S. Gambardella – L’Organisation maritime internationale et la lutte contre la pollution des océans par les plastiques

Sophie Gambardella, Chargée de recherche CNRS, Aix Marseille Univ, Université de Toulon, CNRS, DICE, CERIC,
Aix-en-Provence, France

« Soupe de plastique », « vortex de déchets », « 7e continent », les expressions pour nommer les 80 000 tonnes de déchets qui occupent 1,6 million de km2 du Pacifique prolifèrent. Face à ce phénomène, les organisations internationales de protection de l’environnement marin se mobilisent pourtant et parfois même depuis longtemps, comme en atteste l’action de l’Organisation maritime internationale en la matière. L’OMI a été créée en 1958 pour renforcer la sécurité maritime[1]. Elle a donc, dans un premier temps, concentré l’ensemble de ses efforts à la révision de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS)[2]. Toutefois, divers évènements à partir de la fin des années 1960 vont peu à peu conduire l’OMI à étendre son mandat à la lutte contre la pollution par les navires. Tout d’abord, à cette époque, se prépare la première grande Conférence sur l’environnement, qui se tiendra à Stockholm en 1972. Dans le cadre des préparatifs de cette conférence, la lutte contre les pollutions du milieu marin est inscrite à l’ordre du jour[3]. À cette occasion, le constat de l’insuffisance de données scientifiques fiables et disponibles sur le milieu marin conduit à l’établissement d’un Groupe mixte d’experts chargé d’étudier les aspects scientifiques de la protection de l’environnement marin (GESAMP) en 1969, en vue de conseiller les organismes des Nations Unies sur les aspects scientifiques de la protection du milieu marin[4]. Ensuite, corrélativement à ces frémissements institutionnels vers une émergence d’un droit international de l’environnement marin, plusieurs grandes catastrophes environnementales se produisent, durant la même période, en mer comme l’accident du Torrey Canyon en 1967 ou encore de l’Amoco Cadiz en 1978. Ainsi, l’OMI, déjà consciente des risques de pollution encourus par le milieu marin face notamment à l’augmentation du volume d’hydrocarbures transportés par voie maritime et aux dimensions toujours plus colossales des pétroliers, a adopté, à cette époque, un véritable arsenal juridique afin de juguler ces risques. S’appuyant sur la définition communément admise de l’expression « pollution du milieu marin »[5], l’OMI a adopté, en 1972 et 1973, deux textes qui demeurent encore aujourd’hui les textes de référence du droit international de la lutte contre les pollutions du milieu marin par les navires : la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets[6] et la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires dite Convention MARPOL[7]. Au début, l’OMI s’est concentrée principalement sur la pollution des océans par les hydrocarbures[8] et les substances chimiques[9] puis très rapidement une annexe V à la Convention MARPOL a été adoptée pour lutter contre la pollution par les ordures provenant des navires[10]. À cette époque, la question de la pollution des océans par les plastiques ne fait pas l’objet d’une attention particulière dans cette annexe à la Convention ni même plus globalement au sein de l’OMI et ce pour deux raisons principales. Tout d’abord, il est un fait bien établi désormais que seuls 20 % de la pollution des océans par les plastiques provient des activités maritimes et que les 80 % restants proviennent des activités terrestres. Or, l’OMI a pour mission « de faire en sorte, par le biais de la coopération, que le secteur des transports maritimes soit sûr, sans danger, respectueux de l’environnement, efficace et durable »[11], elle n’a donc pas vocation à encadrer les activités humaines sur terre. Ensuite, jusqu’à récemment les données scientifiques sur la pollution des océans par les plastiques demeuraient très incomplètes et surtout aucune synthèse de la littérature scientifique sur le sujet n’avait été réalisée à l’échelle internationale, ce qui a, sans conteste, freiné l’inscription de cette question à l’ordre du jour de nombreuses organisations internationales.

