Anna Maria Lecis Cocco Ortu, Docteure en droit public, membre associée du CDPC Jean-Claude Escarras Université de Toulon, Aix-Marseille Univ, Univ Pau et Pays Adour, CNRS, DICE
Introduction
Mars 2020 : tous, ou presque, enfermés chez nous, nous en appelons plus que jamais à cet objet essentiel de nos vies que nous rechargeons désormais plusieurs fois par jour : notre smartphone. Avec nos portables et nos ordinateurs nous télétravaillons, nous passons des appels-vidéo, organisons des réunions et des parties de jeu en ligne, des cours à distance de sport, de théâtre, nous consultons le médecin, nous nous informons sur l’actualité et nous téléchargeons les attestations à remplir pour pouvoir déroger au confinement. La crise sanitaire du Covid-19 remet ainsi au centre du débat public, si jamais il y en avait besoin, la question des outils numériques en tant qu’instruments fondamentaux de la vie quotidienne, en révélant plus que jamais qu’il ne s’agit pas d’appareils de divertissement ou de luxe, mais d’outils essentiels à la participation à la vie publique[1].
Si les transformations des modèles sociaux, économiques et politiques provoquées par les évolutions technologiques font depuis longtemps l’objet d’études sous l’angle de plusieurs disciplines, l’actualité constitue une occasion propice pour poursuivre la réflexion sur les relations entre ces nouvelles technologies et le modèle démocratique.
Dès les années 1990, la diffusion des technologies numériques d’information et de communication a stimulé une grande production doctrinale sur leur apport à la participation politique et à l’exercice de la démocratie. Stefano Rodotà, un des premiers juristes italiens qui se sont penchés sur ce thème, avait observé en 1997 que la diffusion d’internet allait créer une nouvelle « forme que la démocratie peut assumer, […] une opportunité pour renforcer la participation politique, […] un mode pour modifier les procédures de décision démocratique »[2].
La diffusion d’internet et l’immense circulation de données qu’elle permet ont amplifié la vitesse et les proportions de ces transformations, au point que les définitions de nouveaux modèles démocratiques se multiplient : « techno-politique »[3], « démocratie électronique »[4], « cyberdémocratie »[5], « démocratie virtuelle »[6], « démocratie connectée »[7], « démocratie numérique »[8], « démocratie 2.0 »[9], « datacratie »[10]. Elles se fondent sur l’existence d’un nouvel espace public et de nouveaux modes de participation des citoyens-internautes à la vie démocratique ainsi que sur l’influence de la technologie sur la gouvernance et le fonctionnement des institutions[11].
Ces définitions montrent que la diffusion de la technologie numérique peut affecter le système démocratique au point de donner lieu à des définitions fondées sur sa « numérisation ». On peut dès lors se demander si cette hybridation numérique constitue un facteur d’amélioration ou de dégradation de la démocratie. Si on prend en compte une définition strictement procédurale de la démocratie comme méthode[12], fondée sur l’autodétermination du peuple selon la volonté de la majorité exprimée à travers le vote, une nouvelle forme de démocratie numérique serait tout d’abord celle qui s’appuie sur le recours aux technologies numériques pour la mise en œuvre de procédures de décision démocratique : le vote électronique et les autres formes de consultation de la volonté du peuple par internet constitueraient les éléments caractéristiques d’un tel modèle. Néanmoins, la démocratie, dans sa conception moderne prônée par les démocraties libérales, est caractérisée non seulement par des procédures de prise de décision s’appuyant sur la manifestation de la volonté du peuple, mais aussi par la coexistence d’autres facteurs qui permettent le libre exercice de cette manifestation de volonté, tels que le respect de la liberté d’expression et de communication et le pluralisme de l’information[13]. Si on prend en compte l’influence de la technologie numérique sur les formes de participation politique et de formation de l’opinion publique, l’influence du numérique sur le système démocratique est alors beaucoup plus large de ce que le seul recours à la technologie par les gouvernants laisse penser.
La diffusion d’internet, avec la multiplication des espaces virtuels d’information, discussion et communication qu’elle entraîne, est susceptible d’augmenter la qualité de la démocratie en ce qu’elle permet un élargissement de la participation politique et la création d’une société plus horizontale et décentralisée[14]. L’utilisation de la technologie numérique pour la mise en œuvre de procédures institutionnelles de consultation de l’électorat, ensuite, pourrait représenter une amélioration du fonctionnement du système démocratique en termes d’efficacité et effectivité.
Néanmoins, vingt ans après les premières réflexions sur ces questions et notamment à la lumière de l’expérience des dernières années, le bilan de l’apport des technologies numériques à la démocratie est en clair-obscur. D’une part, l’utilité potentielle du numérique dans les procédures de participation et décision politique a pu parfois être testée avec succès, mais elle n’est pas pleinement exploitée. D’autre part, la promesse d’une société plus horizontale et démocratique ne semble pas tenue. En effet, la technologie numérique peut offrir une grande contribution à l’exercice de la démocratie (I) mais son influence sur les préconditions essentielles à l’exercice de la démocratie reste problématique (II).
I. La contribution du numérique à l’exercice de la démocratie
La technologie numérique permet l’exercice dématérialisé et à distance d’un large nombre de libertés démocratiques : elle permet d’exprimer son opinion et d’avoir accès aux opinions d’autrui, de communiquer par voie privée ou publique, de s’informer et même d’exprimer sa voix lors d’un vote ou d’une consultation. La contribution de la technologie numérique à l’exercice de la démocratie touche ainsi aussi bien, d’une part, la dimension de la communication et de l’information et, d’autre part, celle des mécanismes de délibération et d’élection. Elle représente potentiellement un facteur de rénovation des procédures de consultation des électeurs par les gouvernants dans la prise de décision politique (A) ainsi qu’un facteur de démocratisation de l’accès à la participation politique (B).
A. L’apport du numérique aux procédures de consultation
des citoyens par les gouvernants
Depuis une vingtaine d’années, le recours aux technologies numériques pour les procédures électorales fait l’objet de discussions et de prévisions sur sa diffusion. Il y a douze ans, un auteur se risquait à un pronostic selon lequel « le bulletin de vote en papier [allait] bientôt être mis de côté »[15]. Néanmoins, la révolution annoncée n’a pas eu lieu pour l’instant, malgré une certaine diffusion des procédures de vote électronique[16].
En France, le vote par internet a été introduit en 2012 pour les élections des députés et sénateurs représentant les Français de l’étranger et pour celles des conseillers consulaires : en 2012 les Français résidant à l’étranger ont ainsi pu choisir, parmi les différentes modalités de vote possibles, de voter par internet, en se connectant sur une plateforme de vote en ligne[17]. Néanmoins, lors des élections législatives de 2017 cette modalité de vote a été suspendue en raison du niveau non satisfaisant de sécurisation de la plateforme de vote, obstacle que le Président Macron s’est engagé à lever en vue des prochaines élections[18]. Dans un Rapport d’information sur le vote électronique présenté au Sénat en 2018, des propositions ont été formulées pour renforcer l’application de ce dispositif et, à terme, supprimer le vote par correspondance des Français de l’étranger, au profit du vote par internet. Ces propositions portaient essentiellement sur la sécurisation de la plateforme de vote, pour la protéger des attaques à la fois « physiques » et « logiques », ainsi que sur la sécurisation de l’identification des électeurs « notamment en ayant recours à des techniques biométriques »[19].
Bien que, à ce jour, la généralisation de cette modalité de vote n’ait pas été sérieusement envisagée, essentiellement en raison des coûts liés aux exigences de sécurisation, ces correctifs pourraient permettre d’étendre le vote par internet à d’autres scrutins. Grâce à l’introduction d’une véritable identité numérique et à l’attribution d’un PIN (Personal Identification Number), le vote par internet pourrait permettre de dépasser les obstacles à l’exercice du droit de vote de certaines catégories d’électeurs, comme les détenus[20]. Il pourrait également remplacer, à terme, le vote par procuration pour les étudiants et les personnes qui travaillent loin de de leur commune de résidence ainsi que pour tous les électeurs se trouvant dans l’impossibilité « d’être présent dans leur commune d’inscription le jour du scrutin ou de participer à celui-ci en dépit de leur présence dans la commune »[21].
