P. Ricard – Avant-propos

Pascale Ricard, Chargée de recherche CNRS, Aix Marseille Univ, Université de Toulon, CNRS, DICE, CERIC, Aix-en-Provence, France

La lutte contre la pollution plastique des océans en droit international, comparé et européen

Ce numéro spécial de Confluence des droits_La revue est issu de la conférence qui a été co-organisée le 24 mars 2021, dans le cadre de la Monaco Ocean Week, par Pascale Ricard[1] et Daria Vasilevskaia, CERIC, UMR DICE, en partenariat avec la Fondation Prince Albert II de Monaco.

Avant-propos

I. Des réponses juridiques nécessaires face à l’ubiquité et la persistance de la pollution plastique des océans : présentation de la problématique

Le plastique a été inventé en 1907 et sa production en masse a débuté dans les années 1940-1950[2]. En 1969, les scientifiques avaient déjà établi que les oiseaux marins ingéraient les déchets plastiques flottant dans les océans[3]. En 1972, certaines particules microplastiques (les sphérules de polystyrène) étaient signalées comme intégrant la chaîne alimentaire, après avoir été ingérées par les poissons dans les eaux côtières du sud de la Nouvelle-Angleterre[4].
Cette situation préoccupante depuis maintenant un demi-siècle témoigne du fait que les déchets de matières plastiques s’accumulent et envahissent progressivement les mers et océans. Ils sont visibles non seulement dans les espaces maritimes côtiers, mais aussi bien loin de ces derniers, là où l’être humain ne s’est pourtant – presque – jamais aventuré, dans les grands fonds marins internationaux ou les régions polaires[5]. Des gyres, parfois appelées de manière trompeuse « continents » de plastiques, formées par le biais des courants marins, sont observées au centre de chaque océan. Or, ces éléments ne constituent que la partie immergée de l’iceberg, puisque la plus grande partie de la pollution plastique qui se retrouve en mer est en fait quasiment invisible : elle est constituée de « micro » ou « nano » plastiques, c’est-à-dire de minuscules particules qui proviennent soit directement de certains produits (cosmétiques ou textiles par exemple), soit de la dégradation de « véritables » déchets plastiques, sous l’effet de leur transport fortuit jusqu’à la mer mais aussi des rayons UV ou de l’eau de mer.
Ces déchets, qui sont un mélange de macromolécules ou polymères et de produits chimiques, proviennent donc de sources très diverses : il s’agit, entre autres, de filets utilisés pour la pêche ou l’agriculture, de bouteilles et de toutes les catégories d’objets ou emballages à usage unique du quotidien, y compris de sacs et contenants pour nourriture, d’objets non jetables, de mégots de cigarettes, de microbilles provenant de produits cosmétiques exfoliants ou encore de textiles synthétiques, ainsi que de fragments de tous ces éléments qui résultent de la décomposition de ces déchets. Bien que l’on ne connaisse pas, à l’heure actuelle, les conséquences exactes de cette pollution dans leur totalité, elle constitue une véritable menace mondiale, pour les écosystèmes marins et l’ensemble des espèces vivantes[6]. Les particules de plastique, outre leur effet direct sur la biodiversité marine par ingestion ou étranglement, dont les effets sont déjà dévastateurs, sont aussi un important vecteur de maladies ou de dissémination de produits toxiques, en ce qu’ils contiennent parfois et attirent souvent des substances chimiques et additifs, y compris des perturbateurs endocriniens, qui viennent ajouter à ces dangers en termes sanitaires. Elles sont aussi, dans ce contexte, le support d’espèces invasives. L’ensemble du cycle de l’eau est concerné par la présence de ces déchets plastiques. Selon les estimations, ce sont en effet huit millions de tonnes de déchets par an qui finiraient leur vie dans les océans, ces derniers en contenant déjà cent-cinquante millions, dont plus de deux-cent-cinquante mille tonnes flotteraient à la surface[7].
Ces éléments de contexte désormais bien connus, qui seront également précisés dans certains articles du dossier dont l’entretien introductif réalisé avec l’océanographe Jean-François Ghiglione (« Pollutions plastiques : quelles solutions ? ») et sur lesquels il ne serait donc utile de s’attarder plus longuement, ont permis de mettre en évidence de manière utile la manière dont le droit peut se saisir de cet enjeu planétaire.
Il apparaît en effet que la prise en compte préalable des données scientifiques par les gouvernements et l’industrie du plastique, ainsi que la collaboration entre les différents acteurs et les différentes disciplines dans ce domaine pourraient réduire les effets néfastes de la pollution plastique. Le renforcement du rôle du droit en la matière est encore plus pertinent en ces temps de pandémie du coronavirus, la crise ayant non seulement accentué la pollution plastique des océans en ravivant l’utilisation des plastiques à usage unique, mais aussi révélé l’état préoccupant de l’industrie du traitement des déchets partout dans le monde (voir notamment la contribution de Kei Ohno Woodall et Jost Dittkrist, « The Basel Convention – A critical Tool to Tackle Plastic Waste », sur ce dernier point).