Il faut, en effet, attendre la décennie 2010, pour que les premières grandes évaluations scientifiques sur les effets du plastique dans le milieu marin soient réalisées à l’échelle internationale. Le GESAMP, qui avait tenu, à Paris, en 2010, un atelier international sur les micro-plastiques avait souligné, dans ses conclusions, le besoin d’une évaluation plus approfondie, complète, indépendante et globale des sources, du devenir et des effets des micro-plastiques dans l’environnement. Dans la continuité de ce travail, le Groupe d’experts a constitué, en 2012, un groupe de travail, appelé Groupe de travail 40 (WG40), pour réaliser une évaluation mondiale en ce sens. Lors de la première phase de son travail, le WG40 avait été dirigé par la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (COI) et avait reçu un soutien financier supplémentaire à la fois de Plastics Europe et de l’American Chemistry Council. L’investissement financier de ces deux grandes associations professionnelles de l’industrie du plastique dans ce projet s’inscrivait dans la continuité de la Stratégie d’Honolulu, adoptée lors de la 5e Conférence internationale sur les débris marins en 2011. En 2015, le WG40 a publié la première partie de son évaluation mondiale. La seconde partie a, quant à elle, été publiée en février 2017 et a confirmé qu’une contamination par les microplastiques avait été constatée sur des dizaines de milliers d’organismes et plus de cent espèces marines. Lors de la deuxième phase de son travail, le WG40 a été codirigé par la COI-UNESCO et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Le mandat du WG40 a été étendu pour inclure toutes les catégories de taille de déchets marins. Ce travail a abouti à la production d’un ensemble de lignes directrices pour le suivi et l’évaluation des déchets plastiques, y compris les microplastiques qui ont été adoptées lors de la 4e Assemblée des Nations Unies pour l’environnement tenue en mars 2019.

La mobilisation de la communauté scientifique sur la question de la pollution des océans par les plastiques, à l’échelle internationale, est donc relativement récente alors même que l’OMI a adopté depuis très longtemps des règles visant à lutter contre ce type de pollution provenant des navires. L’OMI peut, en effet, être considérée comme l’organisation pionnière dans ce domaine dans la mesure où la lutte qu’elle mène depuis les années 70 contre la pollution par les déchets provenant des navires a englobé de fait la lutte contre la pollution par les plastiques des océans (I.). Plus récemment, sous l’impulsion des différentes enceintes internationales qui se saisissaient de la question de la lutte contre la pollution des océans par les plastiques de manière spécifique, l’OMI a elle aussi pensé cette source de pollution de manière distincte des autres sources de pollution et a adapté de fait son action en conséquence (II). Cette courte contribution aura donc pour seule ambition de faire une cartographie à la fois du droit existant au sein de l’OMI qui contribue à la lutte contre la pollution des océans par les plastiques, mais aussi du droit en construction dans ce domaine.

I. L’intégration de la lutte contre la pollution des océans par les plastiques au sein du régime juridique de lutte contre la pollution par les déchets de l’OMI

Le cadre juridique initial de la lutte contre la pollution des océans par les déchets au sein de l’OMI Comme nous l’avons évoqué en introduction de nos propos, le cadre juridique de la lutte contre la pollution par les déchets au sein de l’OMI est constitué de deux conventions dont les dispositions s’appliquent aussi à la pollution des océans par les plastiques. La première de ces conventions est la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets qui compte actuellement 87 États parties et son Protocole de 1996 qui en compte actuellement 53. Le nombre d’États parties à ces textes peut sembler faible. Toutefois, il représente quasiment 60 % du tonnage de la flotte mondiale pour la Convention et 40 % pour le Protocole, ce qui peut déjà assurer un certain degré d’efficacité aux mesures si celles-ci sont mises en œuvre. La Convention et son Protocole interdisent l’immersion des « plastiques non destructibles et autres matières synthétiques non destructibles, par exemple les filets et les cordages, susceptibles de flotter ou de rester en suspension dans la mer de telle façon qu’ils constituent une gêne matérielle à la pêche, la navigation ou aux autres utilisations légitimes de la mer »[12]. Ainsi, tout rejet délibéré en mer de matière plastique provenant ni de l’exploitation normale de navires, aéronefs, plates-formes et autres ouvrages placés en mer ni de l’exploration, de l’exploitation et du traitement en mer des ressources minérales provenant du fond des mers est interdit. Plus récemment, les délégations du Pacifique ont demandé au groupe scientifique de la Convention et du Protocole de travailler plus spécifiquement sur la question de l’élimination des navires en fibre de verre et notamment sur la gestion en fin de vie des navires en plastique renforcé de fibres, et sur les solutions autres que l’élimination en mer. Une déclaration de préoccupation en ce sens a été adoptée[13]. Le rejet en mer des déchets plastiques provenant de l’exploitation normale de navires, aéronefs, plates-formes et autres ouvrages placés en mer sont, quant à eux, couverts par la seconde convention de l’OMI de lutte contre la pollution du milieu marin par les déchets : la Convention MARPOL 73/78. Les dispositions de la Convention s’appliquent aussi bien aux pollutions liées à l’exploitation normale des navires qu’aux accidents. La Convention MARPOL réunit aujourd’hui 159 États parties, ce qui représente 98,95 % du tonnage de la flotte mondiale. La Convention s’appuie sur six annexes techniques[14]. En ce qui concerne la pollution des océans par les plastiques, elle est encadrée par l’Annexe V de la Convention relative à la prévention de la pollution par les ordures des navires. Cette annexe a été ratifiée par 154 États ce qui représente 98,56 % de la flotte mondiale. Ainsi, si l’ensemble des États parties à la Convention ainsi que les navires battant leur pavillon mettaient en œuvre l’ensemble de leurs obligations découlant cette Annexe, la contribution de ce texte à la réduction de la pollution des océans par les plastiques provenant du transport maritime pourrait se révéler importante. Cette annexe a posé, dès 1988, l’interdiction de l’évacuation en mer de tous types d’ordures, y compris toutes les matières plastiques, provenant des navires et des plateformes fixes ou flottantes, sauf dans les cas explicitement autorisés dans l’Annexe – par exemple, les déchets alimentaires ou autres matières organiques qui ne sont pas nuisibles pour le milieu marin. Par ailleurs, l’annexe a désigné huit zones spéciales – la mer Méditerranée, la mer Baltique, la mer Noire, la mer Rouge, la zone des Golfes, la mer du Nord, la région des Caraïbes comprenant le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes, et la zone de l’Antarctique[15] – dans lesquelles cette obligation doit être renforcée. Plus récemment, l’Annexe V de la Convention MARPOL 73/78 a été révisée de telle manière que la pollution des océans par les plastiques est apparue comme une nouvelle source de pollutions du milieu marin méritant une attention particulière.