Il faut néanmoins reconnaître que, même dans le panorama comparé, le recours au vote par internet pour des élections nationales est loin d’être largement diffusé[22]. Alors que des mécanismes de vote électronique à distance sont utilisés dans certains cantons suisses[23], ou ont été expérimentés pour certains types de scrutin dans d’autres pays[24], l’Estonie est le seul pays à avoir généralisé le vote par internet au niveau national pour les élections locales, législatives et européennes[25]. Aujourd’hui la question du vote par internet redevient d’actualité dans le cadre de la crise sanitaire qui a bouleversé l’organisation de la vie démocratique dans plusieurs pays[26], et notamment en France : la tenue du premier tour des élections municipales malgré le début des mesures de confinement et le report du second tour invitent à réfléchir sur des modalités alternatives qui permettent de garantir la continuité de la vie démocratique même dans des situations d’urgence qui empêcheraient l’organisation des opérations de vote matérialisé[27]. Il est certain que, afin que le vote par internet passe avec succès l’analyse coûts-bénéfices, la sécurisation des opérations reste l’enjeu principal, car les avantages en termes d’accessibilité et de rapidité du dépouillement ne sauraient compenser les inconvénients liés aux risques d’atteinte à la sécurité et à la sincérité du vote[28].
Un plus grand succès semble être connu, en France comme ailleurs, par les consultations en ligne dans le cadre d’expérimentations de procédures délibératives ou de pétitions citoyennes. Il s’agit d’expériences mises en œuvre par les institutions surtout au niveau local[29], mais aussi dans quelques cas au niveau national[30]. En France, la consultation en ligne des citoyens lors de l’élaboration de la « Loi pour une République numérique »[31] et la phase de consultation citoyenne en ligne dans le cadre du Grand débat national[32] constituent des exemples intéressants.
Néanmoins, à l’exception de l’Islande[33] et du Sri Lanka, qui ont réalisé des expériences de participation citoyenne à la révision constitutionnelle plutôt réussies, le bilan de ces procédés est, à l’heure actuelle, plutôt décevant[34]. En effet, l’apport des citoyens à la prise de décision politique demeure faible et leur implication semble répondre plus à des exigences de marketing institutionnel et de reconstruction de la confiance du public qu’à une véritable démarche de démocratie délibérative. En revanche, plutôt que dans les procédés de participation descendante, à l’initiative des gouvernants, c’est surtout dans les expériences de participation ascendante[35], mises en place spontanément par les citoyens en dehors des mécanismes institutionnalisés, que la technologie numérique semble constituer un « accélérateur de démocratie »[36] en ce qu’elle permet un élargissement de la participation politique.
B. La promesse d’une démocratisation de l’accès à la participation politique
Une des plus grandes avancées obtenues grâce à la diffusion d’internet est sans doute la démocratisation de l’accès à l’information, si bien que les premières préconisations d’un droit d’accès à internet ont été fondées sur la liberté d’expression, dans ses dimensions à la fois active et passive[37]. L’élargissement de l’accès s’accompagne d’ailleurs d’un élargissement de la production de l’information, qui passe désormais à la fois par une circulation verticale classique – entre, d’une part, des personnes, organismes et entités compétentes qui informent et, d’autre part, des personnes non expertes qui reçoivent les informations –, à une information de type horizontale ou circulaire, dans laquelle tous peuvent à la fois donner et recevoir des informations[38].
La plus grande circulation d’informations et opinions est ainsi l’un des premiers facteurs pouvant favoriser une démocratisation de la participation politique en ce qu’elle semble favoriser un véritable « éveil politique »[39]. L’émergence d’une « place publique numérique » se traduit en effet, d’une part, dans une plus grande implication dans la vie publique de la part de personnes non directement engagées en tant que militants dans les mouvements et partis traditionnels et, d’autre part, dans l’apparition de nouveaux mouvements et nouveaux modes de participation politique 2.0[40].
La diffusion d’une information au caractère circulaire précédemment évoquée, en outre, favorise une démocratisation de la participation politique grâce à l’élargissement de l’éventail des sujets de discussion. En effet, alors que les médias traditionnels ont tendance à diffuser et reproduire thèmes et opinions déjà présents dans le débat public, véhiculés par l’intermédiaire des personnalités politiques et intellectuelles reconnues, la place publique d’internet permet de porter l’attention sur des sujets qui n’arrivent pas à attirer l’attention des médias traditionnels[41]. La place numérique constituerait ainsi une « forme de réponse citoyenne à l’évolution d’un espace public médiatique qui tend […] à réserver la prise de parole à quelques individus et à envisager ses publics comme de simples destinataires »[42].
Les nouveaux modèles de participation politique 2.0 se caractérisent ainsi par l’émergence de nouveaux participants, de nouveaux mouvements, de nouveaux thèmes et aussi de nouveaux instruments de participation politique qui se proposent comme des correctifs extra-institutionnels de la démocratie représentative, voire des véritables instruments de démocratie directe ou délibérative[43].
La technologie numérique, en effet, est utilisée par certains groupes et organisations politiques pour mettre en place des mécanismes de contrôle des représentants[44], des procédures participatives de formation des programmes ou encore des mécanismes de sélections des candidats et dirigeants.
Si tous les partis et associations politiques utilisent de plus en plus des formes de communication en ligne pour se mettre en relation avec leurs adhérents et sympathisants[45], ce sont surtout les formations et groupes qui s’affichent comme « antipolitiques », « anti-institutionnels » ou « populistes » qui ont un large recours à ces instruments[46]. Certains auteurs parlent ainsi de « populismes 2.0 » pour définir les expériences récentes de plusieurs groupes politiques s’appuyant largement sur l’exploitation des médias et des réseaux sociaux, en raison de leur capacité de supprimer (ou de donner l’illusion de supprimer) tout intermédiaire entre le peuple et la prise de décision politique[47].
Le Mouvement 5 étoiles (M5E) en Italie constitue un des exemples les plus riches en ce sens. S’affichant non pas comme un parti, mais comme « une libre association de citoyens [voulant] réaliser un efficace échange d’opinion et une confrontation démocratique », il prévoit plusieurs mécanismes de participation des adhérents aux choix du parti sur une plateforme en ligne[48]. Ainsi, les adhérents ont pu voter en ligne pour désigner les candidats lors d’élections primaires, pour approuver l’expulsion du parti des représentants qui n’avaient pas respecté le code de conduite auquel ils sont soumis, ou encore pour approuver certains points du programme politique du parti. Le paroxysme de ces pratiques a été représenté par l’approbation en ligne par les adhérents-internautes du « contrat de gouvernement » signé entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue pour fixer un programme commun pour leur gouvernement de coalition[49] et, un an plus tard, par l’approbation de l’accord pour un gouvernement de coalition avec le Parti démocrate[50].
Les expériences du Parti pirate, né en Suède en 2006 et ensuite répliqué dans plus de soixante pays, constituent un autre cas d’étude intéressant. Affichant un objectif de provocation et de contestation du système plus qu’un vrai but d’action politique[51], ces partis militent pour une « révolution numérique » fondée sur la reconnaissance d’internet comme service public, l’élimination du digital divide, la diffusion de l’open data et la transparence des pouvoirs publics. En conformité avec leurs objectifs, ils ont expérimenté l’utilisation du logiciel LiquidFeedback pour recueillir les propositions et les votes des sympathisants-internautes.
En se tournant vers la France, on peut citer les tentatives de définition d’un programme et de présentation d’un candidat aux élections présidentielles de 2017 à travers des consultations en ligne menées par des associations citoyennes : « la Primaire des Français », « La vraie primaire » et « LaPrimaire.org »[52]. Toutefois, bien qu’elles représentent des expériences intéressantes d’initiatives citoyennes pour la désignation des candidats à des élections officielles, elles demeurent pour l’instant des expérimentations inabouties, en ce qu’elles n’ont pas débouché sur des candidatures effectives.