II. Le rôle fondamental des droits interne, comparé et européen : la nécessité d’agir à la source, véritable solution à la lutte contre la pollution plastique des océans

Tout d’abord, il est aujourd’hui largement admis que seule l’action « à la source », « from cradle to cradle », constitue LA véritable solution durable pour lutter contre la pollution plastique, y compris dans les océans. 80 % de la pollution plastique observée en mer provient en effet directement des activités terrestres : elle est déversée par le biais des littoraux, des rivières et des fleuves. La solution la plus efficace serait ainsi d’arrêter de produire, tout simplement, du plastique.
Un tel changement sociétal nécessite néanmoins du temps et une volonté politique forte, et doit être combiné à d’autres mesures dont l’augmentation des capacités de recyclage ou encore la recherche visant à développer des technologies et matériaux alternatifs. Sur l’ensemble de ces questions, de la nécessaire limitation de la production et de la consommation de plastique à la recherche et au développement, le droit interne et le droit européen sont en première ligne et jouent un rôle déterminant dans la lutte contre la pollution plastique. Sur ces questions liées à la manière dont les droits interne, comparé et européen, dont le développement est néanmoins confronté aux difficultés inhérentes à tout objectif de changement drastique des modes de production et de consommation, apparaissant donc nécessairement trop lent, les contributions d’Adélie Pomade (« Plastiques et environnement marin : des réponses juridiques pour des enjeux sociétaux ? Perspectives françaises et européennes »), d’Odeline Billant et Marie Bonnin (« Regulating plastic bags along the Atlantic coast: a numerical experiment in environmental law ») ainsi que l’entretien avec Ève Truilhé (« Pour une limitation effective de la pollution plastique : quelles pistes en droit de l’UE ? ») apporteront un éclairage actuel et pratique déterminant.

III. La prise en compte progressive et complémentaire du cycle de vie des déchets plastiques par le droit international

Ensuite, lorsque l’on s’intéresse au cycle de vie des déchets plastiques dans son ensemble, on observe que celui-ci est fondamentalement protéiforme et qu’une approche transfrontalière et transversale est nécessairement complémentaire à l’approche locale basée sur la question de la source. Le cycle de vie des déchets de matières plastiques comprend en effet toute une série d’étapes, de la production à la vente et l’utilisation du plastique, au transport, au recyclage ou à l’élimination des déchets. Les deux extrémités de ce cycle, la production et l’élimination, sont en outre parfois très éloignées l’une de l’autre dans le temps voire dans l’espace, surtout lorsqu’un processus de recyclage a eu lieu entretemps, ce qui rend particulièrement délicate l’organisation d’une traçabilité de ces déchets. L’ensemble des étapes du cycle a des conséquences sur la circulation transfrontière des déchets plastiques, que celle-ci soit fortuite (par le biais des rivières, fleuves et courants marins) ou volontaire (par le biais des échanges internationaux) et donc in fine sur la pollution des espaces maritimes.
Le droit international s’est ainsi saisi de la problématique de la pollution des océans par les déchets de matières plastiques selon ces différents angles. Dès les années 1970, c’est la dimension maritime de cette pollution qui a directement été appréhendée par les États dans le cadre de l’Organisation maritime internationale. Il s’agissait de prendre en compte la pollution générée par les filets de pêche, les ordures des navires et les autres déchets immédiatement rejetés en mer. Certes, ces derniers ne représentent « que » 20 % de la pollution totale des océans, 80 % de celle-ci provenant de la terre. Mais limiter cette source de pollution n’en reste pas moins nécessaire et significatif.
Progressivement et plus récemment, la question du commerce des déchets – en particulier lorsque ces derniers peuvent être qualifiés de déchets dangereux – a, elle aussi, attiré l’attention de la communauté internationale. Les déchets de matières plastiques peuvent en effet également être appréhendés comme des marchandises, généralement exportées par les pays industrialisés vers des États en développement en vue d’être recyclées, pour des raisons à la fois économiques et pratiques – les premiers n’ayant généralement pas développé la capacité de traiter ces déchets sur leur territoire. Depuis 1992, la Chine aurait ainsi importé environ 45 % des déchets plastiques mondiaux[8]. Cet aspect de la problématique a été illustré à partir de 2017 par le refus affirmé par la Chine, mais aussi d’autres États asiatiques, comme la Malaisie, la Thaïlande et l’Indonésie, de continuer à accepter d’importer les déchets plastiques provenant d’autres États, essentiellement pour des raisons sanitaires et environnementales[9]. Les Philippines ont même exigé que le Canada rapatrie des tonnes de déchets dont une partie, qui s’avérait non recyclable, avait été illégalement exportée, donnant lieu à une véritable crise diplomatique[10]. L’action globale s’est alors accélérée et le cadre juridique international s’est vu renforcé sur ces questions.
Sur cette prise en compte progressive du cycle de vie et du caractère protéiforme des déchets plastiques par le droit international, les articles de Sophie Gambardella (« L’Organisation maritime internationale et la lutte contre la pollution plastique des océans »), Jost Dittkrist et Kei Ohno Woodall (« The Basel Convention – A critical Tool to Tackle Plastic Waste ») ainsi que de Daria Vasilevskaia (« International and Regional Legal Framework Related to Trade in Plastic Waste ») permettront de souligner et de bien comprendre la contribution du droit international (ainsi que du droit européen) en la matière, en dépit et surtout en complément de la nécessaire prise en compte du problème à sa source.