L’Annexe V révisée de la Convention MARPOL 73/78 – En 2006, l’Assemblée générale des Nations Unies a invité l’OMI à examiner l’annexe V de la Convention MARPOL 73/78 afin d’en évaluer l’efficacité par rapport aux problèmes des sources marines de débris marins tout en saluant le travail que continue d’effectuer l’OMI dans le domaine des installations portuaires de collecte des déchets[16]. En mars 2006, le Comité de la protection du milieu marin (MEPC) de l’OMI a constitué un groupe de travail en ce sens qui a abouti à l’adoption en 2011 de l’Annexe V révisée à la Convention de MARPOL 73/78[17]. En 2012, à sa 63e session, le MEPC a, par ailleurs, adopté des Directives pour la mise en œuvre de l’Annexe V de MARPOL ainsi que des Directives pour l’élaboration des plans de gestion des ordures. Alors que dans l’ancienne Annexe V à la Convention, l’interdiction du rejet en mer des matières plastiques découlait implicitement de l’interdiction générale d’évacuation en mer de tous types d’ordures, dans l’Annexe V révisée, l’interdiction de rejet en mer des matières plastiques est expressément mentionnée dans le libellé de la règle 1.9 de l’Annexe. Par ailleurs, la règle 1.13 de l’Annexe définit la matière plastique comme :

« un matériau solide qui contient comme ingrédient de base un ou plusieurs polymères de masse moléculaire élevée et qui est mis en forme, soit lors de la production des polymères, soit lors de la transformation, à chaud et/ou sous pression, en un produit fini. Les matières plastiques possèdent toute une gamme de propriétés physiques allant de dures et friables à molles et élastiques. Aux fins du présent chapitre, ‘toutes les matières plastiques’ désigne toutes les ordures qui sont ou comprennent des matières plastiques sous une forme ou sous une autre, y compris les cordages et les filets de pêche synthétiques, les sacs à ordures en matière plastique et les cendres de matières plastiques incinérées ».

Par ailleurs, le régime juridique mis en place par l’annexe V révisée à la Convention MARPOL ne se limite pas à une interdiction de rejets en mer des ordures, il met aussi à la charge des propriétaires de navires et des États, une série d’obligations positives. En ce qui concerne les propriétaires des navires, ils doivent avoir à bord un registre des ordures pour les navires d’une jauge brute supérieure ou égale à 400 tonneaux ou autorisés à transporter 15 personnes ou plus, et pour toute plate-forme fixe ou flottante[18] ; un plan de gestion des ordures pour les navires d’une jauge brute supérieure ou égale à 100 tonneaux ou autorisés à transporter 15 personnes ou plus, et pour toute plate-forme fixe ou flottante[19] ; des affiches disposées à différents endroits sur les navires de 12 mètres de longueur ou plus, et sur toute plate-forme fixe ou flottante[20]. En ce qui concerne les États, la première obligation qui leur incombe est de mettre à disposition des navires des installations portuaires de réception des ordures adéquates. En effet, l’effectivité de la règle de l’interdiction générale de rejets des ordures en mer dépend étroitement de la mise à disposition par les États, et notamment par les États du port, de ce type d’installation. Or, dès 2006, le MEPC, faisant le constat de l’inadéquation présumée des installations de réception portuaires, a adopté un plan d’action pour surmonter cette difficulté qui a débouché sur la publication d’un Guide de bonnes pratiques ; sur l’établissement d’un formulaire de notification préalable et d’un formulaire de réception de déchets normalisé afin d’éviter les retards pour les navires et d’assurer une uniformité à l’échelle mondiale ainsi que sur la création d’une base de données sur les installations de réception portuaires (PRFD) accessible au public. Enfin, la règle 9 de l’Annexe V révisée met à la charge de l’État du port la procédure de contrôle du respect par un navire des normes d’exploitation relatives aux rejets des ordures[21] par le biais d’inspection. Ainsi, les obligations positives mises à la charge des propriétaires de navires ont notamment pour objectif de permettre le contrôle par l’État du port du respect de l’interdiction générale de rejets des ordures en mer imposée par l’Annexe V à la Convention MARPOL 73/78.