En effet, si la créativité ne manque pas, c’est l’effectivité des expériences de participation politique citoyenne en ligne qui pour l’instant ne semble pas satisfaisante.
Les défauts de ces expériences sont souvent liés au nombre de participants, aux conditions de formation d’un choix délibéré informé et à l’effective prise en compte des délibérations citoyennes dans les canaux institutionnels. L’expérience du Mouvement 5 étoiles offre, encore une fois, l’exemple concret de ces failles. S’agissant des proportions de la participation, les votations sur la plateforme Rousseau le plus souvent impliquent moins de 40% des adhérents, à l’exception des votes portant sur les gouvernements de coalition avec la Ligue et le Parti démocrate, qui ont vu la participation respectivement d’environ 56 000 et 80 000 adhérents sur un total d’environ 115 000[53].
En ce qui concerne la prise en compte de la volonté des adhérents-internautes, ensuite, il est arrivé que les dirigeants du mouvement prennent des décisions contraires à l’issue des consultations en ligne. Au lendemain des élections primaires pour les municipales de Gênes de 2017, par exemple, le M5E a expulsé la candidate désignée et organisé un nouveau scrutin ; encore, en 2016, le leader Beppe Grillo a décidé de libérer les parlementaires du M5E de leur mandat impératif pour le vote de la loi sur les unions civiles entre personnes de même sexe, malgré un vote favorable des adhérents en 2014. S’agissant, enfin, de la qualité des procédés délibératifs, il est souvent reproché que les questions soumises au vote sur la plateforme Rousseau sont posées sous forme de plébiscites. Les nombreux exemples de procédés délibératifs peu transparents du M5E lui ont ainsi valu le reproche de « centralisme cybercratique » caché sous un voile de démocratie directe[54].
Ces exemples montrent que la mise en place d’instruments numériques de participation politique accessibles avec un simple clic n’est pas en mesure d’assurer, en soi, une avancée démocratique. La simplicité de l’exécution peut donner, au contraire, une illusion de plus grande démocratisation qui ne s’accompagne pas forcément d’un effectif élargissement de l’implication des citoyens dans la vie publique et la prise de décision politique. L’effectivité des mécanismes de participation politique, en effet, doit être évaluée à la lumière des préconditions d’exercice de la démocratie numérique.
II. L’influence problématique du numérique sur les préconditions d’exercice de la démocratie
La promesse de la construction d’une société plus horizontale caractérisée par un plus grand pluralisme semble être trahie par un espace numérique dans lequel l’élargissement de la participation ne favorise pas la rencontre entre des opinions divergentes et le dialogue plural caractéristiques de la démocratie (A). Si la plus grande démocratisation promise par la révolution numérique demeure pour l’instant une illusion, certaines solutions peuvent être envisagées, sinon pour garantir un renforcement de la démocratie, au moins pour endiguer le recul démocratique que les failles de la participation politique numérique peuvent entraîner (B).
A. La variété de l’information comme faux indicateur du pluralisme
L’élargissement de l’accès à l’information et à la communication ne rime pas avec la réalisation d’un plus grand pluralisme et d’une meilleure qualité de l’information. Si, au début, certaines études expliquaient que les internautes sont susceptibles de rencontrer en ligne une diversité sociale et culturelle plus marquée que celle à laquelle ils pourraient être confrontés hors ligne[55], les études plus récentes font plutôt le constat inverse. Dans les places publiques telles que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, les internautes rencontrent le plus souvent des contributions et des contributeurs proches de leurs orientations et connaissances préexistantes.
Cela est dû à la fois à des raisons subjectives, liées à leur choix plus ou moins intentionnels, et à des raisons objectives, liés au fonctionnement des algorithmes qui gouvernent la présentation des contenus numériques[56]. En effet, souvent les internautes recherchent sur internet des contenus moins pour se former une opinion que pour trouver une confirmation de leurs convictions préformées : ils vont alors à la recherche de sites, blogs et profils d’autres internautes qui partagent leur point de vue pour corroborer leurs positions ; ou parfois, dans des cas plus limités mais quand-même en nombre non négligeable, ils vont contester ceux qui ont des convictions opposées, toujours dans une démarche qui exclut le dialogue et la remise en question de leurs opinions préexistantes et qui parvient à des véritables formes de hate speech ou de cyber-harcèlement[57].
Par ailleurs, les algorithmes qui gouvernent les résultats des recherches et l’affichage de contenus en ligne proposent aux internautes des contenus informatifs taillés sur mesure, comme il arrive pour les produits commerciaux[58]. L’acquisition et l’élaboration des big data[59] permet en effet de définir un profil – social, culturel, politique – de chaque internaute assez complet et fiable, qui rend possible de le placer dans une filter bubble[60] dans laquelle il n’est confronté qu’à des contenus qu’il apprécie. Cet élément objectif lié au fonctionnement des algorithmes, en combinaison avec l’élément subjectif déjà illustré, renforce la tendance à la formation de communautés virtuelles cloisonnées, composées d’internautes qui partagent les mêmes convictions et qui les alimentent mutuellement, dans une sorte de bubble democracy[61].
En outre, les algorithmes qui gouvernent l’ordre de présentation des contenus en fonction de leur intérêt privilégient souvent l’information et la communication « immédiate » au détriment des débats de « longue durée ». Par exemple, les trending topics de Twitter classent les hashtag des sujets les plus discutés en fonction de leur diffusion rapide et immédiate. Il en découle que les événements à grand public comme les émissions de télévision à succès ou les matchs de football profitent d’une plus grande visibilité, tandis que les débats d’actualité et les événements politiques à durée longue, qui suscitent un volume important de tweets mais étalés sur une période plus longue, ont une visibilité réduite[62].
Malgré la possibilité théorique d’accéder à une large diversité d’informations et de se confronter avec les opinions les plus variées, le fonctionnement pratique de la place numérique la rend ainsi « intrinsèquement anti-démocratique » en ce qu’elle « échappe au nœud de la complexité »[63] et ne permet pas concrètement la confrontation entre opinions différentes qui est le présupposé essentiel du débat démocratique[64].
En outre, un plus grand apport de sources est loin de comporter une amélioration de la qualité de l’information, à cause de la confusion entre expertise et opinion que nous avons évoquée[65], et surtout du phénomène des fake news sciemment fabriquées.
La circulation de fausses informations sur internet a des conséquences graves sur le fonctionnement de la démocratie, non seulement parce qu’elle ne permet pas une correcte formation de l’opinion publique, présupposé du débat démocratique, mais aussi parce qu’elle est en mesure d’influencer et piloter les choix politiques individuels et collectifs[66]. D’instrument d’exercice des libertés démocratiques, internet devient ainsi un instrument d’attaque de la démocratie dans les mains de tout organisme capable de payer des services d’acquisition des données et de sponsorisation de contenus.
Plusieurs enquêtes montrent désormais que souvent les fausses informations sont diffusées par des systèmes robotisés sciemment mis en place pour orienter l’opinion publique sur un sujet ou influencer le résultat d’une élection. La campagne de désinformation délibérée dénoncée dans le cadre du Russia gate en est un exemple : en 2016 des fake news lancées par 50 000 comptes Twitter automatiques imputables à l’International Research Agency (IRA) de Saint-Pétersbourg ont été consultées par environ 126 millions d’américains[67]. Mais des tentatives d’influencer l’opinion publique à travers des faux comptes Facebook ou Twitter ont été documentées aussi en France, en Italie, au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays, au point que la lutte contre ce phénomène est désormais inscrite dans les agendas politiques nationaux et supranationaux, mais avec des approches très diverses[68]. Une réponse normative à ces phénomènes relève en effet du plus délicat exercice de conciliation et de proportionnalité, en raison des limitations à la liberté d’expression qu’elle implique[69], comme l’a montré le débat autour des lois sur la manipulation de l’information en France[70], avec la difficulté de définir les fausses informations visées par le dispositif[71].
