Philippe Blachèr – Moi, présidente de la République…

Philippe Blachèr
Professeur de droit public, Université Lyon III

Imaginons que la candidate au second tour de l’élection présidentielle s’amuse à reprendre l’anaphore prononcée par François Hollande en 2012 ? Que pourrait-elle dire en tant que candidate ? Quelle vision de la Ve République pourrait-elle donner ?

Let’s imagine that the candidate in the second round of the presidential election were to take pleasure in repeating the anaphora pronounced by François Hollande in 2012? What could she say as a candidate? What vision of the Fifth Republic could she give?


Dans un voyage en uchronie,
Que je fais lorsque je m’ennuie,
J’ai imaginé un contexte,
D’une femme qui changeait son texte,
Qui revivait l’étrange drame,
D’être candidate.

Michel S., « Être une candidate », 1981.

Avril 2027. Débat d’entre-deux-tours de l’élection présidentielle opposant Gabriel Attal, candidat du mouvement Grande Alliance, à Ségolène Royal, gagnante des primaires de la gauche unie.

22 h 13.

Alain Duhamel : Quelle présidente comptez-vous être ? »

Ségolène Royal : Nous sommes sous la Ve République ! La réforme du quinquennat puis l’inversion du calendrier électoral m’incitent à penser qu’une présidente de la République veut être la présidente de tout, chef de tout et responsable de tout.

Il y a une dizaine d’années, Emmanuel Macron, votre mentor cher Gabriel, rappelait en pleine affaire Benalla « On ne peut pas être chef par beau temps ! S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher. Et ce responsable, il répond au peuple français, au peuple souverain. »

Alors je vous le dis, très calmement, car il y a des postures apaisées qui sont parfaitement saines, des attitudes sereines que j’aurai lorsque je deviendrai la présidente de la République, parce que je connais les efforts qu’ont faits les prédécesseurs pour maintenir la force de la Ve République. Et en matière institutionnelle, je ne laisserai pas l’immoralité politique et l’inconscience des admirateurs du régime d’assemblée reprendre le dessus.

Alors…

Moi présidente de la République, je serai le chef de la majorité, car je compte bien modifier les modes de scrutin afin de m’assurer d’en disposer d’une ; je recevrai les parlementaires de la majorité à l’Élysée, comme l’ont fait régulièrement François Hollande et Emmanuel Macron.

Moi présidente de la République, je traiterai mon Premier ministre de collaborateur. N’est-ce pas Nicolas Sarkozy qui proclamait en 2007 « Le Premier ministre est un collaborateur. Le patron, c’est moi ! » ? Ou François Hollande qui déclarait à propos de Manuel Valls, son deuxième Premier ministre : « Valls est un combattant, mais il suit les directives et les orientations décidées par le président de la République ». D’ailleurs, dans Les leçons du pouvoir, François écrit : « Le président nomme le Premier ministre, il le remplace quand il le juge nécessaire ». Quant à Emmanuel Macron, on sait qu’il a indiqué en off, au cours de la campagne 2022, à propos d’Édouard Philippe : « Il me doit tout et il pense qu’on est égaux ».

Moi présidente de la République, je collecterai des fonds pour mon propre parti puisque les règles de financement et le code électoral ne me l’interdisent pas. D’ailleurs, en 2016 le candidat de votre camp, cher Gabriel, n’a-t-il pas réussi à rassembler plus de 15 millions d’euros de dons pour créer En Marche, devenu aujourd’hui Grande Alliance ? La stratégie fundraising reste incontournable pour prétendre remporter l’élection présidentielle puisque le projet d’une Banque de la démocratie a été enterré, même si l’ancien Premier ministre François Bayrou, en 2025, croyait encore à ce gadget !

Moi présidente de la République, je ne ferai pas fonctionner la justice de manière indépendante. L’indépendance de la justice, c’est le gouvernement des juges ! En démocratie, le peuple doit retrouver son ascendant sur le pouvoir judiciaire. Les juges ne se convertiront pas spontanément au « self restraint ». Je nommerai donc un Conseil supérieur de la magistrature rénové. Je m’opposerai à ce que le parquet devienne indépendant, car un parquet indépendant empêche l’exécutif de conduire sa politique pénale. Je m’inscrirai en continuité avec la règle selon laquelle un ministre mis en examen reste au gouvernement.