IV. Les perspectives juridiques actuelles : quelle(s) forme(s) pour une approche plus globale et systémique du phénomène ?

Enfin, l’analyse de l’ensemble des éléments divers, fragmentés et complémentaires abordés dans ce dossier ne saurait être complète sans qu’il soit fait mention des discussions actuelles prenant place au sein de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement. Ces discussions ont d’abord consisté à étudier les différentes options qui pourraient favoriser une meilleure effectivité des règles existantes ainsi qu’une prise en compte plus adaptée des enjeux actuels liés à la pollution des mers par les déchets plastiques (objectifs en termes de production, recyclage, circulation transfrontière…), y compris de l’opportunité d’adopter un nouveau traité dédié à la pollution engendrée par ces déchets, accord qui se voudrait global, cohérent et complémentaire des instruments existants. L’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE), réunie pour sa cinquième session dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), a opté pour cette dernière option et a adopté, le 2 mars 2022, une résolution intitulée : « End of plastic pollution : Toward an international legally binding instrument » (UNEP/EA.5/Res.14). Sous le même format que pour les négociations relatives à la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité des zones maritimes internationales (« BBNJ »), l’ANUE créé un groupe de travail, dit « ad-hoc » et ouvert à tous, chargé de préparer le travail d’un comité intergouvernemental qui négociera la future convention dès la seconde partie de l’année 2022. La résolution précise, au premier paragraphe, l’ambition de terminer cette négociation d’ici fin 2024, ce qui paraît particulièrement ambitieux, sinon irréaliste. Néanmoins, la complexité et la globalité du phénomène de la pollution des océans par les déchets de matières plastiques limite la possibilité, pour celui-ci, de se voir aisément appréhendé par le droit, et l’option d’un nouveau traité international n’apparait pas forcément comme la plus efficace et la plus opportune ou pertinente, ce qui fera l’objet de la dernière publication du dossier proposée par Raphaël Maurel (« Libres propos sur l’actualité du droit international relatif à la lutte contre la pollution plastique des océans »).
Ainsi, ce dossier spécial nourrit la réflexion relative à la possibilité mais aussi l’opportunité, à l’heure actuelle, de développer une approche globale et systémique des enjeux liés à la lutte contre la pollution des océans par les déchets de matières plastiques.