Le contrôle de la mise en œuvre des obligations de l’Annexe V de la Convention MARPOL 73/78 – Le contrôle de la mise en œuvre des obligations de l’Annexe V de la Convention MARPOL 73/78 est effectué, à titre principal, par le biais d’inspections réalisées par l’État du port. Toutefois, il est rare de constater, lorsqu’un navire se trouve dans un port, une violation des obligations de l’Annexe V à la Convention MARPOL 73/78. En effet, ces infractions ont lieu bien souvent en mer et les preuves de telles infractions sont difficiles à fournir. Contrairement aux nappes d’hydrocarbures qui sont visibles par observation aérienne, le rejet de plastique en mer est malheureusement plus délicat à constater au moment où il est effectué. De plus, lorsque l’infraction est avérée soit celle-ci est commise dans une zone sous juridiction nationale et relèvera de la loi et de la compétence des tribunaux de l’État côtier ; soit celle-ci est commise en haute mer et relèvera de la loi et de la compétence des tribunaux de l’État du pavillon. Or, la pratique des pavillons de complaisance est malheureusement encore très développée, ce qui assure bien souvent l’impunité aux propriétaires et capitaines des navires incriminés. Enfin, la Convention MARPOL 73/78 renvoie le soin aux États de définir les sanctions encourues en cas de violation des dispositions de l’Annexe V ce qui conduit à des situations très disparates en fonction des États. La France, pour sa part, prévoit à l’article L218-15 du Code de l’environnement un an d’emprisonnement et 200 000 € d’amende pour tout capitaine d’un navire qui se rendrait coupable d’infractions aux dispositions des règles 3, 4 et 5 de l’annexe V de la convention MARPOL. Reste que dans d’autres États, les peines encourues sont bien moins dissuasives. Interpol, dans son Manuel à l’usage des enquêteurs sur les Rejets illicites de déchets par les navires, prend l’exemple de trois actions en justice qui ont abouti à la condamnation des propriétaires de navire pour violation des dispositions de l’Annexe V de la Convention MARPOL 73/78[22] : l’affaire États-Unis contre Target Ship Management et Prastana Taohim[23] ; l’affaire Australian Maritime Safety Authority contre Dynamic Ocean SA[24] et ; l’affaire États-Unis contre Ronald Cook (Dunes Marina Resort and Casino, Inc)[25]. Or, l’examen de ces trois affaires montre que les sanctions sont très variables d’un État à l’autre, d’une simple amende en Australie à de la prison ferme aux États-Unis. Par ailleurs, Interpol note aussi que les sanctions dépendent, très largement, de la qualité et de la quantité des preuves à apporter pour établir les faits, ce qui est toujours très délicat dès que les actes illicites ont lieu en mer.