La démocratie numérique serait alors une promesse qui risque de rester une illusion, en raison des obstacles qui s’opposent à sa réalisation. Néanmoins, une réponse qui ne soit pas seulement normative peut aider à en ôter certains, dans l’effort perpétuel de garantir les conditions d’exercice de la démocratie, qui ne sont jamais acquises de manière définitive.
B. Une démocratisation illusoire face à ses obstacles :
de la démocratie numérique à la citoyenneté numérique
Malgré ses défauts, l’idée que l’utilisation de la technologie numérique puisse constituer une avancée démocratique repose, finalement, sur le fait qu’elle simplifierait l’accès à la participation politique de la part de tout le monde dans une société de plus en plus en plus connectée. Or, en fait cette affirmation est contredite par une réalité dans laquelle tout le monde n’a pas les instruments pour accéder à la place publique numérique ou pour y participer en pleine connaissance de cause.
Le digital divide, ou fracture numérique, constitue encore aujourd’hui la plus grande barrière à la réalisation d’une démocratie numérique, et ce malgré le fait que le nombre d’internautes ait dépassé 4,5 milliards, soit près de 59 % de la population mondiale[72]. En effet, bien qu’en Europe le taux s’élève à presque 88%, et en France à 92 %, l’accès au réseau ainsi que la qualité et la vitesse de la connexion sont distribués de manière inégale. Une enquête de l’association UFC Que choisir a montré qu’en France 6,8 millions de personnes, soit 10,1 % de la population, sont privées d’un accès de qualité minimale à internet, c’est-à-dire plus de 3 Mbits par seconde, et que 19,1 % de la population, soit 12,8 millions de consommateurs, n’ont pas d’accès au « bon haut débit »[73]. L’exclusion numérique touche le plus souvent des personnes qui subissent déjà d’autres facteurs de marginalisation, tels que pauvreté, âge avancé, handicap ou isolement, allant ainsi augmenter la fracture sociale[74].
La somme de ces facteurs rend difficile la réalisation d’un effectif élargissement de la participation politique, avec le résultat que la participation numérique, d’une part, est surtout l’apanage des personnes qui prenaient déjà part à la vie publique non numérique et, d’autre part, se traduit le plus souvent par un « activisme de canapé » fondé sur le cliquage et le partage de contenus, qui ne s’accompagne pas d’un réel engagement dans la vie publique[75]. En l’état actuel, au lieu de permettre un effectif élargissement de l’accès et un renforcement de la démocratie dans nos sociétés, la mise en place d’instruments de participation politique numérique va ainsi accentuer la fracturation sociale dans l’accès à la vie politique. Ceux qui disposaient déjà des connaissances et instruments nécessaires pour participer à la vie politique acquièrent grâce au numérique de nouveaux instruments de communication, d’information et d’influence, au détriment de ceux qui n’ont pas d’accès à la place numérique, ou qui y accèdent sans connaissance de cause, se trouvant ainsi à la subir passivement plus qu’à y participer activement.
Afin que la participation politique numérique puisse permettre un renforcement de la démocratie, ou du moins pour qu’elle n’entraîne pas un recul démocratique, le grand défi consiste à combler le digital divide et à assurer les conditions de formation d’une opinion publique préparée, informée et consciente, qui est d’autant plus essentielle lorsqu’aux procédés de la démocratie représentative s’accompagnent des formes de démocratie directe et délibérative[76].
Trois types de remède pour combler la fracture numérique et combattre la « pollution » de l’information numérique ont émergé dans le débat politique et juridique : la législation, l’information et la formation. L’objectif de ces propos n’est pas de les détailler, ce qui a déjà été fait par une riche doctrine, mais de souligner la nécessité de leur combinaison. En effet, les difficultés rencontrées dans l’adoption de mesures normatives efficaces montrent les limites du « remède traditionnel », l’instrument législatif[77] : à des dosages trop forts, le remède risque d’être pire que la maladie, à cause de ses effets collatéraux sur la liberté d’expression.
Une contribution importante peut alors être offerte par le « remède homéopathique » : l’information contre la désinformation. La multiplication des sources d’information et le phénomène de la confusion entre communication et information qui ont été évoqués, au-delà du seul problème des fake news, montrent l’importance des « intermédiaires » entre l’information et le public. C’est, in primis, la fonction du journalisme de jouer le rôle de gatekeeper, en filtrant la qualité, la fiabilité et l’importance des informations[78]. En ce sens, il faut saluer le fait que, si internet a permis la prolifération de plateformes d’information non fiables[79], il a aussi fait émerger des nouveaux médias libres et indépendants qui se sont affirmés comme véritables « chiens de garde de la démocratie », pour reprendre la célèbre définition de la Cour européenne des droits de l’homme, en faisant du slow journalism leur caractère distinctif[80]. Mais à côté de la presse, des organismes comme des associations indépendantes ou organisations non gouvernementales ainsi que des institutions publiques peuvent jouer un rôle fondamental, à travers la promotion de bonnes pratiques pour la vérification des informations et de la fiabilité des sources. Dans ce sens, il faut signaler certaines actions entreprises par la Commission européenne, comme l’élaboration d’un code de bonnes pratiques contre la désinformation et le soutien à un réseau indépendant de vérificateurs de faits[81], souscrit par des Internet service providers tels que Facebook, Google, Microsoft, Mozilla, Twitter, ainsi que des associations professionnelles européennes[82]. Néanmoins, encore faut-il que le public puisse s’orienter et sache reconnaître les sources fiables, puisque dans l’intérêt de la préservation du pluralisme, cette reconnaissance ne doit pas dépendre uniquement d’une « étiquette », encore qu’apposée par des organismes tiers. C’est sur ce point que doit intervenir le troisième remède, celui de la formation à travers l’éducation.
La solution de long terme contre les failles de la participation démocratique à l’ère du numérique revient, en effet, à la formation du « citoyen numérique », qui doit être doté d’instruments et de connaissances à la fois civiques, médiatiques et numériques, pour pouvoir s’orienter dans la place publique d’internet. S’inscrivent dans cette approche les actions d’alphabétisation médiatique des internautes préconisées par la Commission européenne dans sa communication visant à lutter contre la désinformation en ligne[83] ainsi que les programmes d’éducation aux médias et à l’information proposé par le rapport de l’Assemblée nationale sur la loi visant à lutter contre la manipulation de l’information[84]. Se situent aussi dans cette même approche toutes les propositions portant sur l’introduction ou le renforcement, dans les programmes scolaires, de l’éducation civique[85].
Ce remède que l’on pourrait définir comme « phytothérapique », est un remède doux[86] qui n’a pas d’effet miracle immédiat. Au contraire, il constitue une solution durable, qui demande une constance dans son application et une collaboration de la part des patients et qui est censé avoir des effets sur le long terme. Néanmoins, vu que l’ère de la participation politique numérique est encore jeune et qu’elle est destinée à s’inscrire dans la durée, cela vaut la peine d’investir dans la formation d’une citoyenneté numérique. Cela pourrait permettre de résoudre le problème de l’influence de la désinformation sur les décisions politiques non pas, comme le proposent certains, en excluant les incompétents des choix politiques[87], mais en diffusant la compétence parmi les électeurs[88].
Pour citer cet article : Anna Maria Lecis Cocco Ortu, « L’apport ambivalent du numérique à la participation politique : vraie ou fausse démocratisation ? », Confluence des droits_La revue [En ligne], 06 | 2020, mis en ligne le 19 juin 2020. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1149
[1] Ce qui soulève avec urgence la question du digital divide comme grave facteur de fracturation sociale et rouvre le débat sur la reconnaissance et les contours du droit d’accès à internet en tant que droit-levier pour l’accès à d’autres droits. Sur les enjeux de la reconnaissance d’un droit à internet, voir notamment M. Bardin, « Le droit d’accès à internet : entre “choix de société” et protection des droits existants », Revue Lamy Droit de l’immatériel, n° 91, 2013 ; P. Passaglia, « Diritto di accesso ad Internet e giustizia costituzionale. Una (preliminare) indagine comparata » in M. Pietrangelo (dir.), Il diritto di accesso ad Internet, Naples, ESI, 2011, p. 59 et, plus récemment, G. Maire, « L’accès à Internet, analyse juridique d’une mutation du droit », Revue Lamy Droit de l’immatériel, nº 158, 2019.
