. En effet, pour mémoire, Philippe Bas avait déjà joué un rôle essentiel dans le contrôle de l’application de l’état d’urgence en matière de terrorisme[45]. Le rapport du Sénat souligne d’ailleurs que la méthode de travail retenue « s’inspire de celle mise en place avec succès pour évaluer la mise en œuvre des lois relatives à l’état d’urgence et de la loi sécurité́ intérieure et de lutte contre le terrorisme »[46]. Les moyens à la disposition de la mission de suivi sont, à ce titre, nombreux (données de terrain ; communication des décisions prises par le Gouvernement, les préfets, les maires ; audition des membres du Gouvernement) et présument de l’efficacité du contrôle. En dépit de son rattachement à la Commission des lois, cette initiative s’inscrit dans une démarche coordonnée de l’ensemble des commissions permanentes destinée à assurer « un suivi concret et exigeant de l’action du Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire »[47]. Pour Philippe Bas, « la mission de contrôle du Parlement est d’autant plus nécessaire en période de crise, notamment pour s’assurer de la proportionnalité et de la nécessité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Notre rôle est à la fois de vérifier que l’action du Gouvernement s’insère bien dans le cadre juridique que lui assigne la loi d’urgence du 23 mars 2020, mais également de surveiller l’application quotidienne par les autorités publiques de mesures, certes justifiées par les circonstances, mais fortement dérogatoires au droit commun et qui restreignent les libertés de chacun dans le but de protéger la santé de tous. Il nous revient d’alerter le Gouvernement sur des difficultés concrètes, qui demandent des réponses à la fois claires et rapides ». Il apparait ainsi que l’absence de dispositif législatif contraignant de contrôle dans la loi, n’empêche pas, au contraire, le Sénat de se saisir pleinement de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement. Une nouvelle fois, le Sénat n’entend pas s’inscrire dans une logique consensuelle et les « sacrifices consentis » sur l’aspect législatif[48] sont donc compensés par un investissement complet de la fonction de contrôle. La mission a remis son premier rapport le 2 avril 2020[49]. Il a permis de livrer une analyse juridique des décrets et des ordonnances adoptés jusqu’alors et de souligner un certain nombre de points d’attention pour le Sénat dans les semaines à venir. Il en va ainsi, par exemple, de la question du traçage numérique. Le rapport souligne ainsi que «ces outils peuvent (…) poser de graves questions au regard des libertés individuelles : les propositions du Gouvernement en matière de traçage devront donc être rapidement examinées au Parlement et avec la plus grande vigilance »[50]. 

Les séances de questions au Gouvernement, qui sont « garanties » par l’article 48 de la Constitution, ont continué de se tenir pendant cette période de fonctionnement particulier du Parlement. Sans surprise, elles ont été exclusivement, ou presque pendant la phase aigüe de la crise, consacrées à l’état d’urgence sanitaire. Cette faculté de questionner le Gouvernement s’exerce désormais, à l’Assemblée nationale depuis 2019 et au Sénat depuis 2015, avec un droit de réplique, ce qui offre à la procédure un certain caractère de contradictoire. Avec les questions au Gouvernement, députés comme sénateurs ont pu interroger le Gouvernement sur tous les aspects de la gestion de la crise sanitaire et notamment sur les questions les plus sensibles. L’approvisionnement en masques et en gel hydro alcoolique, la stratégie de port des masques, la politique en matière de dépistage, la question de la fin de vie dans les Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), l’action de l’Union européenne, la situation dans les prisons ou encore les conséquences de la crise économique sont autant de questions qui ont été posées au Gouvernement, le Parlement se faisant ainsi largement l’écho de l’ensemble des préoccupations des citoyens dans cette crise sanitaire.

Le contrôle politique exercé par l’Assemblée nationale et le Sénat, à travers les outils que l’on vient de mentionner, se double d’un contrôle plus technique à travers l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques[51]. Pour rappel, cet office commun aux deux assemblées a été créé par la loi du 8 juillet 1983[52]. Il a pour mission, aux termes de la loi, « d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions ». Instance méconnue, elle a pourtant un rôle déterminant à jouer dans la surveillance et l’accompagnement du Parlement dans la gestion de la crise sanitaire. L’Office a ainsi publié une note sur les traitements, vaccins et moyens de dépistage[53] dans le cadre de la veille qu’il effectue sur l’épidémie de Covid-19. La question de l’hydroxychloroquine y est abordée, tout comme les autres traitements qui font actuellement l’objet d’essais cliniques. La note fait également un point sur les programmes de recherches mis en œuvre pour lutter contre la Covid-19. Il a également approuvé une autre note sur les aspects technologiques, organisationnels, éthiques et juridiques de l’utilisation des technologies de l’information pour limiter la propagation de l’épidémie de la Covid-19[54]. Il continue à exercer une veille sur les aspects scientifiques de la crise de la Covid-19.

B) Vers une reconfiguration durable des fonctions du Parlement ?