II. La particularisation de la lutte contre la pollution des océans par les plastiques au sein de l’OMI

Le plan d’action de l’OMI ciblé spécifiquement sur la question de la pollution des océans par les plastiques – L’année 2018 a marqué un tournant au sein de l’OMI dans la lutte contre la pollution des océans par les plastiques. En effet, à sa 72e session, le Comité de protection du milieu marin de l’OMI, après avoir rappelé qu’il convenait de trouver une solution mondiale au problème de la pollution des océans par les plastiques dans le cadre de la gouvernance des océans en vue d’atteindre la cible de l’ODD 14[26], décide d’inscrire à son agenda biennal pour la période 2018-2019, comme objectif, l’« élaboration d’un plan d’action pour traiter la question des déchets plastiques marins provenant des navires ». Un an plus tard, le plan d’action est adopté[27]. Le mécanisme fixe des objectifs précis, tels que réduire les déchets plastiques rejetés dans le milieu marin par des navires de pêche, diminuer la contribution des transports maritimes aux déchets plastiques présents dans le milieu marin, ou encore améliorer l’efficacité des installations de réception portuaires et des méthodes de traitement visant à réduire les déchets plastiques présents dans le milieu marin, tout en détaillant une série de mesures à adopter pour réaliser chaque objectif. Par ailleurs, le plan d’action s’appuie non seulement sur le droit existant en proposant, par exemple, de renforcer l’application des prescriptions de l’Annexe V de MARPOL en ce qui concerne la livraison des ordures dans les installations de réception, mais il propose aussi d’aller plus loin, notamment en renforçant la sensibilisation du public, l’enseignement et la formation des gens de mer. Suite à l’adoption du Plan d’action, le Comité de protection du milieu marin de l’OMI a demandé aux États de faire des propositions de mesures de suivi du plan afin qu’elles soient examinées lors de la 74e session du MEPC en 2019. Au fur à mesure de la soumission des propositions par les États, ces dernières sont examinées par un Sous-comité qui a en charge de faire des propositions pour leur concrétisation[28]. En parallèle, l’OMI continue de collaborer avec d’autres organismes et institutions des Nations Unies, en particulier avec la FAO et le PNUE, notamment par l’intermédiaire du Partenariat mondial sur les déchets marins (GPML).

La coopération FAO/OMI dans la lutte contre la pollution des océans par les plastiques – L’OMI coopère avec de nombreuses institutions internationales à la lutte contre la pollution plastique des océans. Elle participe ainsi au Processus consultatif informel des Nations Unies ouvert à tous sur les océans et le droit de la mer, à l’élaboration des Plans d’action du G7 et du G20 sur les déchets marins et bien sûr à l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement. Toutefois, nous aimerions mettre ici l’accent sur trois partenariats qui ont produit des résultats concrets. Le premier partenariat est celui de l’OMI avec la FAO. Les deux organisations coopèrent étroitement depuis les années 2000, dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INDNR). Dans ce cadre, l’OMI a apporté son expertise notamment sur les questions liées à la sécurité des navires de pêche et à la prévention de la pollution des mers par ces navires. Depuis l’adoption du Plan d’action de l’OMI en 2018 de lutte contre la pollution des océans par les plastiques, les deux organisations internationales ont établi un groupe de travail sur le marquage des apparaux de pêche[29], c’est-à-dire de l’ensemble du matériel d’équipement du navire servant à cette activité comme les filets, les démêleurs-transporteurs, les enrouleurs de chaluts…etc. Ce groupe a adopté des directives volontaires sur le marquage des engins de pêche. Le Comité de protection du milieu marin de l’OMI a, de son côté, encouragé le marquage efficace des apparaux de pêche et reconnu que les Directives de la FAO permettraient d’appuyer l’application des dispositions pertinentes de l’Annexe V de MARPOL. Le travail mené conjointement par la FAO et l’OMI répond à la fois aux objectifs du Plan d’action de l’OMI et aux inquiétudes de certains États tels que le Chili ou le Vanuatu. En effet, les engins de pêche représentent au moins 46 % de la masse du volume de déchets du Pacifique Nord et environ un tiers des déchets présents dans les mers européennes, soit plus de 11 000 tonnes de déchets par an. Ce pan du Plan d’action était donc une priorité pour l’OMI.

Le Partenariat mondial sur les déchets marins (GPML) – Le second partenariat est le Partenariat mondial sur les déchets marins (GPML). Ce dernier a été lancé lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20) en juin 2012, en réponse à une demande formulée dans la Déclaration de Manille sur la poursuite de la mise en œuvre du Programme d’action mondial pour la protection du milieu marin contre la pollution due aux activités terrestres. Le GPML est un partenariat multipartite qui rassemble tous les acteurs travaillant à la prévention des déchets marins et des micro-plastiques. Lors de la première phase de ce partenariat, l’OMI a mené différentes activités, notamment l’élaboration d’un module de formation sur l’Annexe V de MARPOL et les installations de réception portuaires ; un examen des matières plastiques dans les flux de déchets au titre de la Convention et du Protocole de Londres[30] ; et la mise au point d’un site Web destiné aux enfants pour les sensibiliser aux liens entre les transports maritimes et la pollution marine. L’OMI a également participé à l’élaboration du premier cours en ligne ouvert à tous sur les déchets marins. Dans ce cadre, l’OMI a ainsi mis l’accent sur la sensibilisation du public et des gens de mer à la problématique de la pollution des océans par les plastiques. Consciente que la véritable solution à ce problème planétaire découlera d’une réduction à la source de la pollution, l’OMI œuvre à une meilleure diffusion des connaissances à ce sujet.