[2] S. Rodotà, « Libertà, opportunità, democrazia e informazione », in AA.VV., Internet e Privacy: quali regole?, Actes du colloque organisé par le Garant de la protection des données personnelles, Rome, 1998, 12 sqq., à ce propos p. 15.
[3] S. Rodotà, Tecnopolitica. La democrazia e le nuove tecnologie della comunicazione, Roma/Bari, 1997.
[4] L. K. Grossmann, The Eletronic Republic. Reshaping Democracy in the Information Age, New York, 1995 ; P. Costanzo, « La democrazia elettronica (note minime sulla cd. e-democracy) », Il diritto dell’informazione e dell’informatica, n° 3, 2003, p. 465 sqq.
[5] P. Levy, Cyberdémocratie, Odile Jacob, 2002, p. 36.
[6] L. Scheer, La democrazia virtuale, Gênes, 1997.
[7] M. Bardin, M. Fatin-Rouge Stefanini, P. Jensel-Monge, C. Severino (dir.), La démocratie connectée : ambitions, enjeux, réalité, Confluence des droits, Aix-en-Provence, 2018 ; J. Bonnet, P. Türk, « Le numérique : un défi pour le droit constitutionnel », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, vol. 57, n° 4, 2017, p. 13.
[8] V. Frosini, La democrazia nel XXI secolo, Rome, Ideazione, 1997. « Démocratie numérique » est aussi le nom de l’un des groupes de travail de l’Assemblée nationale dans la législature en cours.
[9] P. Flichy, « La démocratie 2.0 », Études, n° 5/2010, p. 617.
[10] Notion en réalité plus large, qui ne concerne pas seulement les transformations du modèle de participation politique, mais « l’ensemble des points de contact entre les transformations induites par les usages du numérique et la vie de la cité » : A. Guyader, « Les enjeux du grand bouleversement », Pouvoirs, vol. 164, n° 1, 2018, p. 7.
[11] L’influence du numérique sur l’organisation constitutionnelle de l’État concerne aussi d’autres profils : voir J. Bonnet, P. Türk, « Le numérique : un défi pour le droit constitutionnel », op.cit., p. 13 sqq., où les auteurs observent que, de manière plus générale, les conséquences du numérique sur le droit constitutionnel « sont encore peu explorées » et que « les enjeux sont pourtant nombreux et importants, au regard du double mouvement permanent de déconstruction/ reconstruction qui affecte plusieurs fondements de la discipline […] tels que, par exemple, la souveraineté de l’État, la puissance publique source de la normativité, la hiérarchie des normes, le régime représentatif ou encore la citoyenneté et ses modes d’expression. Sont aussi impliqués les processus politiques et démocratiques de décision et de désignation des gouvernants, et les modalités d’exercice et de protection de certaines libertés fondamentales ». Cette contribution portant spécifiquement sur le profil de la participation politique, les questions liées à la souveraineté et à l’organisation institutionnelle et normative ne feront pas l’objet de développements suivants.
[12] Pour tous, J. A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme, démocratie, Paris, Payot, 1990, p. 355.
[13] Sur la notion de démocratie voir notamment G. Sartori, Théorie de la démocratie, Paris, Armand Colin, 1973. Voir aussi S. Berstein, La démocratie libérale, Paris, PUF, 1988 et P. Lavaux, Les grandes démocraties contemporaines, 4e éd., Paris, LGDJ, 2015. Dans la conception européenne de la démocratie, promue par la Commission de Venise, « la liberté individuelle, la liberté politique et la prééminence du droit » sont les principes « sur lesquels se fonde toute démocratie véritable » : Statut du Conseil de l’Europe, Préambule. Dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la conception de démocratie est fondée, entre autres, sur la liberté d’expression et sur le pluralisme politique et de l’information.
[14] C’était la prévision faite surtout par les premières études du phénomène : voir notamment V. Frosini, La democrazia nel XXI secolo, op.cit., p. 33, qui, en 1997, imaginait la « démocratie numérique du XXIème siècle » comme une nouvelle « démocratie de masse » ; voir aussi, L. Sheer, La démocratie virtuelle, op.cit. ; J. Bohman, « Expanding dialogue: The Internet, the public sphere and prospects for transnational democracy », in N. Crossley, J.M. Roberts (dir.), After Habermas. New Perspectives on the Public Sphere, Oxford, Blackwell Publishing, 2004, p. 152 ; Y. Benkler, The Wealth of Networks. How Social Production Transforms Markets and Freedoms, Yale University Press, New Haven, 2006, p. 179. Pour une analyse critique de ces premières réflexions, voir F. Granjon, « Mouvements sociaux, espaces publics et usages d’internet », Pouvoirs, vol. 164, n° 1, 2018, p. 31 sqq. et, par rapport à l’expérience étatsunienne, J.M. Reyes, « Social network, polarizzazione e democrazia: dall’entusiasmo al disincanto », in E. Vitale, F. Cattaneo (dir.), Web e società democratica. Un matrimonio difficile, Turin, Accademia University Press, 2018, p. 18.
[15] T.E. Frosini, « La libertà informatica: brevi note sull’attualità di una teoria giuridica », Informatica & Diritto, 2008, n° 34, p. 87.
[16] L’expression « vote électronique » recouvre en réalité une grande variété de dispositifs qui font intervenir des traitements électroniques lors d’une ou de plusieurs étapes du processus : expression du vote, émargement, transmission des suffrages, comptage des voix. En France, le vote électronique existe dans la forme des procédures de vote par machines à voter, utilisées en voie expérimentale par soixante-six communes françaises pour l’ensemble des élections politiques, et du vote par internet, utilisé pour le vote des Français de l’étranger pour les élections législatives et consulaires. Sur les différentes modalités et expériences de vote électronique, voir C. Enguehard, « Vote papier, vote mécanique, vote électronique », Le Genre humain, vol. 51, n° 2, 2011, p. 41 et « Vote par internet : failles techniques et recul démocratique », Jus Politicum, n° 2, 2009 ; L. Cuocolo, « Voto elettronico e postdemocrazia nel diritto costituzionale comparato », Diritto pubblico comparato ed europeo, n° 1, 2008, 258 sqq.
[17] Article L. 330-13 du code électoral (élections législatives) et article 22 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 précitée (élections consulaires).
[18] Lors de son discours à l’occasion de la 27ème session plénière de l’Assemblée des Français de l’étranger, il a affirmé : « Si nous ne sommes pas en capacité pour les prochaines élections de nous organiser pour avoir un système de vote étanche à toute attaque, ça ne s’appelle plus la France, notre pays ! ».
[19] Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le vote électronique, 24 octobre 2018.
[20] L’Observatoire international des prisons et l’association Robin des lois se battent depuis des années pour demander l’adoption de mesures aptes à rendre effectif le droit de vote en prison, en considération du fait que moins de 5 % des électeurs en détention exercent leur droit ; sur environ 50 000 électeurs en détention, seuls 4 % de ce corps électoral ont voté lors de l’élection présidentielle en 2012. L’installation de bureaux de vote en prison, expérimentée lors des élections européennes de 2016, n’a pas été maintenue. Grace à des équipements technologiques installés dans les prisons, le vote par internet pourrait être une solution alternative viable pour garantir l’effectivité du droit de vote dans les circonstances particulières de la détention. Néanmoins, le coût de mise en place d’un tel dispositif pour garantir les droits d’une catégorie de citoyens si peu prisée par l’opinion publique constitue sans doute un facteur qui plaide contre son adoption…
[21] Art. L. 71 du Code électoral.
