Jean-François Ghiglione, Directeur de recherche CNRS, Laboratoire d’Océanographie Microbienne (LOMIC) UMR7621, Banyuls-sur-mer. Directeur scientifique des expéditions de la Fondation Tara sur les micro-plastiques. Co-fondateur de la société Plastic@Sea
En quoi consistent vos recherches actuelles et vos travaux sur la question de la pollution plastique des océans ?
Nous travaillons actuellement sur la quantification et la caractérisation des plastiques, mais aussi sur les microorganismes qui vivent à leur surface, qu’on a appelés la ‘plastisphère’. Nous avons montré que cette plastisphère est composée d’une grande diversité de microorganismes qui sont très différents de ceux qui vivent dans l’eau de mer, y compris les microorganismes attachés aux particules organiques naturelles. Sont-ils pathogènes ? Sont-ils impliqués dans la biodégradation des microplastiques ? Ce sont les questions que nous explorons actuellement.
Qu’a permis de révéler l’expédition de la Fondation Tara que vous avez dirigée sur les micro-plastiques ? La pollution invisible des océans par les micro-plastiques n’est-elle pas encore plus importante, néfaste et délicate à appréhender que la pollution par les macro-déchets ?
La mission Microplastiques 2019 soutenue par la fondation Tara Océan a été déployée sur 9 des plus grands fleuves européens (Tamise, Rhin, Seine, Loire, Garonne, Ebre, Elbe, Tibre, Rhône). À chacun des échantillonnages réalisés en mer, à l’embouchure et au-dessus ou en-dessous d’une grande ville, nous avons trouvé du plastique. 100 % des échantillonnages en contenaient. Et parmi ces plastiques, nous avons trouvé que les microplastiques (de taille <5mm) étaient largement majoritaires. Ce résultat majeur indique que le nettoyage des fleuves ne permettrait pas d’éliminer les plastiques, puisque la plupart sont de trop petite taille pour être collectés.
D’où viennent principalement les déchets plastiques et micro-plastiques qui se retrouvent dans les océans ? Dans quelle mesure ces derniers se transforment-ils au contact de l’eau et du soleil, et représentent-ils un danger latent pour la faune et la flore marines ainsi que pour l’homme ?
On estime que 80 % des plastiques viennent du continent. Et les résultats de la mission Microplastiques 2019 indiquent qu’ils sont en grande majorité sous forme de microplastiques. Ces microplastiques proviennent essentiellement de la fragmentation des déchets, qui s’opère sous l’action de l’abrasion et des ultraviolets. Le temps de vie des plastiques étant de plusieurs dizaines d’années, les déchets ont le temps de se transformer en microplastiques avant d’arriver en mer. La compréhension de ces processus de fragmentation est un des enjeux du projet.
Aujourd’hui, on considère que tous les échelons de la chaîne alimentaire ingèrent des plastiques. Plus de 400 000 mammifères marins et 1,4 million d’oiseaux marins meurent de l’ingestion de plastique chaque année. Et la moitié des organismes marins qui ingèrent des plastiques font partie de l’alimentation humaine.
Certains scientifiques affirment que les prochaines pandémies pourraient provenir de cette pollution plastique, pensez-vous que ce soit possible ?
Nous avons trouvé jusqu’à présent des bactéries potentiellement pathogènes d’animaux qui peuvent constituer une bonne proportion des microorganismes qui vivent sur les plastiques. Mais leur pathogénicité n’a encore jamais été révélée, puisque nous ne savons pas si des animaux peuvent être malades après avoir ingéré ces plastiques. La question sur le transport d’organismes pathogènes (bactéries et/ou virus) reste une question ouverte. Nous trouvons des microplastiques partout, y compris dans l’air que nous respirons. Mais de là à dire qu’ils peuvent être des vecteurs suffisant pour de prochaines pandémies, nous n’en savons rien. Personnellement, j’en doute.
Quelles sont, pour vous, les options et solutions véritablement exploitables et utiles en matière de pollution plastique des océans ?