Le Projet Glolitter – Enfin, l’OMI a signé en 2019 avec le Gouvernement norvégien un projet de partenariats intitulé « Projet Glolitter » qui combinera des efforts nationaux, régionaux et mondiaux, et s’appuiera sur des partenariats public-privé pour stimuler la recherche, le développement et le renforcement des capacités. Ce projet a pour objectif d’aider des pays en voie de développement à identifier les possibilités de prévenir et de réduire la présence de déchets dans le milieu marin provenant des secteurs des transports maritimes et de la pêche, et de diminuer l’utilisation de plastique dans ces secteurs, notamment en identifiant les possibilités de réutiliser et de recycler le plastique. Dans ce cadre, l’OMI continuera ses efforts de formation pour aider à faire respecter les règles existantes de l’OMI, en particulier l’Annexe V de MARPOL, pour promouvoir le respect des instruments pertinents de la FAO et mettre l’accent sur la mise en œuvre et l’application de la Convention et du Protocole de Londres sur la prévention de la pollution due à l’immersion des déchets en mer. Ce projet est intéressant, car il entend associer à ces actions les acteurs privés au travers del’Alliance mondiale du secteur (GIA) et le Pacte mondial des Nations Unies.

Conclusion

L’Organisation maritime internationale, comme de nombreuses autres organisations internationales, est actuellement fortement mobilisée sur la question de la pollution par les plastiques des océans. Cependant, l’action de l’OMI, qui est centrée sur le transport maritime, aussi pertinente et performante qu’elle puisse être, ne pourra juguler au maximum que 20 % de la pollution des océans par le plastique puisque les 80 % restants proviennent de sources terrestres. En réponse à la diversité des sources de la pollution des océans par les plastiques se développe donc une multitude d’actions, de partenariats, de projets à l’échelle internationale. Or, pour le juriste, cette prolifération de soft et de hard law renvoie incessamment à la même question : celle de la mise en cohérence de la gouvernance internationale. Comment doit-on penser la gouvernance internationale de la lutte contre la pollution des océans par le plastique ? De manière pyramidale, en réseau ? Pour le groupe d’experts ad hoc à composition non limitée sur les déchets plastiques marins et les microplastiques, créé lors de la troisième Assemblée des Nations Unies pour l’environnement : « il faudrait, pour régler effectivement le problème des déchets et microplastiques en milieu marin, élaborer un nouvel accord juridiquement contraignant »[31]. Cette volonté de tendre vers un nouvel accord international, somme toute assez classique, mais qui s’apparente parfois à une fuite en avant, a été relayée par certains États notamment la Norvège, le Japon, le Sri Lanka ou encore le Conseil nordique des ministres et les chefs d’États de la Communauté des Caraïbes[32]. La Commission européenne, en mars 2020, dans sa communication intitulée « Un nouveau plan d’action pour une économie circulaire » a, elle aussi, affirmé qu’elle mènerait les efforts au niveau international pour parvenir à un accord mondial sur les matières plastiques. Toutefois, comme le rappelle parfaitement le rapport de l’IDDRI : « While it is tempting to propose new international agreements to fill identified legal gaps, recent experiences in multilateral environmental governance compel us to reflect more critically on this approach. The long and winding road towards a high seas biodiversity treaty has demonstrated how time and resource-in tensive such negotiations can be, while recent setbacks for the Global Pact for the Environment indicate a limited appetite for new global initiatives. Even the Paris Agreement, seemingly a success story, now faces considerable implementation challenges and has not managed to constrain humanity’s ever-growing carbon footprint »[33]. La voie du futur face aux nouveaux défis environnementaux consistera ainsi surement à chercher à mobiliser l’existant de la boîte à outils du droit international de l’environnement, qui est déjà très fournie, en l’adaptant. Créer à partir du matériau existant…un recyclage juridique pour un droit international durable !

Sophie Gambardella, « L’Organisation maritime internationale et la lutte contre la pollution des océans par les plastiques », Confluence des droits_La revue [En ligne], 12 | 2022, mis en ligne le 16 décembre 2022. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=2164


[1] La Convention portant création de l’Organisation maritime internationale a été adoptée le 6 mars 1948 à Genève mais n’est entrée en vigueur que le 17 mars 1958. À l’origine, la Convention a créé l’Organisation intergouvernementale maritime consultative (OMCI). Le nom de l’Organisation intergouvernementale maritime consultative (OMCI) a été changé en « Organisation maritime internationale (OMI) », et le titre de la Convention modifié en conséquence suite à l’entrée en vigueur des amendements à la Convention en 1982. Voir : Recueil des Traités des Nations Unies (RTNU), vol. 289, p. 3.