[22] Par ailleurs, si certains auteurs suggéraient l’introduction du vote par internet comme antidote contre l’abstentionnisme (voir T. E. Frosini, « Tecnologie e libertà costituzionali », in Il diritto dell’informazione e dell’informatica, n° 3, p. 503), les données concernant l’affluence aux urnes, en France ou en Estonie, ne semblent pas étayer cet argument.
[23] En Suisse, le vote électronique à distance, avec un ordinateur et un code PIN, a été progressivement introduit à partir de 2002 : voir : L. Cuocolo, « Voto elettronico e postdemocrazia nel diritto costituzionale comparato », op.cit., p. 258 sqq. et C. Enguehard « Vote par internet : failles techniques et recul démocratique », op.cit.). Jusqu’au début de l’année 2019, dix cantons proposaient le vote électronique mais ont suspendu son exercice en raison de l’indisponibilité de leurs systèmes de vérifiabilité de l’identité. Actuellement, des mises à jour des systèmes de sécurisation sont en cours afin que cette modalité de vote soit rétablie : voir le site de la Confédération, des cantons et des communes.
[24] Voir C. Enguehard « Vote par internet : failles techniques et recul démocratique », op.cit. : en plus de la France et la Suisse, l’auteure cite les exemples de l’Allemagne, du Canada, de l’Espagne, de certains États américains, de l’Italie (pour les municipales de la ville de Cremone), de Pays Bas, du Portugal, du Royaume Uni.
[25] Le vote électronique par internet a été introduit en 2005. Après une première consultation pilote en janvier 2005, le Parlement a approuvé le cadre législatif pour le vote par internet en juin 2005 et les premières élections municipales avec ce système se sont tenues en octobre 2005 : voir le rapport du Conseil de l’Europe. Il a été ensuite utilisé lors des élections législatives et européennes.
[26] En Italie le référendum constitutionnel initialement prévu le 29 mars a été reporté à une date ultérieure qui doit encore être fixée. En Pologne en revanche, pour ne pas reporter les élections présidentielles prévues en mai 2020, la législation électorale a été modifiée pour introduire le vote par correspondance pour les citoyens âgés de plus de 60 ans et ceux en quarantaine. Face aux oppositions qui insistaient pour le report des élections, la majorité souhaitait généraliser ce dispositif à l’ensemble des électeurs (J. Iwaniuk, « Coronavirus : en Pologne, la majorité ébranlée par le maintien de la présidentielle », Le Monde, 3 avril 2020), avant de se résoudre à reporter les élections (J. Iwaniuk, « En Pologne, la présidentielle est reportée mais l’incertitude persiste », Le Monde, 7 mai 2020).
[27] La même question s’est posée pour les travaux des assemblées parlementaires, avec des mesures dérogatoires aptes à permettre la réunion et consultation des parlementaires à distance qui ont été adoptées ou discutées dans plusieurs pays ainsi que par le Parlement européen : voir I. Bar-Simon-Tov, « Parliamentary Activity and Legislative Oversight during the Coronavirus Pandemic. A Comparative Overview », 22 mars 2020, et notamment le tableau récapitulatif en annexe, p. 9 sqq. Sur le débat en Italie nous nous permettons de renvoyer à A.M. Lecis Cocco Ortu, « Le parlement italien à l’ère du Covid-19 : le télétravail comme alternative à l’effacement ? », à paraître dans cette revue, 2020.
[28] Sur les questions techniques liées à la sécurisation du vote, voir C. Enguehard, « Vote papier, vote mécanique, vote électronique », op.cit., p. 60.
[29] Des procédures de participation citoyenne en ligne au niveau local ont été mise en place en Finlande, en France, en Italie, en Lettonie, en Espagne, au Royaume-Uni, etc. Sur les différentes expériences locales, voir L. Cuocolo, « Voto elettronico e postdemocrazia nel diritto costituzionale comparato », op.cit., p. 258 sqq. Pour une analyse technique de différentes expériences mises en place en Italie et dans d’autres pays, voir G. Gangemi (dir.), Dalle pratiche di partecipazione all’e-democracy. Analisi di casi concreti, Roma, Gangemi editore, 2015.
[30] Voir A. Vidal-Naquet, « Le citoyen co-législateur : quand, comment, pour quels résultats ? », in M. Bardin et al., La démocratie connectée, op.cit., p. 18 qui cite les exemples des systèmes de pétition en ligne mis en place aux États-Unis, en Finlande et au Royaume Uni. Aux États-Unis, toute pétition déposée sur la plateforme en ligne a droit à une réponse de la Maison-Blanche si elle réunit 100 000 signatures en 30 jours ; en Finlande, les pétitions ayant recueilli au moins 50 000 signatures doivent être débattues au Parlement ; au Royaume Uni, les pétitions déposées en ligne et ayant recueilli au moins 10 000 signatures ont droit à une réponse du Gouvernement tandis que celles atteignant le seuil de 100 000 signatures doivent faire l’objet d’un débat au Parlement.
[31] La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 « pour une République numérique », a été conçue suivant un processus inédit de consultation citoyenne, qui a débuté fin 2014 par une concertation nationale sur les enjeux du numérique et s’est poursuivi à l’automne 2015 par une consultation en ligne sur le texte de l’avant-projet de loi. Sur les expériences françaises de consultation citoyenne dans l’élaboration de la loi, voir A. Vidal-Naquet, « Le citoyen co-législateur », op.cit., p. 17 sqq.
[32] À l’adresse https://granddebat.fr/
[33] N. Pettinari, « Gli strumenti di democrazia partecipativa nelle costituzioni e la partecipazione ai processi costituenti. Verso un nuovo sviluppo della qualità democratica? », Federalismi.it, 31 juillet 2019.
[34] Voir les considérations de A. Vidal-Naquet, « Le citoyen co-législateur », op.cit., p. 25 sqq.
[35] Sur ces qualifications voir, entre autres, F. Gleize, A. Decourt, « Démocratie participative en Europe », Les Cahiers de la Solidarité, n° 8, 2006, p. 16.
[36] M. Bardin, « Les partis politiques et l’outil numérique », Pouvoirs, 2017, n° 163, p. 46.
[37] En ce qui concerne la consécration, en France, d’un droit d’accès à internet en tant que composant de la liberté d’expression, voir la décision Cons.const. n° 2009-580 DC et, en doctrine, les considérations de L. Marino, « Le droit d’accès à l’internet, nouveau droit fondamental », Dalloz, Sirey, 10 septembre 2009, p. 2045, qui y voit la claire reconnaissance d’un nouveau droit-liberté, et, contra, par M. Bardin, « Le droit d’accès à internet : entre “choix de société” et protection des droits existants », op.cit., qui souligne que « certains observateurs ont cru bon d’affirmer, sans doute un peu tôt, que le Conseil constitutionnel reconnaissait l’accès à internet comme un droit fondamental » et I. Falque Pierrotin, « La constitution et l’Internet », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 36, soulignant que le Conseil constitutionnel « n’est pas allé jusqu’à reconnaître, un droit d’accès au réseau » à valeur constitutionnelle. À l’échelle internationale, voir la Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies A/HRC/32/L.20 (2016) ayant reconnu le caractère fondamental du droit d’accès à l’information sur internet ainsi que de l’exercice en ligne des « mêmes droits dont les personnes disposent hors ligne ».
[38] Ce bouleversement touche toute sorte d’information, non seulement celle qui concerne l’actualité politique, mais également l’information scientifique et technique de toute discipline, notamment grâce aux sources wiki qui créent une confusion entre communication et information : sur ce phénomène et les problématiques qu’il suscite, notamment pour le fait que les opinions et informations sont considérées comme fiables abstraction faite de l’autorité de leur auteur, voir les contributions réunies in A. Papa (dir.), Comunicazione e nuove tecnologie, Rome, Aracne, 2011.
[39] M. Bardin, « Les partis politiques et l’outil numérique », op.cit., p. 44.