En raison de son ampleur et de son caractère inédit, la crise sanitaire de la Covid-19 risque de bouleverser durablement les pratiques existantes. Sans aller jusqu’à affirmer que la crise va bouleverser les équilibres institutionnels de la Ve République, il est d’ores et déjà possible de constater qu’elle conduit à une reconfiguration de la fonction de contrôle du Parlement.

On constate tout d’abord que la crise sanitaire oblige le Parlement à repenser son fonctionnement pour pouvoir assurer sa fonction de surveillance de l’action du Gouvernement. À ce titre, les outils numériques de télécommunication apparaissent précieux pour assurer la continuité du contrôle puisque la plupart des travaux sont conduits sous forme de visioconférences. Les questions au Gouvernement ont également dû être repensées. Alors que ces séances tendent habituellement à remplir l’hémicycle, la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a décidé au départ de n’autoriser la présence que d’un seul représentant par groupe pendant la durée de la crise sanitaire. Cela confère à ces séances un calme inhabituel qui permet de prendre un peu plus la mesure de la gravité de la situation actuelle. La séance plénière est délaissée, puisqu’à l’exception de la discussion des textes législatifs de l’urgence sanitaire, elle ne sert plus qu’à exercer la fonction de contrôle à travers les séances de questions hebdomadaires[55]. L’effervescence de l’Assemblée nationale a donc cédé sa place à un silence éloquent. Au Sénat, la Conférence des Présidents a simplement pris soin de préciser que l’article 23bis du Règlement (présence des sénateurs – retenues indemnitaires) n’avait pas vocation à s’appliquer aux séances de questions tenues pendant cette période. L’hémicycle est donc clairsemé en raison des consignes sanitaires à respecter.

Au-delà de ces aspects purement techniques, mais néanmoins essentiels pour la continuité de l’activité du Parlement, le contrôle exercé pendant cette crise sanitaire semble répondre à une logique profondément différente qui renouvelle la conception même de la fonction de contrôle. Tout d’abord, si le contrôle parlementaire est traditionnellement orienté vers l’idée de responsabilité, la crise sanitaire modifie à la fois la temporalité du contrôle et sa vocation. Alors que celui-ci s’exerce principalement a posteriori, par la remise en cause des choix politiques de l’exécutif, la crise sanitaire conduit à exercer le contrôle parlementaire en deux temps, bien distincts. Ce dédoublement du contrôle se traduit, dans une première phase, par une fonction de surveillance et d’information du Parlement. C’est la phase de veille. Elle correspond à la phase critique de la crise qui implique, si l’on reprend le discours martial du président de la République, qu’il n’y ait qu’un commandant. Cela ne signifie pas pour autant que les responsabilités ne devront pas être établies par la suite. Il ne s’agit que de la première phase du contrôle. À celle-ci succèdera une seconde phase, plus incisive, qui viendra rompre l’unité institutionnelle nécessaire à la gestion de la crise sanitaire. La mission d’information créée à l’Assemblée nationale souligne en effet que dans cette seconde phase, elle se dotera des pouvoirs d’une commission d’enquête[56], à l’image de ce qui a été fait par la Commission des lois pour la première fois dans le cadre de l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme[57]. Il conviendra néanmoins d’être attentif à l’articulation entre cette évolution de la mission d’information et les demandes de création de commissions d’enquête qui pourraient émaner des groupes d’opposition et des groupes minoritaires afin de ne pas bloquer les initiatives de ces derniers. Des propositions de résolution ont d’ailleurs déjà été déposées en ce sens[58]. À ce titre d’ailleurs, le 30 juin 2020, le Sénat a approuvé, à l’unanimité, une proposition de résolution « tendant à créer une commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion », déposée par le Président du Sénat Gérard Larcher.

Cette dissociation du contrôle, en deux phases bien distinctes, renforce la fonction de contrôle du Parlement. Elle en transforme profondément la temporalité en lui offrant la permanence qui lui faisait défaut. Cela était déjà observable avec la lutte contre le terrorisme et semble donc s’affirmer comme une constante du contrôle du Gouvernement en temps de crise. Le contrôle parlementaire passe donc par une phase de veille, de surveillance avant d’entrer dans la phase plus incisive du contrôle parlementaire. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que la première phase sera très utile à l’exercice de la seconde. 