[2] Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, adoptée le 1er novembre 1974 et entrée en vigueur le 25 mai 1980, RTNU, vol. 1184, 1185, p. 2.

[3] Pour une genèse de la Conférence voir : A. C. Kiss, J. D. Sicault, « La Conférence des Nations Unies sur l’environnement (Stockholm, 5/16 juin 1972) », AFDI, 1972, vol. 18, p. 603-628.

[4] À l’heure actuelle, ce groupe est parrainé conjointement par les institutions suivantes, qui ont toutes des responsabilités en matière de protection du milieu marin : OMI, FAO, AIEA, ONU (Division des affaires maritimes et du droit de la mer), PNUD, ONU Environnement, COI-UNESCO, ONUDI, OMM et ISA.

[5] L’expression « pollution du milieu marin » a été utilisée dans maints textes internationaux du siècle dernier, notamment dans la Convention de Genève sur la Haute Mer. La première définition de la « pollution marine » est issue des travaux du GESAMP. Le Groupe a défini la pollution marine comme étant « l’introduction par l’Homme, directement ou indirectement, dans le milieu marin (estuaires compris), de substances ou d’énergie provoquant des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques, risques pour la santé humaine, entraves aux activités maritimes, notamment à la pêche, altération de la qualité d’utilisation de l’eau de mer et réduction des agréments ». Cette définition se retrouve à l’article 1§4 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

[6] Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets, signée le 29 décembre 1972 et entrée en vigueur le 30 août 1975, RTNU, vol. 1046, p. 120.

[7] La Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires a été adoptée le 2 novembre 1973 mais un Protocole a été adopté en 1978 et a intégré directement la Convention mère qui n’était, à l’époque, pas encore entrée en vigueur. Cette nouvelle convention est entrée en vigueur en 1983. Voir : RTNU, vol. 1340, p. 61. et vol. 1341, p. 3.

[8] Annexe I à la Convention MARPOL 73/78 – Règles relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures, entrée en vigueur le 2 octobre 1983.

[9] Annexe II à la Convention MARPOL 73/78 – Règles relatives à la prévention de la pollution par les substances liquides nocives transportées en vrac, entrée en vigueur le 2 octobre 1983.

[10] Annexe V à la Convention MARPOL 73/78 – Règles relatives à la prévention de la pollution par les ordures des navires, entrée en vigueur le 31 décembre 1988.

[11] https://www.imo.org/fr/about/HistoryOfIMO/Pages/Default.aspx.

[12] Article 4§1 et Annexe 1§4 de la Convention.

[13] LC/SG 41/16, paragraphes 2.18 à 2.30 et annexe 8.

[14] Annexe I – Règles relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures (entrée en vigueur le 2 octobre 1983) ; Annexe II – Règles relatives à la prévention de la pollution par les substances liquides nocives transportées en vrac (entrée en vigueur le 2 octobre 1983) ; Annexe III – Règles relatives à la prévention de la pollution par les substances nuisibles transportées par mer en colis (entrée en vigueur le 1er juillet 1992) ; Annexe IV – Règles relatives à la prévention de la pollution par les eaux usées des navires (entrée en vigueur le 27 septembre 2003) ; Annexe V – Règles relatives à la prévention de la pollution par les ordures des navires (entrée en vigueur le 31 décembre 1988) ; Annexe VI – Règles relatives à la prévention de la pollution de l’atmosphère par les navires (entrée en vigueur le 19 mai 2005).

[15] Cette désignation n’a pas encore pris effet pour la mer Noire et la mer Rouge en raison de l’absence de notification par les Parties intéressées de l’existence d’installations de réception adéquates.

[16] AGNU, Résolution A/RES/60/30 sur les océans et le droit de la mer, 60e session, 8 mars 2006, A/RES/60/30, §§ 67 et 68.

[17] Résolution MEPC.201 (62), Amendements à l’annexe du Protocole de 1978 à la Convention pour la prévention de la pollution par les navires de 1973 (Annexe V Révisée), adoptée le 15 juillet 2011 et entrées en vigueur le 1er janvier 2013.

[18] Règle 10.3 de l’annexe V révisée.

[19] Règle 10.2 de l’annexe V révisée.