[40] S. Rodotà, Tecnopolitica, op.cit., p. X, parle de « processus d’inclusion dans une sphère publique rénovée » caractérisée par l’apparition à la fois de nouvelles formes de participation et de nouveaux sujets participants.
[41] A. Papa, « Democrazia della comunicazione e formazione dell’opinione pubblica », Federalismi.it, 2 octobre 2017, p. 13 observe que le réseau internet « permet une récollocation du processus de formation de l’opinion publique dans la sphère publique ».
[42] F. Granjon, « Mouvements sociaux, espaces publics et usages d’internet », op.cit., p. 40.
[43] Il s’agit ici de procédés non-institutionnalisés, à l’initiative des citoyens ou de groupes, associations ou partis politiques. Sur les différences entre procédures de participation politique institutionnalisées et non institutionnalisées, notamment en ce qui concerne les élections primaires, voir A.M. Lecis Cocco Ortu, « La désignation des candidats à la présidence, entre partis politiques et citoyens : la nécessité d’un encadrement juridique des primaires ouvertes ? », Politeia, n° 32/2017, p. 93 sqq.
[44] Par ailleurs, la plus grande transparence garantie par la diffusion d’information et données sur l’activité des gouvernants et des dirigeants des partis et déjà en soi une forme de contrôle : voir J.-P. Desrosiers, « Le numérique comme outil de contrôle des gouvernants », in M. Bardin et al., La démocratie connectée, op.cit., p. 31.
[45] Voir P. Jensel-Monge, « L’utilisation des réseaux sociaux par les parlementaires : instrument de revitalisation de la démocratie représentative ? » in M. Bardin et al., La démocratie connectée, op.cit., p. 99 sqq. En ce qui concerne l’expérience italienne, voir G. Grasso, « Social network, partiti politici e lotta per il potere », Rivista di Diritto dei media, n° 1, 2020, p. 211.
[46] M. Bardin, « Les partis politiques et l’outil numérique », op.cit., p. 46 sqq. ; R. Montaldo, « Le dinamiche della rappresentanza tra nuove tecnologie, populismo, e riforme costituzionali », Quaderni costituzionali, n° 4/2019, p. 789 sqq.
[47] M. Revelli, Populismo 2.0, Turin, Einaudi, 2017.
[48] La plateforme Rousseau est définie comme « la plateforme de démocratie directe du Mouvement 5 étoiles. Ses objectifs sont la gestion du M5E […] et la participation des adhérents à la vie du M5E à travers par exemple, l’écriture de lois et le vote pour la formation des listes électorales ou pour dirimer des conflits au sein du M5E ».
[49] Le 18 mai 2018, environ 45 000 inscrits au M5E, sur un total d’environ 56 000 votants, ont approuvé avec 94 % des voix le « contrat pour le gouvernement du changement » signé avec la Ligue. Source : blog du M5E
[50] Le 3 septembre 2019, environ 80 000 inscrits au M5E ont approuvé avec 79 % des voix l’accord pour un gouvernement de coalition avec le Parti démocrate. Source : blog du M5E.
[51] M. Bardin, « Les partis politiques et l’outil numérique », op.cit., p. 47 observe que « son nom même est une bravade à l’encontre des premières mesures de lutte contre le téléchargement illégal » et que, finalement, « un parti pirate est une organisation peu marquée politiquement qui permet […] d’exprimer leur défiance à l’égard des partis traditionnels ».
[52] Sur ces expériences voir A.M. Lecis Cocco Ortu, « La désignation des candidats à la présidence, entre partis politiques et citoyens : la nécessité d’un encadrement juridique des primaires ouvertes ? », op.cit., p. 101 sq.
[53] Le nombre d’inscrits certifiés ayant droit au vote en ligne s’élevait à 117 194 le 3 septembre 2019, lors du vote sur le gouvernement de coalition avec le Parti démocrate.
[54] S. Ceccanti, S. Curreri, « I partiti antisistema nell’esperienza italiana: il MoVimento 5 Stelle come partito personale autoescluso », Diritto pubblico comparato ed europeo, n° 3, 2015, p. 799 ; R. Montaldo, « Le dinamiche della rappresentanza tra nuove tecnologie, populismo, e riforme costituzionali », op.cit., p. 789 sqq.
[55] J. Stromer-Galley, « Diversity of Political Conversation on the Internet: Users’ Perspectives », Journal of Computer-Mediated Communication, 2006, cité par F. Granjon, « Mouvements sociaux, espaces publics et usages d’internet », Pouvoirs, vol. 164, n° 1, 2018, p. 42 ; F. Donati, « Democrazia, pluralismo delle fonti di informazione e rivoluzione digitale », Federalismi.it, 20 novembre 2013 p. 1 sqq
[56] G. Pitruzzella, « La libertà di informazione nell’era di Internet », in G. Pitruzzella, O. Pollicino, S. Quintarelli, Parole e potere. Libertà d’espressione, hate speech e fake news, Milan, Egea, 2017 et in Rivista di diritto dei media, n° 1/2018, p. 1.
[57] A. Papa, « Democrazia della comunicazione e formazione dell’opinione pubblica », op.cit., p. 14. De plus, certains études montrent que les internautes qui prennent part aux débats sur les réseaux sociaux ont d’habitude des opinions et idéologies très marquées, voire extrémistes : J.M. Reyes, « Social network, polarizzazione e democrazia: dall’entusiasmo al disincanto », op.cit., p. 33.
[58] M. Betzu, G. Demuro, « I big data e i rischi per la democrazia rappresentativa », Rivista di Diritto dei media, n° 1, 2020, p. 218 ; A. Papa, « Democrazia della comunicazione e formazione dell’opinione pubblica », op.cit., p. 16.
[59] Sur les problématiques liées à l’acquisition de données personnelles notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée, voir l’analyse de A. Bachert-Peretti, « La protection constitutionnelle des données personnelles : les limites de l’office du Conseil constitutionnel face à la révolution numérique », RFDC, n° 2, 2019, p. 261.
[60] E. Pariser, The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You, Penguin Press, 2012. Contra : D. Cardon, À quoi rêvent les algorithmes, nos vies à l’heure des Big Data, Paris, Seuil, 2015 et A. Gunthert, « Et si on arrêtait avec les bulles de filtre ? », L’image sociale, 16 novembre 2016, qui soulignent que le vrai filtre vient moins des algorithmes que des choix subjectifs des internautes.
[61] G. Pitruzzella, « La libertà di informazione nell’era di Internet », op.cit., p. 1.
[62] Voir D. Cardon, « Le pouvoir des algorithmes », Pouvoirs, vol. 164, n° 1, 2018, qui cite le reproche fait « par les militants du mouvement Occupy […] à l’algorithme de Twitter, accusé de préférer la popularité immédiate à leur mobilisation qui, très relayée sur ce réseau social, ne produisait en revanche pas de pics » :p. 72.
[63] S. Staiano, « La rappresentanza », Rivista AIC, n° 3/2017, p. 41. L’auteur observe que « les délibérations de cette assemblée virtuelle ne sont pas démocratiques à la fois par excès de ‘directisme’ et par excès de restriction », qui font obstacle à une véritable élaboration et confrontation des informations et des opinions. Voir aussi A. D’Atena, « Democrazia illiberale e democrazia diretta nell’era digitale », Rivista AIC, n° 2/2019, p. 596 et A. Papa, « Rappresentanza politica versus democrazia elettronica tra molteplicità di prospettazioni e problematicità di rapporti », in L. Chieffi (dir.), Rappresentanza politica, gruppi di pressione, élites al potere, Turin, 2006.
[64] Il a été observé que « Nos sociétés souffrent à la fois de surinformation (toutes les versions de la réalité en ligne), de clôture informationnelle (chacun peut s’isoler dans sa bulle de confirmation de la réalité) et de concurrence informationnelle (les deux camps s’accusant mutuellement de nier la réalité) » : F.-B. Huyghe, « Numérique : activisme et influence politique », in M. Bardin et al., La démocratie connectée, op.cit., p. 63.