Il est même permis d’affirmer, sans aucune naïveté, que la crise sanitaire pourrait permettre au Parlement de réinvestir sa fonction législative et de retrouver sa capacité délibérative en dépit de l’abandon dont il a fait preuve dans la phase législative de la gestion de la crise sanitaire[59]. Cette dernière, qui rappelons-le n’a vocation à s’appliquer que pour un an[60], va obliger les pouvoirs publics à repenser durablement le système économique, de santé, etc. On peut dès lors penser que le travail effectué par l’Assemblée nationale et le Sénat va se mettre également, dans un second temps, au service de la fonction législative. À ce titre, les travaux menés, de manière autonome durant cette crise, par l’ensemble des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat témoignent de cette volonté de jouer un rôle législatif actif dans l’après-crise. En effet, chacune des commissions conduit des travaux destinés à comprendre et à mesurer les enjeux de cette crise sanitaire et à envisager ses conséquences dans son domaine particulier de compétences. À cet effet, certaines commissions ont mis en place des groupes de travail sectoriels. Il en est ainsi, par exemple, de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale. Celle-ci affirme qu’«à l’issue de la période d’urgence sanitaire – à une date encore incertaine – le bureau de la Commission élaborera un programme de missions flash, chargées de conduire des réflexions prospectives sur des thématiques précises pour tirer les leçons de la crise et proposer des solutions aux difficultés et/ou fragilités qu’elle aura révélées »[61]. La crise met ainsi en évidence la volonté du Parlement de préparer, à travers la veille qu’il effectue aujourd’hui, l’après-crise. Cette dernière va d’abord permettre d’exercer la deuxième phase du contrôle politique, qui est donc désormais à double détente. Mais elle doit également servir à préparer la phase législative qui suivra la crise. Ainsi, la fonction de contrôle se met déjà au service de la fonction législative future et souligne avec acuité la nécessité de décloisonner les frontières artificielles entre les différentes fonctions du Parlement et de réfléchir, enfin, à la véritable fonction du Parlement.

Pour citer cet article : Priscilla Jensel-Monge et Audrey de Montis, « La lutte contre la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 : un repositionnement stratégique du Parlement au sein des institutions», Confluence des droits_La revue [En ligne], 07 | 2020, mis en ligne le 22 juillet 2020. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1275


[1] Adresse du président de la République.

[2] Le président de la République avait débuté son discours par une formule semblable : « La France est en guerre ».

[3] Formule utilisée par le Président Macron dans son adresse du 16 mars 2020.

[4] Ibid.

[5] Voir notamment J. Chevallier, L’État post moderne, Paris, LGDJ, Lextenso, coll. Droit et société série politique, 2008, pp. 185-189.

[6] G. Toulemonde, Le déclin du Parlement sous la Ve République : mythes et réalités, Thèse Lille-II, 1998, 544 p.

[7] Pour mémoire, la présente contribution se focalise sur l’adoption de la loi ordinaire « établissant » l’état d’urgence sanitaire (précisément, « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 », cf. supra pour les références). Elle ne porte donc pas sur la loi « prorogeant l’état d’urgence sanitaire » promulguée le 11 mai 2020, ni sur la loi « organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire », adoptée le 2 juillet 2020. Celles-ci soulèvent de nouvelles réflexions sur les rapports entre le Gouvernement et le Parlement et entre les chambres elles-mêmes notamment en raison du refus du Sénat d’adopter le dernier projet de loi tel qu’il lui était présenté (désaccord en commission mixte paritaire puis rejet en nouvelle lecture) et des saisines successives du Conseil constitutionnel sur les deux textes (voir, pour le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, la décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020 ; JORF n°0116 du 12 mai 2020, texte n° 2 ; l’autre décision relative au projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire n’avait pas encore été rendue au moment de remettre l’article).  

[8] Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, présenté par Édouard Philippe, Doc. Sénat n°376, 18 mars 2020 ; Projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, présenté par Nicole Belloubet, Doc. Sénat n°377, 18 mars 2020.

[9] En application de l’article 61 de la Constitution, la loi organique a été elle obligatoirement soumise au Conseil constitutionnel (cf. supra).

[10] Voir le relevé de conclusions de la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale, du 17 mars 2020.

[11] Voir par exemple P. Bas « Le Parlement est présent dans toutes ses composantes pour représenter – il est seul à pouvoir le faire – la diversité de nos compatriotes » (JO Sénat, Débats, séance du 19 mars 2020, p. 2497) ; E. Benbassa : « La représentation nationale exercera son droit de contrôle sur les actions de l’exécutif pendant cet état d’urgence » (ibid., p. 2511) ; C. Bouillon : « Nous avons constaté les uns et les autres qu’il était important de pouvoir se reposer sur le Parlement, sur ce que nous représentons chacun et chacune » (JO AN, Débats, séance du 22 mars 2020, p. 2683) ; B. Pancher : « Nous, parlementaires, devons exercer pleinement notre rôle de contrôle, et serons très vigilants, car nous sommes les représentants de nos électeurs, qui nous sollicitent en permanence, et plus encore dans cette période. Nous leur devons transparence et écoute » (ibid., p. 2684). 

[12] Voir P. Cassia, « Le Conseil constitutionnel déchire la Constitution », billet sur le blog de Médiapart, 27 mars 2020.

[13] Voir le billet d’E. Lemaire qui évoque elle, une « absence de délibération réelle » : « Le Parlement face à la crise de la Covid-19 (1/2) », billet sur le blog Jus Politicum, 2 avril 2020.

[14] C. Geynet-Dussauze, L’obstruction parlementaire sous la Vème République : étude de droit constitutionnel, Thèse Aix-Marseille, 2019, p. 447.