[20] Règle 10.1 de l’annexe V révisée.

[21] Les procédures de contrôle des navires par l’État du port sont encadrées par la résolution A. 787 (19) de l’OMI modifiée par la résolution A. 882 (21).

[22] INTERPOL, Manuel à l’usage des enquêteurs sur les Rejets illicites de déchets par les navires, janvier 2018.

[23] Dans cette affaire, le capitaine du navire qui avait permis le rejet à la mer des centaines de gros tuyaux en plastique et qui n’avait pas consigné ces rejets dans le registre des ordures a été condamné à un an et un jour de prison ainsi que trois ans de liberté surveillée.

[24] Dans cette affaire, l’équipage d’un navire immatriculé au Panama avait rejeté des grands sacs en plastique contenant des restes de nourriture, des bouteilles en plastique, des canettes en aluminium, du papier et des objets divers dans les zones sous juridiction australienne, le propriétaire du navire et son capitaine ont été condamnés à des amendes respectivement de 13 000 € et 2500 €.

[25] Dans cette affaire, le responsable de la réfection du navire, Ronald Cook, avait donné l’ordre de jeter par-dessus bord, en haute mer, des sacs en plastique contenant de l’amiante. Il a été condamné à 24 mois de prison, ainsi que trois ans de liberté surveillée. La société propriétaire du navire, qui avait plaidé coupable, a été condamné pour sa part à une amende de 250 000 dollars.

[26] L’ODD 14 vise à prévenir et à réduire nettement la pollution marine de tous types d’ici à 2025.

[27] Pour une étude détaillée du Plan d’action voir notamment : Dae-Jung Hwang, « The IMO Action Plan to Address Marine Plastic Litter from Ships and Its Follow-Up Timeline », Journal of International Maritime Safety, Environmental Affairs, and Shipping, 2020.

[28] Le Chili avec d’autres États d’Amérique latine a, par exemple, proposé dans le document MEPC 73/8/2, que les apparaux de pêche qui peuvent être perdus en mer par accident, par abandon ou par élimination délibérée soient couverts par l’Annexe V de la Convention MARPOL. L’actuelle prescription en matière de notification en vertu de la règle 10.6 de l’Annexe V de MARPOL est limitée aux pertes accidentelles et aux rejets d’engins de pêche, qui constituent une menace grave pour le milieu marin ou la navigation.

[29] Plan d’action de l’OMI visant à traiter le problème des déchets plastiques rejetés dans le milieu marin par les navires 2018 : « Réduction des déchets plastiques rejetés dans le milieu marin par des navires de pêche

Ces mesures prévoient de : 

  • Envisager de rendre obligatoire le système de numéros OMI d’identification des navires pour tous les navires de pêche d’une longueur supérieure à 24 mètres ;
  • Envisager de rendre obligatoire le marquage des engins de pêche au moyen du numéro OMI d’identification des navires, en coopération avec la FAO ;
  • Examiner plus avant la question de l’enregistrement du numéro d’identification de chaque engin de pêche à bord des navires de pêche ;
  • Rappeler aux États membres de l’OMI de recueillir des renseignements concernant tout rejet ou perte accidentelle d’engins de pêche ; et
  • Envisager d’élaborer des meilleures pratiques de gestion afin d’inciter les navires de pêche à récupérer des engins de pêche abandonnés et à les remettre aux installations de réception portuaires, en collaboration avec la FAO ».

[30] En 2015, les Parties contractantes à la Convention et au Protocole de Londres ont ainsi achevé l’examen de l’état actuel des connaissances concernant la manière dont les déchets peuvent contribuer à la présence de débris, notamment plastiques, dans le milieu marin. Il ressort du rapport, qui a été réalisé dans le cadre du Partenariat mondial sur les déchets marins (GPML) que les déblais de dragage et les boues d’épuration figurent parmi les flux de déchets qui contribuent le plus à la présence de déchets marins et qu’il est nécessaire de traiter en amont les sources de déchets marins.

[31] Rapport de la deuxième réunion du groupe d’experts spécial à composition non limitée sur les déchets et micro plastiques dans le milieu marin, 21 février 2019, UNEP/AHEG/2018/2/5, Annexe, §5.

[32] Voir pour plus de détails :  J. Rochette, R. Schumm, G. Wright, K. Cremers, « Combatting marine plastic litter: state of play and perspectives », IDDRI, Study N°03/20, p. 9. ; ou encore P. Ricard, « Le droit international et la lutte contre la pollution marine par les déchets de matières plastiques », AFDI, tome LXV, 2019, p. 549-554.

[33] Ibid., p. 10.

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