Un article scientifique publié l’année dernière indiquait que si nous ne faisons rien de plus qu’aujourd’hui dans la gestion des déchets, la pollution en mer serait encore augmentée par 3 % d’ici 2040. Inversement, une politique volontariste conduirait à une réduction de 80 % ! Ça signifie que nous avons tout dans les mains pour résoudre cette pollution. Trois acteurs clés sont cités dans cet article qui valide le principe de l’économie circulaire : (1) le recyclage, qui n’arrive pas aujourd’hui à faire face à la quantité de déchets que nous générons (15 % des déchets sont effectivement recyclés en France), (2) le comportement des consommateurs qui doivent réduire leur consommation de produits à usage unique et de produits emballés tout en s’attachant à jeter leurs déchets dans la poubelle (10 % des déchets finissent aujourd’hui en mer), (3) l’offre des industriels qui doit évoluer en concertation avec les directives gouvernementales et l’innovation. C’est sur ce dernier aspect de l’innovation que les scientifiques doivent avancer en concertation avec les industriels.
Que pensez-vous des solutions consistant à « nettoyer » les océans, en aspirant ou récoltant les déchets plastiques pouvant être récoltés ?
Malheureusement, il est impossible de nettoyer les plastiques présents dans les Océans. Ils sont partout et une grande partie est sous forme de microplastiques qu’on ne peut pas récolter. Inutile donc de mettre des moyens dans ce sens à mon avis, tous les moyens doivent être mis en amont, dans l’économie circulaire. Passer le message qu’on peut nettoyer les Océans est faux, et en plus ce message donne l’impression qu’on peut continuer à jeter, que quelqu’un nettoiera. Il y a l’équivalent d’un camion-benne par minute qui est jeté dans les Océans. C’est en amont de leur arrivée en mer que les efforts doivent être dirigés. Est-il nécessaire d’emballer ce concombre pour y mettre le logo Bio ? Ne ferais-je pas mieux d’aller au marché pour favoriser la consommation de produits locaux qui est bien moins gourmande en emballage ? Ai-je besoin de savon liquide emballé de plastique alors qu’un savon solide a les mêmes propriétés ? Suis-je conscient que des microbilles de plastique sont ajoutées à bon nombre de produits cosmétiques que je mets quotidiennement ?
N’est-il pas trop tard pour agir et connait-on les conséquences que pourrait potentiellement avoir à long terme cette pollution plastique des océans ?
Au contraire. C’est le bon moment pour changer, et je dirai que tous les voyants sont au vert. Nous avons joué notre rôle de donneur d’alerte en indiquant que nos déchets plastiques avaient envahi tous les écosystèmes de la planète. Et l’homme ingère également des plastiques, avec des effets encore peu connus. Le gouvernement, les industriels et les consommateurs ont réalisé les dangers à l’utilisation de ce matériau miracle. Le plastique a des propriétés fantastiques, mais il doit être utilisé plus intelligemment. Pourquoi utiliser un matériau fait pour durer pour en faire des objets à usage unique et de l’emballage ? Le message est passé et je pense que la prise de conscience est forte. Les solutions existent. Il va simplement falloir du temps pour arriver à une gestion durable de l’utilisation du plastique.
Le cadre réglementaire actuel, en France ou à l’échelle européenne voire internationale, vous semble-t-il utile et satisfaisant en matière de lutte contre la pollution plastique des océans ? Que pensez-vous des discussions actuelles relatives à l’adoption d’un nouveau traité international en la matière ?
Le gouvernement français et les traités internationaux vont dans le bon sens. Il reste néanmoins indéniable que des lobbies importants pèsent encore sur les décisions et retardent les applications. Le gouvernement ne doit pas être le seul acteur, puisque le consommateur et les industriels ont leur part à jouer dans cette crise environnementale. Je parle souvent de ‘transition plastique’, parce que ces changements vont prendre du temps.
Quel est aujourd’hui le rôle de la recherche scientifique, à la fois en sciences « dures » et en sciences sociales, dans le cadre de cette lutte contre la pollution plastique ?
Nous agissons à plusieurs niveaux. À la fois comme donneur d’alerte de la condition de pollution de l’environnement, et aussi dans l’innovation pour proposer des solutions durables à l’utilisation des plastiques. Nous sommes impliqués à la fois au niveau du gouvernement pour l’élaboration de différentes directives au niveau national et international, de différentes organisations non-gouvernementales, et nous sommes en lien avec des industriels impliqués vers des solutions plus durables. Il est important que les scientifiques soient en lien avec les différents acteurs de cette transition plastique.
Jean-François Ghiglione, « Entretien – Pollutions plastiques : quelles solutions ? », Confluence des droits_La revue [En ligne], 12 | 2022, mis en ligne le 16 décembre 2022. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=2075