[15] L’évocation d’autres régimes juridiques était complexe, délicate voire totalement ubuesque, voir l’opinion d’Olivier Beaud : « Ce qui pourrait à la limite faire l’objet d’une discussion dans les circonstances actuelles très troublées, c’est la question de savoir si la crise sanitaire (…) et la crise économique gravissime qui va nécessairement en découler, ne constitueraient pas un cas pouvant donner lieu à l’application de l’article 16. Le gouvernement ne l’a pas pensé, à juste titre selon nous, et a préféré inventer un nouveau régime, l’état d’urgence sanitaire» : « La surprenante invocation de l’article 16 dans le débat sur le report du second tour des élections municipales », billet publié sur le blog Jus Politicum, 23 mars 2020.  

[16] Avis du Conseil d’État, sur le projet de loi ordinaire d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, p. 4.

[17] Article 7 de la loi ordinaire n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ; JORF n°0072, 24 mars 2020, texte n°2.

[18] La durée de 12 jours est ainsi évoquée dans la Constitution pour proroger l’état de siège (article 36, alinéa 2) et également dans la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (article 2).

[19] Article 4 de la loi ordinaire n°2020-290 du 23 mars 2020, op. cit.

[20] Comme l’explique M. Altwegg-Boussac, le Parlement pourrait intervenir avant « ne serait-ce que pour prévoir, comme le fait d’ailleurs la loi d’urgence covid-19 dans son Titre II, des habilitations de circonstances permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnances dans de nombreux domaines » : « La fin des apparences, à propos du contrôle parlementaire en état d’urgence sanitaire », Revue des droits de l’homme, avril 2020.

[21] Voir l’article L. 3131-15 du code de la santé publique : restriction ou interdiction de la circulation des personnes et des véhicules dans certains lieux à certaines heures, interdiction aux personnes de sortir de leur domicile, ordonner la fermeture provisoire de certains établissements etc.

[22] Voir l’article L. 3131-16 du code de la santé publique (article 2 de la loi ordinaire n°2020-290 précitée).

[23] Pour faire face aux conséquences « économiques, financières et sociales », aux conséquences « de nature administrative ou juridictionnelle »…

[24] Cette formule a précisément été retenue par le Conseil constitutionnel pour rejeter l’inconstitutionnalité de la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 alors même que l’article 46, alinéa 2 de la Constitution n’avait pas été respecté (délai minimal de quinze jours entre le dépôt et la délibération de la première assemblée ») : C.C, n°2020-799 DC, 26 mars 2020 (cons. 3 ; JORF n°0078, 31 mars 2020, texte n°5). En revanche, à titre incident, le Conseil constitutionnel a tout de même eu une interprétation très particulière de la Constitution concernant les ordonnances consacrées à l’article 38 C., dans une décision déjà célèbre n°2020-843 QPC du 28 mai 2020. En l’espèce, il a considéré que, passé le délai d’habilitation, les dispositions d’une ordonnance non ratifiée devaient « être regardées comme des dispositions législatives » (cons. 11). Sur cette question, voir notamment J. Padovani, « Ordre ou désordre dans la nature juridique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution ? À propos de la décision n°2020-843 QPC du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020 », billet sur Le blog droit administratif, 2 juin 2020.

[25] D. Truchet, « Covid-19 : point de vue d’un ‘administrativiste sanitaire’ », billet sur le blog Jus Politicum, 27 mars 2020.

[26] Le terme « sécuriser » est d’ailleurs utilisé par le Sénat lui-même à plusieurs reprises : voir le rapport intitulé « 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats », 2 avril 2020.

[27] Les conseillers municipaux composent une large part du collège électoral des sénateurs. Ces derniers doivent être « élus par un corps électoral qui soit lui-même l’émanation de ces collectivités » et non par des « élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal » : voir cons. n°6 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat (Rec., p. 165). Le renouvellement partiel du Sénat est donc fortement dépendant de la tenue des élections municipales.

[28] Pour de plus amples explications, voir R. Rambaud, « Loi Covid-19 et élections : appel à l’unité parlementaire en temps de crise », billet publié sur le blog de droit électoral du même auteur, 22 mars 2020.

[29] Sur ce point d’ailleurs, le Conseil constitutionnel a rendu une décision n°2020-849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres, dans laquelle cette incise à vertu essentiellement explicative a été validée (cons. 33 à 35).  

[30] L’évaluation de la situation sanitaire en mai 2020 a permis de considérer que l’entrée en fonction des conseils municipaux élus au complet au premier tour pouvait avoir lieu le 18 mai 2020. 

[31] Cela a pu se vérifier dans les faits. En l’espèce, c’est le premier scénario qui a été éprouvé puisque le deuxième tour des élections municipales a été organisé le dimanche 28 juin 2020 dans un climat général relativement apaisé.  

[32] Voir notamment l’article de D. Albertini paru le 26 mars 2020 dans le Journal Libération, qui évoque les oppositions principales : « Un contre-pouvoir a disparu : le monde du droit à l’heure du coronavirus ».