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Avant-propos : Pascale Ricard

  1. Jean-François Ghiglione, entretien : « Pollutions plastiques : quelles solutions ? »

I. Le rôle fondamental des droits interne, comparé et européen : la nécessité d’agir à la source, véritable solution à la lutte contre la pollution plastique des océans

  1. Adélie Pomade, « Plastiques et environnement marin : des réponses juridiques pour des enjeux sociétaux ? Perspectives françaises et européennes ».
  2. Odeline Billant, Marie Bonnin, « Regulating plastic bags along the Atlantic coast: a numerical experiment in environmental law ».
  3. Ève Truilhé, entretien : « Pour une limitation effective de la pollution plastique : quelles pistes en droit de l’UE ? »

II. La prise en compte progressive et complémentaire du cycle de vie des déchets plastiques par le droit international

  1. Sophie Gambardella, « L’Organisation maritime internationale et la lutte contre la pollution plastique des océans ».
  2. Jost Dittkrist, Kei Ohno Woodall, « The Basel Convention – A critical Tool to Tackle Plastic Waste ».
  3. Daria Vasilevskaia, « International and Regional Legal Framework Related to Trade in Plastic Waste ».

III. Les perspectives juridiques actuelles : quelle(s) forme(s) pour une approche plus globale et systémique du phénomène ?

  1. Raphaël Maurel, « Libres propos sur l’actualité du droit international relatif à la lutte contre la pollution plastique des océans ».

Pascale Ricard, « Avant-propos », Confluence des droits_La revue [En ligne], 12 | 2022, mis en ligne le 16 décembre 2022. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=2020

[1] pascale.ricard@univ-amu.fr. L’auteure tient à remercier chaleureusement Daria Vasilevskaia, doctorante contractuelle au sein du CERIC (Aix-Marseille Université) et de l’Université de Melbourne, pour sa relecture et sa contribution à ces avant-propos et à la coordination de ce numéro spécial, en particulier sur les questions liées au transport et au commerce des déchets de matières plastiques qui sont l’objet de sa thèse.

[2] C. Thompson et al., “Our plastic age”, Philosophical Transactions of the Royal Society, n° 364, 2009, p. 1973-1976.

[3] K.W. Kenyon, E. Kridler, “Laysan Albatrosses Swallow Indigestible Matter”, The Auk, n° 86(2), 1969, p. 339-343.

[4] “White, opaque spherules are selectively consumed by 8 species of fish out of 14 species examined, and a chaetognath. Ingestion of the plastic may lead to intestinal blockage in smaller fish”, in Edward J. Carpenter et al. ‘Polystyrene Spherules in Coastal Waters’, Science, n° 178 (4062), 1972, p. 749-750.

[5] Voir notamment S. Chiba et al., “Human Footprint in the Abyss: 30 Years Records of Deep-sea Plastic Debris”, Marine Policy, vol. 96, 2018, p. 204-212.

[6] P. Villarrubia‐Gómez et al., “Marine Plastic Pollution as a Planetary Boundary Threat – The Drifting Piece in the Sustainability Puzzle”, Marine Policy, vol. 96, 2018, p. 217.

[7] F. Gallo et al., “Marine Litter Plastics and Microplastics and their Toxic Chemicals Components…”, op. cit., p. 2. Voir aussi M. Eriksen et al., “Plastic Pollution in the World’s Oceans: More than 5 Trillion Plastic Pieces Weighing over 250,000 Tons Afloat at Sea”, in PLOSone, December 10, 2014.

[8] A.L. Brooks et al., “The Chinese import ban and its impact on global plastic waste trade”, n° 4(6), Science Advances, 2018.

[9] En effet, des études ont mis en lumière le fait que les déchets ainsi exportés ne subissaient pas toujours le sort qui leur était promis : des bouteilles de lait françaises ont par exemple été retrouvées en Malaisie dans des décharges sauvages, témoignant de l’absence totale de contrôle et surtout de l’incapacité des pays asiatiques à traiter et recycler des quantités toujours croissantes de ces déchets. Voir le rapport de la Global Alliance for Incinerator Alternatives (GAIA), Discarded. Communities on the Frontlines of the Global Plastic Crisis, avril 2019, 45 p. Mais aussi la presse : « On a retrouvé votre bouteille de lait… dans une décharge sauvage en Malaisie ! », reportage vidéo de Konbininews et France Inter relayé notamment par V. Rebeyrotte, E. Chaverou et G. Philipps, « Plastique : la poubelle du monde se réorganise », France Culture, 22 juin 2019.

[10] Voir J. Blanchet-Gravel, « Guerre des poubelles : après les Philippines, la Malaisie rabroue le Canada », Sputnik, 30 mai 2019. Les déchets ont, après six ans de stockage au port de Manille, été ramenés au Canada (AFP, « Canada : retour depuis les Philippines de déchets après une longue crise », Sciences et Avenir, 29 juin 2019).

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