Moi présidente de la République, j’aurai la prétention de peser sur la nomination des directeurs de chaînes de télévision publique en plaçant à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel une personnalité qui m’écoutera. Car, comme l’a si bien dit le président sortant en 2018 : « l’audiovisuel public est la honte de la République ». Il est temps de mettre fin à la redevance publique qui finance des programmes dont les Français se moquent. Dans La belle époque, Franz-Olivier Giesbert écrit « Il sera beaucoup pardonné à Giscard pour avoir été le président sous lequel la deuxième chaîne de télévision publique a lancé Apostrophe, l’émission culte de Bernard Pivot. ». Et bien je pense qu’il ne sera sans doute pas pardonné à François Hollande d’avoir été le président sous lequel en 2010 la chaîne de télévision publique France 4 a lancé l’émission culte de Cyril Hanouna Touche pas à mon poste.

Moi présidente de la République, je ne ferai pas en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire. Il est sain pour un chef de l’État de pouvoir dire franchement les choses, y compris grossièrement. « Si Monaco nous emmerde, disait le Général en 1962, on fait un blocus ; rien de plus facile, il suffit de deux panneaux de sens interdit, un au Cap-d’Ail et un second à la sortie de Menton ». Et le président Macron n’a-t-il pas prononcé récemment : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ».

Moi présidente de la République, j’aurai aussi à cœur de défendre le statut pénal du chef de l’État, comme les prédécesseurs qui ne l’ont pas réformé. Je le renforcerai pour éviter les procès et les condamnations des anciens présidents de la République. Car quelle indignité…

Moi présidente de la République, je poursuivrai la pratique des gouvernements non paritaires. Oh bien sûr, j’afficherai, comme la pratique nous y invite, une parité de slogan en nommant autant de femmes que d’hommes dans mon équipe gouvernementale. Mais en réalité les portefeuilles régaliens resteront détenus par des hommes tandis que les secrétariats d’État seront féminins.

Moi présidente de la République, je supprimerai le code de déontologie des ministres, qui ont inévitablement des conflits d’intérêts sains. Comment poursuivre la défense des choix politiques d’un camp lorsqu’on est ministre tout en étant bridé par des règles qui cherchent à imposer une neutralité dans les comportements ? En démocratie, l’intérêt général n’est-il pas façonné et orienté par le peuple souverain qui s’est exprimé lors des élections ? La seule déontologie qui s’impose est la solidarité ministérielle. Elle est résumée par la première phrase de la circulaire du 24 mai 2017 d’Édouard Philippe relative à une méthode de travail gouvernementale exemplaire : « À la suite de l’élection du président de la République, le gouvernement va engager la mise en œuvre rapide du programme approuvé par les Français ».

Moi présidente de la République, les ministres pourront cumuler leur fonction avec un mandat local. D’ailleurs, cette règle n’a jamais disparu. Il n’est pas interdit à un membre du gouvernement d’être un élu local ou même de devenir maire. Des ministres se sont ainsi présentés lors des élections municipales de 2020 ou de 2026 sans susciter la réprobation générale. On a même connu entre 2015 et 2017, un ministre de la défense qui présidait en même temps la région Bretagne. L’accuse-t-on d’avoir été ministre à mi-temps ?

Moi présidente de la République, je ne ferai pas un nouvel acte de la décentralisation. Ce dont les collectivités locales ont besoin, ce sont de nouvelles compétences et de nouvelles libertés. Or la décentralisation est un leurre ; elle reste une politique de l’État, une technique d’aménagement de la centralisation.

Moi présidente de la République, je ferai en sorte que les partenaires sociaux ne me rencontrent pas. Je ne souhaite pas être trahi par un leader syndical comme le furent les précédents hôtes de l’Élysée.

Moi présidente de la République, je n’engagerai pas de grand débat. On a vu leur inutilité. Sur quoi a débouché le grand débat national de 2019 ? Que serait un Conseil national de la refondation récemment évoqué dans les réunions interministérielles ?

Moi présidente de la République, je protègerai la démocratie en redonnant aux Français, si je l’estime nécessaire, le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Comme disait le président sortant : « Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires. C’est un temps de clarification indispensable. » Une clarification saine est une boussole pour le chef de l’État, en charge de fixer le cap !

Moi présidente de la République, je m’occuperai du quotidien des Français, je serai une présidente qui gouverne… Une présidente normale selon la logique de la Ve République.


Philippe Blachèr, « Moi, présidente de la République… », Petites et grandes uchronies de droit public. Penser et voir le droit autrement [Dossier], Confluence des droits_La revue [En ligne], 11 | 2025, mis en ligne le 17 novembre 2025. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=4608.

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