[33] Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les projets de loi, organique et ordinaire, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, par M. Guévenoux, députée, Doc. AN n°2764 et n°2765 ; 20 mars 2020, p. 31. Sur la question des ordonnances, voir pour mémoire la note n°26.  

[34] Pour les commissions d’enquête constituées avant la publication de la loi ordinaire et qui n’ont pas encore déposé leur rapport, le délai classique de 6 mois est porté à 8 mois, sans que leur mission puisse se poursuivre au-delà du 30 septembre 2020.

[35] C’est un amendement du rapporteur Jean-Jacques Urvoas qui avait permis d’introduire un article dans la loi en date du 20 novembre 2015 aux termes duquel « L’assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ». En outre, lors de l’élaboration du la loi du 21 juillet 2016, le Parlement avait de nouveau utilisé la loi pour renforcer ses pouvoirs de contrôle dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence. Dominique Raimbourg avait proposé une modification par l’adjonction suivante : « Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi ». À l’occasion de l’examen de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, les parlementaires ont réussi à transposer le contrôle imposé dans le cadre de l’état d’urgence à cette nouvelle loi dans la mesure où ses quatre premiers articles en étaient inspirés : voir P. Jensel-Monge et A. de Montis, « Le Parlement français et la lutte contre le terrorisme : une atténuation du déséquilibre institutionnel de la Vème République » in O. Baller (dir.), Violent Conflicts, Crisis, State of Emergency, Peacebuilding, Berlin, BWV, 2019, pp. 107-129.

[36]Cf. infra.

[37] Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la fonction de contrôle du Parlement figure à l’article 24 de la Constitution. Jusqu’alors la fonction de contrôle était indirectement reconnue par l’article 20 de la Constitution aux termes duquel « [Le Gouvernement] est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution ».

[38] Cf. infra.

[39] Sur le fonctionnement du Parlement en période de crise sanitaire, voir E. Lemaire, « Le Parlement face à la crise de la Covid-19 (1/2), op. cit.

[40] Proposition de résolution de M. Jean-Louis Debré et plusieurs de ses collègues « tendant à compléter le Règlement de l’Assemblée nationale et à modifier ses articles 14, 50, 65, 91, 104 et 128 du Règlement », Doc. AN n° 613, 12 février 2003.

[41] Rapport n° 698 tendant à compléter le Règlement de l’Assemblée nationale et à modifier ses articles 14, 50, 65, 91, 104 et 128.

[42] L’article 145 al. 4 prévoit ainsi que « La fonction de président ou de rapporteur revient de droit à un député appartenant à un groupe d’opposition, si ces fonctions ne sont pas exercées par la même personne ».

[43] Cette dissociation du contrôle en deux phases est particulièrement intéressante dans le contexte d’urgence sanitaire actuel. Cf. infra.

[44] La mission d’information poursuit encore ses travaux, au 2 juillet 2020. Par lettre en date du 26 mai 2020, la mission d’information de la conférence des présidents « sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus – covid 19 » a demandé à ce que lui soient attribués, pour une durée de six mois, les pouvoirs d’une commission d’enquête en application de l’article 5ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

[45] Cf. infra.

[46] Rapport intitulé « 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats », op. cit.

[47] Ibid.  

[48] Cf. infra.

[49] Le Sénat a remis un deuxième rapport le 29 avril 2020 intitulé « Covid-19 : Deuxième rapport d’étape sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire ».

[50] Rapport intitulé « 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats », op. cit. À l’occasion de l’examen de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Parlement a ainsi été particulièrement attentif à cette question. Il a ainsi limité la possibilité de récolter des données personnelles (données virologiques et sérologiques uniquement) et de les conserver. Pour de plus amples informations, voir le tableau sur la construction de cette loi sur le site du Sénat.

[51] Certaines délégations parlementaires prennent également part au débat sur la crise sanitaire créée par l’épidémie de Covid-19. Il en va ainsi notamment des délégations parlementaires aux outre-mer de l’Assemblée nationale et du Sénat qui participent au débat sur la crise sanitaire et sa gestion locale, par l’organisation de réunions en audioconférences. La délégation à l’Assemblée nationale a, pour sa part, décidé d’attirer l’attention des plus hautes autorités de l’État (président de la République, Premier ministre, ministre des outre-mer, président de l’Assemblée nationale) sur la situation particulière des territoires ultramarins et suggéré un certain nombre de mesures à prendre rapidement.

[52] Loi n° 83-609 du 8 juillet 1983 portant création d’une délégation parlementaire dénommée Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, JORF du 9 juillet 1983, p. 2125.

[53] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Note à l’attention des membres de l’Office – Épidémie de coronavirus –Point sur les traitements, vaccins et moyens de dépistage, 30 mars 2020.

[54] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Note à l’attention des membres de l’Office – Épidémie de COVID-19 – Point sur les technologies de l’information utilisées pour limiter la propagation de l’épidémie de COVID-19, 11 avril 2020.

[55] Voir les conclusions de la Conférence des Présidents du 17 mars 2020, op. cit.