[65] Un des effets collatéraux de l’information horizontale est représenté par le fait que tous les internautes n’ont pas les instruments préalables pour évaluer et vérifier la fiabilité des sources, avec la conséquence qu’ils peuvent considérer tout contenu comme fiable abstraction faite de l’autorité de sa source : voir supra, partie I, paragraphe B, spéc. note n° 38.
[66] A. Simoncini, « L’algoritmo incostituzionale: intelligenza artificiale e il futuro delle libertà », Rivista di BioDiritto, n° 1/2019, p. 63. Selon une consultation publique lancée par la Commission européenne en 2017, les deux principaux domaines que la désinformation délibérée vise à influencer sont les élections et les politiques migratoires.
[67] Rapport sur les stratégies de désinformation en ligne et la filière des contenus fake élaboré par l’Autorité italienne pour la garantie des communications (AGCOM), p. 45 sqq. cité par A. D’Atena, « Democrazia illiberale e democrazia diretta nell’era digitale », op.cit., p. 594. La communication de la Commission européenne Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne alerte sur le fait que « la doctrine militaire russe reconnaît explicitement que la guerre de l’information est l’un de ses domaines de compétence ».
[68] Ce combat, en France, s’est traduit par l’adoption des lois du 22 décembre 2018 sur la manipulation de l’information qui introduisent une nouvelle voie de référé visant à faire cesser la diffusion délibérée et automatisée de fausses informations durant les trois mois précédant un scrutin national. Sur les différentes approches normatives et jurisprudentielles en raison des différentes conceptions de la liberté d’expression dans une perspective comparée, voir O. Pollicino, « La prospettiva costituzionale sulla libertà di espressione nell’era di Internet », Rivista di Diritto dei media, n° 1/2018, p. 48.
[69] Il a été observé que cette difficulté traduit l’essence du paradoxe de Böckenförde, selon lequel « L’État libéral, sécularisé vit de présupposés qu’il n’est pas lui-même en mesure de garantir » : ibid., p. 48.
[70] Sur ce débat et le contexte d’adoption des lois organique et ordinaire du 22 décembre 2018 relatives à la manipulation de l’information, voir D. De Bellecsize, « Fake news : une loi polémique, qui pose plus de questions qu’elle n’en résout », Constitution, 2018, p. 560.
[71] Dans sa décision du 20 décembre 2018, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation en vertu de laquelle la notion de « fausses informations » ne s’applique qu’à « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. […] Seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée ». Sur la question définitoire, voir notamment T. Hochmann, « Lutter contre les fausses informations : le problème préliminaire de la définition », RDLF 2018 chron. n° 16 ; J. Harsin, « Un guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie », Pouvoirs, vol. 164, n° 1, 2018, p. 99, à ce propos 101 sq. ; V. Gazagne-Jammes, « La citoyenneté numérique à l’épreuve des fausses informations », La Revue des droits de l’homme, n° 17/2020.
[72] Néanmoins, du taux européen de 88 %, on descend à 40 % dans les pays en développement et à moins de 10 % dans les pays les plus pauvres. Pour ces données, ainsi que les suivants concernant le nombre d’internautes dans le monde, voir le site Internet World Stats.
[73] E. Bembaron, « En France, 6,8 millions de personnes n’ont pas d’accès à Internet », Le Figaro, 21 mars 2019.
[74] Néanmoins, elle frappe également des personnes complètement intégrées dans la société, pour des raisons variées qui peuvent être géographiques ou liées aux habitudes de vie, comme le relève J. Deydier, « Les exclus de la datacratie », Pouvoirs, 2018, vol. 164, n° 1, p. 137 sqq.
[75] R. Montaldo, « Le dinamiche della rappresentanza tra nuove tecnologie, populismo, e riforme costituzionali », op.cit., p. 800. Paradoxalement, le rôle des technologies numériques au service de la démocratie est peut-être plus important au sein des sociétés où la liberté d’expression et les autres libertés condition essentielle de la démocratie sont moins garanties : des personnes isolées et des groupes organisés sont moindres peuvent créer et supporter « des formes de résistance quotidienne difficiles à mettre en œuvre dans des contextes où, comme en Iran, les formes de résistance régulière et publique sont systématiquement soumises à d’importantes répressions » : ainsi F. Granjon, Fabien. « Mouvements sociaux, espaces publics et usages d’internet », op.cit., p. 44.
[76] Dans le même sens, A. Vidal-Naquet, « Le citoyen co-législateur », op.cit., p. 27, où l’auteure observe que, afin que « la co-législation citoyenne [puisse] permettre de renforcer effectivement la démocratie », il faut garantir le respect des conditions « d’effectivité de la participation (celle-ci doit être représentative, significative et pluraliste), […] d’efficacité (la participation doit être adaptée, identifiable, traçable avec, par exemple, l’idée d’une « empreinte participative ») mais aussi […] de qualité du processus participatif (offrant des garanties d’interactivité, de transparence, de lisibilité) ».
[77] O. Pollicino, « La prospettiva costituzionale sulla libertà di espressione nell’era di Internet », op.cit.
[78] R. Montaldo, « Le dinamiche della rappresentanza tra nuove tecnologie, populismo, e riforme costituzionali », op.cit., p. 792.
[79] Favorisée par certains Internet service providers, au détriment de sites d’information fiables : voir S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », Competition International Policy, December 2017, p. 1 cité par W. Chaiehloudj « Fake news et droit de la concurrence : réflexions au prisme des cas Facebook et Google », Revue internationale de droit économique, vol. t. xxxii, n° 1, 2018, p. 19 ; voir aussi O. Pollicino, « Tutela del pluralismo nell’era digitale: ruolo e responsabilità degli Internet service provider », Percorsi costituzionali, n° 1, 2014, p. 45.
[80] C’est notamment le cas de Mediapart en France, de IlPost en Italie et d’autres organes de presse qui font de l’enquête, la vérification des fake news et le « slow journalism » leur caractère distinctif.
[82] En vertu du code, ces sociétés et associations ont ainsi présenté un rapport d’autoévaluation concernant le respect des engagements pris.
[83] Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne », n° COM/2018/236 final.
[84] Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, par M. le député B. Studer, 30 mai 2018. Pour une analyse des mesures préconisées par ce rapport, voir V. Gazagne-Jammes, « La citoyenneté numérique à l’épreuve des fausses informations », op.cit. Cette solution est déjà largement étudiée dans d’autres sciences sociales : voir notamment R. Corriveau, « Citoyenneté et action sociale », in A.-S. Letellier, N. Landry (dir.), L’éducation aux médias à l’ère numérique. Entre fondations et renouvellement, Presses de l’Université de Montréal, 2016 p. 133, et dans le même ouvrage, S. Tremblay-Pepin, « Apprendre à douter des médias », p. 147.
[85] A. D’Atena, « Democrazia illiberale e democrazia diretta nell’era digitale », op.cit., p. 596 ; la formation à la citoyenneté à travers l’éducation à la « religion civique » est aussi une des solutions envisagées par Yascha Mounk contre la « dictature électorale » des populismes, bien qu’il reconnaisse les limites de cette solution : Y. Mounk, Le peuple contre la démocratie, Éditions de l’Observatoire, 2018, notamment p. 347.
[86] Voir V. Gazagne-Jammes, « La citoyenneté numérique à l’épreuve des fausses informations », op.cit., qui oppose les mesures « douces » de lutte contre la désinformation, à travers des actions d’éducation et de nudging, aux mesures normatives.
[87] J. Brennan, Against Democracy, 2ème éd., Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2017, cité par A. D’Atena, op.cit., p. 596.
[88] A. D’Atena, « Democrazia illiberale e democrazia diretta nell’era digitale », op.cit., p. 596.
Pour citer cet article : Anna Maria Lecis Cocco Ortu, « L’apport ambivalent du numérique à la participation politique : vraie ou fausse démocratisation ? », Confluence des droits_La revue [En ligne], 06 | 2020, mis en ligne le 19 juin 2020. URL : https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1149