[56] Voir la présentation de la Mission d’information sur le site de l’Assemblée nationale. La mission d’information a depuis lors demandé et obtenu la possibilité de se voir confier les pouvoirs d’une commission d’enquête.

[57] Sur cette question, voir P. Jensel-Monge, A. de Montis, « Le Parlement français et la lutte contre le terrorisme : une atténuation du déséquilibre institutionnel de la Ve République », op. cit., pp. 124 et ss.

[58] Proposition de résolution n° 2817 de M. André Chassaigne et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion de la crise de la Covid-19 ; Proposition de résolution n° 2742 de M. Bernard Perrut et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coronavirus.

[59] Cf. infra, I.

[60] Cf. infra, I, note n°18.

[61] Relevé de conclusions du 8 avril 2020.

Pour citer cet article : Priscilla Jensel-Monge et Audrey de Montis, « La lutte contre la crise sanitaire provoquée par la Covid-19 : un repositionnement stratégique du Parlement au sein des institutions», Confluence des droits_La revue [En ligne], 07 | 2020, mis en ligne le 22 juillet 2020. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1275


[1] Adresse du président de la République.

[2] Le président de la République avait débuté son discours par une formule semblable : « La France est en guerre ».

[3] Formule utilisée par le Président Macron dans son adresse du 16 mars 2020.

[4] Ibid.

[5] Voir notamment J. Chevallier, L’État post moderne, Paris, LGDJ, Lextenso, coll. Droit et société série politique, 2008, pp. 185-189.

[6] G. Toulemonde, Le déclin du Parlement sous la Ve République : mythes et réalités, Thèse Lille-II, 1998, 544 p.).

[7] Pour mémoire, la présente contribution se focalise sur l’adoption de la loi ordinaire établissant l’état d’urgence sanitaire (précisément, d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, cf. infra pour les références). Elle ne porte donc pas sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire promulguée le 11 mai 2020, ni sur la loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, adoptée le 2 juillet 2020. Celles-ci soulèvent de nouvelles réflexions sur les rapports entre le Gouvernement et le Parlement et entre les chambres elles-mêmes notamment en raison du refus du Sénat d’adopter le dernier projet de loi tel qu’il lui était présenté (désaccord en commission mixte paritaire puis rejet en nouvelle lecture) et des saisines successives du Conseil constitutionnel sur les deux textes (voir, pour le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, la décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020 ; JORF n°0116 du 12 mai 2020, texte n° 2 ; l’autre décision relative au projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire n’a pas encore été rendue au moment de remettre l’article).  

[8] Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, présenté par Édouard Philippe, Doc. Sénat n°376, 18 mars 2020 ; Projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, présenté par Nicole Belloubet, Doc. Sénat n°377, 18 mars 2020.

[9] En application de l’article 61 de la Constitution, la loi organique a été elle obligatoirement soumise au Conseil constitutionnel (cf. infra).

[10] Voir le relevé de conclusions de la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale, du 17 mars 2020.

[11] Voir par exemple P. Bas « Le Parlement est présent dans toutes ses composantes pour représenter – il est seul à pouvoir le faire – la diversité de nos compatriotes » (J.O Sénat, Débats, séance du 19 mars 2020, p. 2497) ; E.  Benbassa : « La représentation nationale exercera son droit de contrôle sur les actions de l’exécutif pendant cet état d’urgence » (ibid., p. 2511) ; C. Bouillon : « Nous avons constaté les uns et les autres qu’il était important de pouvoir se reposer sur le Parlement, sur ce que nous représentons chacun et chacune » (J.O AN, Débats, séance du 22 mars 2020, p. 2683), B. Pancher : « Nous, parlementaires, devons exercer pleinement notre rôle de contrôle, et serons très vigilants, car nous sommes les représentants de nos électeurs, qui nous sollicitent en permanence, et plus encore dans cette période. Nous leur devons transparence et écoute » (ibid., p. 2684). 

[12] Voir P. Cassia, « Le Conseil constitutionnel déchire la Constitution », billet sur le blog de Médiapart.

[13] Voir le billet d’E. Lemaire qui évoque elle, une « absence de délibération réelle » : « Le Parlement face à la crise de la Covid-19 (1/2) », billet sur le blog Jus Politicum.

[14] C. Geynet-Dussauze, L’obstruction parlementaire sous la Vème République : étude de droit constitutionnel, Thèse Aix-Marseille, 2019, p. 447.

[15] L’évocation d’autres régimes juridiques était complexe, délicate voire totalement ubuesque, voir l’opinion d’Olivier Beaud : « Ce qui pourrait à la limite faire l’objet d’une discussion dans les circonstances actuelles très troublées, c’est la question de savoir si la crise sanitaire (…) et la crise économique gravissime qui va nécessairement en découler, ne constitueraient pas un cas pouvant donner lieu à l’application de l’article 16. Le gouvernement ne l’a pas pensé, à juste titre selon nous, et a préféré inventer un nouveau régime, l’état d’urgence sanitaire » : « La surprenante invocation de l’article 16 dans le débat sur le report du second tour des élections municipales », billet publié sur le blog Jus Politicum, 23 mars 2020.  

[16] Avis du Conseil d’État, sur le projet de loi ordinaire d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, p. 4.

[17] Article 7 de la loi ordinaire n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ; JORF n°0072, 24 mars 2020, texte n°2.

[18] La durée de 12 jours est ainsi évoquée dans la Constitution pour proroger l’état de siège (article 36, alinéa 2) et également dans la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (article 2).

[19] Article 4 de la loi ordinaire n°2020-290 du 23 mars 2020 (précitée).   

[20] Comme l’explique M. Altwegg-Boussac, le Parlement pourrait intervenir avant « ne serait-ce que pour prévoir, comme le fait d’ailleurs la loi d’urgence covid-19 dans son Titre II, des habilitations de circonstances permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnances dans de nombreux domaines » : « La fin des apparences, à propos du contrôle parlementaire en état d’urgence sanitaire », Revue des droits de l’homme, avril 2020.

[21] Voir l’article L. 3131-15 du code de la santé publique : restriction ou interdiction de la circulation des personnes et des véhicules dans certains lieux à certaines heures, interdiction aux personnes de sortir de leur domicile, ordonner la fermeture provisoire de certains établissements etc.

[22] Voir l’article L. 3131-16 du code de la santé publique (article 2 de la loi ordinaire n°2020-290 précitée).

[23] Pour faire face aux conséquences « économiques, financières et sociales », aux conséquences « de nature administrative ou juridictionnelle »

[24] Cette formule a précisément été retenue par le Conseil constitutionnel pour rejeter l’inconstitutionnalité de la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 alors même que l’article 46, alinéa 2 de la Constitution n’avait pas été respecté (délai minimal de quinze jours entre le dépôt et la délibération de la première assemblée ») : C.C, n°2020-799 DC, 26 mars 2020 (cons. 3 ; JORF n°0078, 31 mars 2020, texte n°5). En revanche, à titre incident, le Conseil constitutionnel a tout de même eu une interprétation très particulière de la Constitution concernant les ordonnances consacrées à l’article 38 C., dans une décision déjà célèbre n°2020-843 QPC du 28 mai 2020. En l’espèce, il a considéré  que, passé le délai d’habilitation, les dispositions d’une ordonnance non ratifiée devaient « être regardées comme des dispositions législatives » (cons. 11). Sur cette question, voir notamment J. Padovani, « Ordre ou désordre dans la nature juridique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution ? À propos de la décision n°2020-843 QPC du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020 », billet de blog sur le site Le blog droit administratif.

[25] D. Truchet, « Covid-19 : point de vue d’un « administrativiste sanitaire », billet sur le blog Jus Politicum.

[26] Le terme « sécuriser » est d’ailleurs utilisé par le Sénat lui-même à plusieurs reprises : voir le rapport intitulé « 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats », en date du 2 avril 2020.

[27] Les conseillers municipaux composent une large part du collège électoral des sénateurs. Ces derniers doivent être « élus par un corps électoral qui soit lui-même l’émanation de ces collectivités » et non par des « élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal » (voir cons. n°6 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat (Rec., p. 165)). Le renouvellement partiel du Sénat est donc fortement dépendant de la tenue des élections municipales.

[28] Pour de plus amples explications, voir R. Rambaud, « Loi Covid-19 et élections : appel à l’unité parlementaire en temps de crise », billet publié sur le blog du droit électoral du même auteur.

[29] Sur ce point d’ailleurs, le Conseil constitutionnel a rendu une décision n°2020-849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres, dans laquelle cette incise à vertu essentiellement explicative a été validée (cons. 33 à 35).  

[30] L’évaluation de la situation sanitaire en mai 2020 a permis de considérer que l’entrée en fonction des conseils municipaux élus au complet au premier tour pouvait avoir lieu le 18 mai 2020. 

[31] Cela a pu se vérifier dans les faits. En l’espèce, c’est le premier scénario qui a été éprouvé puisque le deuxième tour des élections municipales a été organisé le dimanche 28 juin 2020 dans un climat général relativement apaisé.  

[32] Voir notamment l’article paru le 26 mars 2020 dans le Journal Libération, qui évoque les oppositions principales : « Un contre-pouvoir a disparu : le monde du droit à l’heure du coronavirus ».

[33] Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les projets de loi, organique et ordinaire, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée ; par M. Guevenoux ; Doc. AN n°2764 et n°2765 ; 20 mars 2020, p. 31. Sur la question des ordonnances, voir, pour mémoire, la note n°24.  

[34] Pour les commissions d’enquête constituées avant la publication de la loi ordinaire et qui n’ont pas encore déposé leur rapport, le délai classique de 6 mois est porté à 8 mois, sans que leur mission puisse se poursuivre au-delà du 30 septembre 2020.

[35] C’est un amendement du rapporteur Jean-Jacques Urvoas qui avait permis d’introduire un article dans la loi en date du 20 novembre 2015 aux termes duquel « L’assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ». En outre, lors de l’élaboration du la loi du 21 juillet 2016, le Parlement avait de nouveau utilisé la loi pour renforcer ses pouvoirs de contrôle dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence. Dominique Raimbourg avait proposé une modification par l’adjonction suivante : « Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi ». À l’occasion de l’examen de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, les parlementaires ont réussi à transposer le contrôle imposé dans le cadre de l’état d’urgence à cette nouvelle loi dans la mesure où ses quatre premiers articles en étaient inspirés : voir P. Jensel-Monge et A. de Montis, « Le Parlement français et la lutte contre le terrorisme : une atténuation du déséquilibre institutionnel de la Vème République » in O. Baller, Violent Conflicts, Crisis, State of Emergency, Peacebuilding, Berlin, BWV, 2019, pp. 107-129.

[36] Cf. supra.

[37] Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la fonction de contrôle du Parlement figure à l’article 24 de la Constitution. Jusqu’alors la fonction de contrôle était indirectement reconnue par l’article 20 de la Constitution aux termes duquel « [Le Gouvernement] est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution ».

[38] Cf. supra.

[39] Sur le fonctionnement du Parlement en période de crise sanitaire, voir E. Lemaire, « Le Parlement face à la crise de la Covid-19 (1/2), art. cit.

[40] Proposition de résolution de M. Jean-Louis Debré et plusieurs de ses collègues tendant à compléter le Règlement de l’Assemblée nationale et à modifier ses articles 14, 50, 65, 91, 104 et 128 du Règlement, Doc. AN n° 613, 12 février 2003.

[41] Rapport n° 698 tendant à compléter le Règlementde l’Assemblée nationaleet à modifier ses articles 14, 50, 65, 91, 104 et 128.

[42] L’article 145 alinéa 4 prévoit ainsi que « La fonction de président ou de rapporteur revient de droit à un député appartenant à un groupe d’opposition, si ces fonctions ne sont pas exercées par la même personne ».

[43] Cette dissociation du contrôle en deux phases est particulièrement intéressante dans le contexte d’urgence sanitaire actuel. Cf. infra.

[44] La mission d’information poursuit encore ses travaux, au 2 juillet 2020. Par lettre en date du 26 mai 2020, la mission d’information de la conférence des présidents sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus – covid 19 a demandé à ce que lui soient attribués, pour une durée de six mois, les pouvoirs d’une commission d’enquête en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

[45]Cf. supra.

[46] Rapport intitulé « 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats » (précité).

[47] Ibid.  

[48] Cf. supra.

[49] Le Sénat a remis un deuxième rapport le 29 avril 2020 intitulé « Covid-19 : Deuxième rapport d’étape sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire ».

[50] Rapport intitulé « 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats » (précité). À l’occasion de l’examen de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Parlement a ainsi été particulièrement attentif à cette question. Il a ainsi limité la possibilité de récolter des données personnelles (données virologiques et sérologiques uniquement) et de les conserver. Pour de plus amples informations, voir le tableau sur la construction de cette loi sur le site du Sénat.

[51] Certaines délégations parlementaires prennent également part au débat sur la crise sanitaire créée par l’épidémie de Covid-19. Il en va ainsi notamment des délégations parlementaires aux outre-mer de l’Assemblée nationale et du Sénat qui participent au débat sur la crise sanitaire et sa gestion locale, par l’organisation de réunions en audioconférences. La délégation à l’Assemblée nationale a, pour sa part, décidé d’attirer l’attention des plus hautes autorités de l’État (président de la République, Premier ministre, ministre des outre-mer, président de l’Assemblée nationale) sur la situation particulière des territoires ultramarins et suggéré un certain nombre de mesures à prendre rapidement.

[52] Loi n° 83-609 du 8 juillet 1983 portant création d’une délégation parlementaire dénommée Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, JORF du 9 juillet 1983, p. 2125.

[53] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Note à l’attention des membres de l’Office – Épidémie de coronavirus –Point sur les traitements, vaccins et moyens de dépistage, 30 mars 2020.

[54]Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Note à l’attention des membres de l’Office – Épidémie de COVID-19 – Point sur les technologies de l’information utilisées pour limiter la propagation de l’épidémie de COVID-19, 11 avril 2020.

[55] Voir les conclusions de la Conférence des Présidents du 17 mars 2020, op. cit..

[56] Voir la présentation de la Mission d’information sur le site de l’Assemblée nationale. La mission d’information a depuis lors demandé et obtenu la possibilité de se voir confier les pouvoirs d’une commission d’enquête.

[57] Sur cette question, voir P. Jensel-Monge, A. de Montis, « Le Parlement français et la lutte contre le terrorisme : une atténuation du déséquilibre institutionnel de la Ve République », art. cit., p. 124 s.

[58] Proposition de résolution n° 2817 de M. André Chassaigne et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion de la crise de la Covid-19 ; Proposition de résolution n° 2742 de M. Bernard Perrut et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coronavirus.

[59] Cf. supra I.

[60] Cf. supra I, note n°17.

[61] Relevé de conclusions du 8 avril 2020.

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